Aller au contenu Skip to footer

Haro sur le prix du gallon d’essence

Cette semaine, le prix du gallon d’essence à la pompe était de 4,33 dollars, les Américains ne sont pas contents et les républicains profitent de l’occasion pour blâmer le président Biden. Car tout le monde sait que c’est le président des États-Unis qui fixe le prix du baril de pétrole. 4,33 dollars le gallon représente un peu plus de 1 euro le litre. Les Français ne s’en plaindraient pas, les Américains oui. On sait combien le prix de l’essence est un indicateur économique important dans la mesure où tant de Français comme d’Américains sont dépendants de leur voiture et sont confrontés régulièrement au prix de l’essence à chaque fois qu’ils remplissent leur réservoir.

En France, une légère hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) a déclenché le mouvement des gilets jaunes qui s’est déployé partout en France pendant près de deux ans. Pourrait-on voir une initiative similaire aux Etats-Unis ? Sans doute car il est assez difficile de concevoir un mouvement comparable similaire au niveau national, fédérant des Etats bleus et des États rouges dont les situations sont très disparates, déjà pour ce qui est du prix du gallon (voir la carte ci-dessous). Selon GasBuddy, un organisme qui collecte les prix au niveau national, le prix du gallon va de moins de 3,40 dollars dans certaines parties du Kansas, de l’Oklahoma ou du Wyoming à plus de 5,20 dollars, soit une différence de plus de 50 %. En France, on imagine mal payer 2 euros le litre à Marseille et 3 à Paris.

Prix de l’essence sur l’ensemble du territoire américain

Les Républicains qui n’en sont pas à une approximation ou une contrevérité près lorsqu’il s’agit de critiquer les démocrates et leur président, s’en sont donné à cœur joie tant ils savent que le sujet est sensible. Alors qu’ils ont soutenu Joe Biden dans l’arrêt des importations de pétrole russe, ils ont repris en boucle trois arguments majeurs pour le rendre responsable du prix élevé du pétrole : l’arrêt de la construction du pipeline Keystone XL, l’interdiction de nouveaux forages sur les terres fédérales et le renoncement à l’indépendance énergétique. Tout cela ne serait pas arrivé si leur chef était à la Maison Blanche bien sûr, tout comme la guerre en Ukraine. Pour le Covid, l’argument ne fonctionne pas mais ils auraient très pu l’utiliser. D’ailleurs, certains d’entre eux comme Rand Paul, sénateur du Kentucky, d’attaquer le docteur Anthony Fauci, directeur de l’Institut national des allergies et maladies infectieuses et un peu l’homologue d’Alain Fischer en France, en l’accusant d’avoir financé des recherches Gain-of-function[1].

“This administration wants to ramp up energy imports from Iran and Venezuela. That is the world’s largest state sponsor of terror and a thuggish South America dictator, respectively. They would rather buy from these people than buy from Texas, Alaska and Pennsylvania.”
Mitch McConnell, sénateur du Kentucky et chef de la minorité républicaine

“Democrats want to blame surging prices on Russia. But the truth is, their out-of-touch policies are why we are here in the first place. Remember what happened on Day 1 with one-party rule? The president canceled the Keystone pipeline, and then he stopped new oil and gas leases on federal lands and waters.”
Kevin McCarthy, représentant de Californiae et chef de la minorité à la Chambre des représentants

“In the four years of the Trump-Pence administration, we achieved energy independence for the first time in 70 years. We were a net exporter of energy. But from very early on, with killing the Keystone pipeline, taking federal lands off the list for exploration, sidelining leases for oil and natural gas – once again, before Ukraine ever happened, we saw rising gasoline prices.”
Mike Pence, ancien vice-président

https://youtu.be/0r0KCZky5YE

Avant d’examiner ces trois arguments, quelques éléments sur le prix actuels de l’essence à la pompe. Ajusté avec l’inflation, le prix actuel est inférieur à celui observé pendant presque toute la première décennie 2000. En 2008, au moment de la crise financière, le prix était de 5,31 dollars le gallon en dollars 2022 (Source : Energy Information Administration). A l’époque, les républicains n’étaient-ils pas à la Maison Blanche ? A titre anecdotique, sur une période plus longue, le prix du gallon en 1935 était de 3,41 dollars ce qui représenterait 75 dollars en 2022.

Revenons aux trois arguments mobilisés par les républicains. D’abord l’arrêt de la construction du pipeline Keystone XL. Cet argument est à peu près comparable à celui employé par le loup pour accuser l’agneau de troubler son breuvage. Ce pipeline est un complément à celui en fonctionnement depuis 2011. D’ailleurs, il s’agit d’un projet de construction par tronçon[2]. C’est le tronçon IV sur la carte qui relie directement les champs pétrolifères de l’Alberta au Kansas qui pose des problèmes[3] et qui a été stoppé par Joe Biden    . Quand bien même Joe Biden n’aurait pas arrêté la construction, le pipeline ne serait pas terminé aujourd’hui.

Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?

A la suite de la crise pandémique de la Covid et du ralentissement de l’économie américaine et mondiale, les compagnies pétrolières ont largement ralenti leur production. Leur résultat sur l’année 2020 montre effectivement qu’elles ont été confrontées à de grandes difficultés, chiffre d’affaires en baisse significative et pertes d’exploitation importantes. Et l’économie est repartie à la hausse rapidement provoquant des problèmes dans les chaines logistiques mondiales et en termes d’énergie. Les compagnies n’ont pas pu alors relancer leur production dans les délais pour répondre à la demande malgré un appel de l’administration pour le faire (Biden team asks oil industry for help to tame gas prices). A commencer par recruter les personnels pour mettre en œuvre cette reprise mais aussi à cause de la prudence des investisseurs qui veulent éviter les surproductions et les banqueroutes. Aujourd’hui, la production est revenue au niveau de celui à laquelle elle était à la fin 2018.

Lors d’une intervention au National Petroleum Council, Jennifer Granholm, secrétaire à l’énergie et ancien gouverneur du Michigan, appelait les compagnies à « please take advantage of the leases that you have, hire workers, get your rig count up. » Il est vrai que l’administration Biden croit au dérèglement climatique, un fléau dont n’avait cure son prédécesseur, qu’il mise sur une transition énergétique volontariste et qu’il est moins « oil company friendly ». En novembre 2020, après avoir perdu les élections mais toujours en charge des affaires, Donald Trump avait autorisé de manière très soudaine les compagnies pétrolières à forer sur plus de 800 000 hectares dans l’Artic National Wildlife Refuge de l’Alaska. Joe Biden a signé un décret pour inverser cette décision.

Troisième argument, le renoncement de Joe Biden à l’indépendance énergétique des Etats-Unis. Cette projection d’indépendance remonte à janvier 2017 alors que Barack Obama est encore à la Maison Blanche. Les projections de l’EIA (US Energie Information Administration) l’avaient indiqué « grâce à des développements technologiques et géologiques permettant la production de pétrole et de gaz naturel à des moindres coûts ». Les Etats-Unis sont devenus exportateur net de gaz naturel en 2018 et le sont restés depuis. Ils ont été exportateur net de pétrole en 2020, pour la première fois depuis 1949, et en 2021. Certes les Etats-Unis importaient du pétrole russe mais pour seulement 3 % de sa consommation sachant qu’ils exportent par ailleurs. Joe Biden a donc décidé de stopper ces importations. Un effort certes beaucoup moins important que celui consenti par les nations européennes qui sont beaucoup plus dépendantes de la Russie sur le plan énergétique.

Le prix de l’essence est lié aux évolutions respectives de l’offre et de la demande au niveau mondial, à la crise de la Covid et aux ruptures des chaines logistiques mondiales. Sachant que l’instant, les membres de l’OPEP qui contrôlent 50 % de la production mondiale n’ont pas réagi immédiatement à cet accroissement de la demande.

En 2021, les 7 plus grandes compagnies pétrolières se sont bien rattrapées et ont réalisé des profits conséquents, elles ont été plus généreuses avec leurs actionnaires en consacrant 40 milliards de dollars en rachat d’actions après avoir distribué plus de 50 milliards de dividendes. (Big Oil on course for near-record $38bn in share buybacks). Peut-être auraient-elles pu modérer les hausses actuelles ?

[1] La recherche sur le gain de fonction est une recherche médicale qui modifie génétiquement un organisme de manière à améliorer les fonctions biologiques des produits géniques.

[2] Le Keystone Pipeline, exploité par l’entreprise TC Énergie (anciennement TransCanada), est long de 3 461 kilomètres et transporte essentiellement des hydrocarbures synthétiques et du bitume dilué issus de sables bitumineux. En projet depuis 2005, les deux tronçons de l’oléoduc (en marron et orange sur la carte ci-contre) sont opérationnels depuis 2011. Partant de la région des sables bitumineux de l’Athabasca, dans le Nord-Est de la province canadienne de l’Alberta, ils desservent plusieurs destinations aux États-Unis, dont la raffinerie de Wood River, ainsi que les dépôts pétroliers de Patoka (dans le Sud de l’Illinois) et de Cushing (en Oklahoma).

Deux autres tronçons, formant un tout nommé Keystone XL, sont proposés en 2008. Le premier (phase III, bleu et violet sur la carte), correspondant au segment sud et qui rejoint la côte texane du golfe du Mexique – où sont situées de nombreuses raffineries -, est en majeure partie en exploitation depuis janvier 2014. Le second tronçon (phase IV, en vert sur la carte), correspondant au segment nord, consiste en un tracé moins long (1 897 km) que celui de l’actuel oléoduc ; il vise à accroître les capacités de transport de ce dernier et à acheminer le pétrole brut américain extrait de la formation de Bakken, dans le Montana et le Dakota du Nord (Source : Wikipedia)

[3] Le projet est vivement contesté par les principales associations environnementales américaines, par de nombreux propriétaires fonciers dont les terres se trouvent sur son tracé, par des Amérindiens et par une partie des élus démocrates américains ; ses opposants y voient un risque de pollution des sols et de l’eau en cas de fuite d’hydrocarbure (Wikipedia).

Leave a comment

Recevez les derniers articles directement dans votre boîte mail !

Un Jour en Amérique © 2024. Tous droits réservés. 
Consentement des cookies