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Vers une synthèse de Big Brother et du Meilleur des Mondes ?

On connaissait les outrances verbales, les exagérations démesurées, puis on a eu droit aux fake news, voici venu le temps des « alternative facts », ces faits différents des faits. Le nouveau concept a été proposé par Kellyane Conway, la conseillère de Donald Trump, suite à la dérisoire affaire de la mesure de la foule lors de l’inauguration. Donald Trump pense qu’il avait réuni la plus grande foule jamais assemblée pour une inauguration de toute l’histoire des Etats-Unis. Il pense même qu’il s’est arrêté de pleuvoir pendant qu’il a prononcé son discours. Il suffit donc qu’il le pense pour cela devienne vrai.

Lorsque le journaliste de CNN a opposé les faits infirmant les vérités de Trump, Kellyane Conway lui a dit qu’il fallait considérer des « faits alternatifs ». Son porte-parole Sean Spicer n’a pas hésité « a déclaré qu’il était possible d’être parfois en désaccord avec les faits ». Donald Trump a téléphoné à Michael Reynolds, le directeur des parcs nationaux, un service qui représente 22 000 fonctionnaires et un budget de 2,8 milliards de dollars, afin qu’il lui fournisse des photos complémentaires destinés à montrer qu’il y avait vraiment beaucoup de monde. Parallèlement, il a été demandé à l’organisation des Parcs nationaux de fermer son compte Twitter. Cette dernière avait « osé » retweeter des gazouillis donnant à comprendre qu’il y avait bien plus de monde à l’inauguration d’Obama qu’à celle de Donald Trump.

huxley2DJT ne supporte pas qu’il ait perdu le vote populaire, près de 3 millions de voix de moins qu’Hillary Clinton. Mais comme entre 3 et 5 millions d’illégaux ont pu voter, il n’a donc pas perdu le vote populaire.

On ne sait pas trop s’il faut en rire, en pleurer ou s’en inquiéter. Toujours est-il que depuis les commandes du livre 1984 de George Orwell ont explosé sur Amazon depuis quelques jours. Celles du Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley ont également augmenté soudainement.

Et si le moment était à la synthèse des visions noires véhiculées par ces deux romans dystopiques.

ORWELL OU…
huxley1La guerre c’est la paix
La liberté c’est l’esclavage
L’ignorance c’est la force.

La chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, signe avant-coureur de la décomposition du communisme semble avoir poussé Francis Fukuyama à déclarer la fin de l’Histoire. Finies les luttes entre les deux grandes idéologies, le monde allait pouvoir évoluer tranquillement vers la démocratie et l’économie de marché, les deux mamelles du bonheur à venir de l’Humanité. Certes, il y a encore quelques poches de résistance, par exemple en Corée du Nord, une curiosité du monde moderne depuis l’avènement de la dynastie Kim après la seconde guerre mondiale. Même Cuba, en passant de Fidel à Raul, avait donné quelque preuve d’un certain abandon de son orthodoxie dictatoriale. L’évolution du monde serait-elle « globalement positive » ? Est-ce si sûr ?

Et la Chine ? Eblouis par le miracle économie qui en a fait en quelque année la première puissance industrielle mondiale, les gouvernements Occidentaux n’ont-ils pas oublié un peu vite que le régime de l’Empire du milieu reste autoritaire avec un parti unique qui se charge d’encadrer et de recadrer les citoyens. Si Orwell était là, il nous aurait sans doute invité à nous replonger dans sa nouvelle allégorique Animal Farm : le président Xi Jinping dans le rôle Snowball et le Vice-Président Li Yuanchao dans celui de Napoléon ?

Tant que le taux de croissance du PIB chinois avoisinait les 10 % permettant de redistribuer quelques dividendes à la population, tout allait bien. Mais lorsque celui-ci diminuera de moitié, voire plus, qu’adviendra-t-il ? Les Winston Smith de 1984 ne se lèveront ils pas par millions mettant en question ce colosse au pied d’argile ?

Et les régimes qui prônent une version rigoriste de la Charia ? Que laissent au libre-arbitre certaines des règles les plus extrêmes de ce code imposé par une puissance divine qui nous dépasse ?

Et que penser aussi de ceux qui croyant officier au Ministère de la Vérité, le Miniver dans la novlangue que semble adopter les nouveaux communicants de l’administration Trump, veulent remanier les archives historiques afin de faire correspondre le passé aux idées d’aujourd’hui. Pétri de l’esprit des lumières et de John Locke, attaché aux droits de l’homme et à la liberté, Thomas Jefferson ne pensait-il pas que les Noirs n’étaient pas assimilables dans la nation américaine : « The amalgamation of whites with blacks produces a degradation to which no lover of his country, no lover of excellence in the human character, can innocently consent ». Comment faudrait-il traduire de tels propos dans notre monde d’aujourd’hui ? Pourtant les Américains ne le vénèrent-ils comme l’un de leurs pères fondateurs ?

… HUXLEY
huxley3Panem et Circenses (1). Dans la Rome décadente, les empereurs romains veillaient à ce que le peuple ait le ventre rempli et l’esprit diverti. Deux millénaires plus tard, avons-nous progressé ? Depuis l’arrivée des technologies de l’information et de la communication, la vision dystopique de l’humanité peinte par Aldous Huxley n’est-elle pas en marche ? Et pas besoin de puissance externe pour nous imposer une telle société. « Orwell craignait ceux qui interdiraient les livres », nous rappelle Neil Postman (2). Huxley redoutait qu’il n’y ait même plus besoin d’interdire les livres car plus personne n’aurait envie d’en lire ». Avec la télévision et, depuis une dizaine d’années, Internet et le Web, le match entre les deux auteurs anglais semble presque inégal tant le second semble l’avoir emporté sur le premier et ses craintes s’être avérées. Sommes-nous sevrés ou abreuvés d’information ? Nous cache-t-on la vérité ou celle-ci n’est-elle pas noyée dans un déluge de futilités ? La culture est-elle bridée par un quelconque Ministère de la Vérité ou celle-ci ne devient-elle pas triviale ? « Dans 1984, le contrôle des gens s’exerce en leur infligeant des punitions, poursuit Postman. Dans le Meilleur des mondes, il s’exerce en leur infligeant du plaisir ».

L’avènement de Facebook et des Fake News n’a-t-elle mis un coup d’accélérateur à ces sombres prophéties ? Personne ne nous les impose, au mieux leurs fournisseurs n’ont juste qu’à nous les suggérer puisque leur marketing à la sauce Web 2.0 est devenu viral. Ces innovations des technologies de l’information ne sont pas mauvaises en soi, mais elles sont aussi porteuses du pire. Et elles ne sont pas neutres sur le plan idéologique et nous imposent malgré tout une nouvelle vision du monde. Les smartphones nous rendent-ils plus intelligents ?

Disneyland ou le pays des bisounours qui est en train de se mettre en place sous nos yeux ne s’apparente-t-il pas au Meilleur des mondes d’Aldous Huxley ?

Huxley ou Orwell n’est-il pas en train de devenir Huxley et Orwell ?

(1) Du pain et des jeux
(2) Se distraire à en mourir – Neil Postman – Nova Editions – 2010.

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