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Bataille politique pour la Cour Suprême

Les 200 000 morts de la Covid-19 ne semblent pas avoir anéanti les chances de Donald Trump d’être réélu. Mais une seule disparition pourra peut-être favoriser son élection.

La réalité dépasse souvent la fiction dit-on. Rarement une telle affirmation n’a été aussi vraie avec la mort de la Juge à la Cour Suprême Ruth Bader Ginsburg 45 jours seulement avant les élections dans un climat politique délétère et avec un président et un parti républicain prêts à tout pour conserver le pouvoir.

Sans perdre de temps ni respecter une sorte de trêve de décence que la disparition de tout être humain commande, Mitch McConnell a déclaré que le Sénat voterait la nomination du ou de la successeur (e) avant la fin de l’année. Déclaration pour le moins surprenante qu’il y a seulement quatre ans, le même Mitch McConnell avait refusé de prendre en considération le vote de la nomination de Merrick Garland pour succéder à Antonin Scalia. Au motif que la tradition veut qu’un président ne puisse pas nommer un juge à la Cour Suprême dans la dernière année de son mandat.

Mais il n’est pas seul dans le bal des hypocrites / menteurs, il est accompagné de beaucoup d’autres. Lyndsey Graham, en difficile réélection à son poste de sénateur dans l’état de Caroline du Nord, aujourd’hui à la tête de la commission qui organisera les auditions des candidats au poste de Juge a déclaré qu’il voterait avant la fin de l’année alors qu’il y a quatre ans il avait juré ses grands dieux que dans une situation comparable, il ne fallait attendre l’élection du prochain président pour une telle nomination. Mais on peut lui faire confiance pour trouver tous les bons arguments pour  expliquer ce revirement. En se reniant pour convenance personnelle ou intérêt politique, les politiques ne récoltent-ils pas ce que certains sans scrupules sèment : un manque de confiance chez les électeurs.

 

Donald Trump, qui a encore moins de surmoi,  a tout de suite perçu l’intérêt de la situation. Dans la foulée de Mitch McConnell en publiant un tweet samedi matin affirmant que les républicains avaient l’obligation de voter et samedi soir à l’occasion de son meeting de campagne à Fayetteville en Caroline du Nord en déclarant qu’il sélectionnerait un candidat, en l’occurrence une candidate, dès la semaine prochaine. Comment imaginer qu’il ne faut que quelques jours pour sélectionner le candidat à un des postes les plus importants aux États-Unis alors que le processus standard de sélection pour un emploi standard peut nécessiter des semaines, voire des mois, et plusieurs interviews ?

C’est là une double chance pour Donald Trump en nommant une femme conservatrice. Pourquoi une femme ? Non pas parce que Donald Trump les aime tant, mais qu’il est en grande difficulté face à Joe Biden au sein de l’électorat féminin des « suburbs ». Pourquoi conservatrice ? Parce qu’elle va changer durablement l’orientation de la Cour Suprême et pourquoi pas revenir sur des sujets aussi sensibles que le droit à l’avortement qui est un sujet de bataille profond depuis plus de 45 ans (l’arrêt Roe V. Wade a été votée en 1973) entre les pro-life et les pro-choice. Ce seul argument peut faire changer nombre d’électeurs. La ficelle est tellement grosse. Tout cela, alors que RBG n’a pas été encore inhumée.

En 48 heures, le sujet principal de ces élections a complètement basculé : oublié la Covid-19 et ses 200 000 morts, seule la nomination de la remplaçante de RBG semble compter désormais. Cela jusqu’au 30 septembre, date du premier débat présidentiel entre Donald Trump et Joe Biden où se dernier ne manquera pas de rappeler la gestion calamiteuse de la crise sanitaire par le premier et la responsabilité qui lui incombe.

Maintenant, cet épisode ne va améliorer l’image de la Cour Suprême en tant qu’institution supposée être au-dessus de tous intérêts et de toutes influences. Le fait que les juges soient nommés à vie n’est pas sans poser de problèmes. En 200 ans, l’augmentation de l’espérance de vie entraîne que les juges peuvent siéger plus d’une vingtaine d’années en plus (c’est là une approximation, il faudrait calculer l’âge moyen de la nomination des juges et l’évolution de l’espérance de vie à cet âge moyen). Si la remplaçante de RBG a 50 ans, elle pourra donc siéger 35 ans si l’on se réfère à l’espérance de vie d’une femme de 50 ans en 2019 (En supposant que les chiffres américains soient proches de ceux de la Suède ; Life expectancy 1751–2019). On sera alors en 2055. C’est donc là un pouvoir exorbitant accordé au président des États-Unis qui peut ainsi façonner la société sur une aussi longue période.

 

Quelles sont les cartes des démocrates dans cette partie qui est loin d’être gagnée d’avance. À court terme, cette nomination peut jouer en faveur des républicains et de Donald Trump en électrisant les électeurs et en leur donnant une très bonne raison de voter. Le cas où ce vote interviendrait entre l’élection du 3 novembre et début janvier date à laquelle le Sénat nouvellement façonné par l’élection ouvrira la nouvelle mandature, serait sans doute le pire montrant ainsi la volonté des républicains de garder le pouvoir sur la société. Si Joe Biden était élu et qu’ils aient la majorité dans les deux chambres, ils pourraient ainsi modifier la configuration de la Cour en passant de 9 à 11 sièges, nommant ainsi deux juges (C’est l’une des options qui est en train d’être examinée). Rappelons que les juges étaient sept jusqu’en 1869 et que c’est le Congrès qui a augmenté le nombre de fauteuils. Ce serait là une mesure radicale, mais le manque de principes chez les républicains n’obligent-ils pas à en passer par là.

 

Maintenant, le problème de cette nomination est encore plus profond car il induit inexorablement un fossé entre cette troisième branche du pouvoir vers un profond conservatisme et une évolution de la société américaine qui va dans l’autres sens, ne serait-ce que par la mécanique de la démographie. Dit de manière plus abrupte et simpliste, les républicains, qui se confondent de plus en plus avec les Blancs, essaient ainsi d’asseoir leur mainmise sur la société. Un hiatus grandissant qui ne sera pas sans poser de problèmes majeurs.

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