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Donald Trump et la science des données : quand l’Amérique découvre le vote extrême

data-sciencePar Hervé Mignot du Cabinet de conseil Equancy

L’élection de Donald Trump est une surprise pour beaucoup. Et tout particulièrement pour la communauté de la data science qui n’a, pour l’essentiel, rien vu venir, rien pu prédire…

Après les affirmations de sa toute puissance, la data science vient de subir un Reality Check cuisant, une épreuve du feu peu concluante. Je ne suis pas loin de penser que ce loupé marquera significativement le début d’un questionnement sur la toute puissance de la data, dans un retour de flamme attendu après la surmediatisation de ces dernières années.

Dans un épisode du podcast de data science Partially Derivative, intitulé avec beaucoup d’humour Margin of Terror, une partie de la fine fleur de la data science appliquée aux sondages et à l’analyse politique, essaie de comprendre et d’analyser les causes de ce raté. Et ce n’est qu’une première analyse des nombreuses recherches qui ne manqueront pas de suivre. Préparez-vous à une psychanalyse de la data des élections 2016 longue, très longue…

Parmi les premiers constats, les prévisions quant au nombre de votants et aux parts de voix des candidats ne sont pas si mauvaises. C’est au niveau des états que cela se gâte avec la mécanique des grands électeurs (ex. aucun sondage n’avait prévu que le Wisconsin basculerait pour Trump).

Un des enjeux de ce type de modélisation est de prédire qui va vraiment aller voter. En effet, ceux qui répondent aux sondages ne sont pas forcément ceux qui vont voter. Un décalage important entre les profils socio-demographiques sondés et ceux votants semble à l’origine de l’erreur de prévision, à ce stade des analyses. Bien entendu, de nombreuses corrections sont habituellement appliquées aux données brutes des sondages, et c’est bien l’art du data scientist. Mais pour cette élection, cela n’a pas fonctionné. De là à conclure que chaque élection est unique et donc par principe peu prévisible à partir de données historiques, il n’y a qu’un pas que nos experts seraient presque à faire, dans le désarroi de la déconfiture.

Effectivement, cette élection était-elle imprévisible ? Il y a eu très peu de signaux avant-coureurs dans les données collectées. Certains experts étaient tout de même en alerte, l’écart Clinton-Trump étant très mince. Et la notion d’intervalles de confiance n’est pas la notion la mieux maîtrisée par l’appareil médiatique Par ailleurs, ce n’est que la troisième élection pour laquelle des approches data sont utilisées intensivement. Et ces élections sont finalement des événements rares, donc difficiles à modéliser.

Parmi les effets évoqués par les participants pour expliquer l’erreur de prévision :

– des effets locaux dans les états en balance (Swing States), comme en Floride qui fait tout pour favoriser le vote anticipé, qui aurait favorisé Trump,
– un électorat très différent de 2008 et 2012, donc moins de stabilité dans l’usage des données historiques,
– un électorat plutôt peu enclins à répondre au sondage, fractionné car rural, mais qui cumulé change la donne,
– un choix pour Trump que les indécis n’avouent pas lorsqu’ils sont interrogés (comme le vote Le Pen par le passé)

Mais la discussion quitte rapidement le terrain de la donnée pour aller sur celui de la société américaine. Et de constater que les liberals (démocrates ou proches du parti démocrate) ont aussi sûrement considéré, un peu vite, que l’électeur indécis, non partisan, ne pouvait adhérer aux idées de Trump et de ces déclarations et propositions outrancières. Vivant dans leur bulle déconnectée de la réalité d’une partie de la société américaine, ils ont surestimé l’impact de ces « détails » du discours de Trump alors que ces électeurs n’attendaient qu’un agent de changement. L’argument premier donné au vote Trump dans les sondages « sortie des urnes » est justement le besoin de changement.

L’électorat de Trump (schématiquement chrétien, masculin, rural) a cru en son slogan (Make America Great Again, maga) alors qu’il sent bien sa perte de pouvoir et voit ainsi une façon de reprendre l’ascendant sur des minorités qui ont ou allaient accéder au pouvoir (comme les afro-américains ou les femmes).

Ainsi, nos commentateurs semblent découvrir que ce n’est pas parce que l’on n’est pas d’accord avec un argument particulier d’un candidat, fusse-t-il outrancier, que l’on ne va pas voter pour lui. Donc croire que parce que Trump a dit quelque chose avec lequel on n’est pas d’accord va empêcher de voter pour lui était faux. Tout comme penser que les électeurs du Front National sont tous des xénophobes facistes.

Vu de la France, ces discussions donnent plutôt le sentiment d’une « élite » américaine découvrant l’essence et la mécanique du vote contestataire. Plutôt qu’annoncer ce que nous réserve l’élection de 2017, les États-Unis viennent de rejoindre les démocraties occidentales confrontées au vote contestaire et extrême. Mais plutôt que de jouer à se faire peur comme en Europe jusqu’à présent, les américains ont fait les choses en grand, comme à leur habitude, en élisant un président extrême.

 

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