La mobilité, qu’elle soit sociale ou géographique, était réputée pour être l’un des moteurs du dynamisme des États-Unis. Il semblerait qu’elle soit en train de se figer. Sur la plan social, les inégalités ne font que se creuser depuis, trente, voire quarante ans. Les pauvres sont toujours aussi pauvres et aussi nombreux. Les riches le sont encore plus et une classe d’ultra-riches semble prendre le contrôle de la sphère politique, via les lobbies, pour s’enrichir et confirmer l’assertion de Gordon Gecko dans le film Wall Street selon laquelle « Greed is good ». C’est en tous cas ce que montre le documentaire de Robert Reich, ancien Secretary of Labor de Bill Clinton, « Saving Capitalism ».
La pauvreté. En 2016 selon The Hamilton Project et la Brookings Institute, 40,6 millions d’Américains, soit 12,7 % de la population vit sous le seuil de pauvreté selon la définition officielle déterminée aujourd’hui par une famille de quatre personnes ayant des revenus inférieurs à 24 339 dollars par an. De 1980 à 2016, le nombre de personnes vivant sous le niveau de pauvreté est passé de 29,3 à 46,7 millions soit une augmentation de 59 %. Sur la même période, la population des États-Unis a augmenté d’un peu plus de 40 %. La pauvreté a donc progressé. Rien ne peut justifier cette évolution puisque le PIB a été multiplié par 2,5 sur la même période.
La conclusion est simple et connue : le surplus de richesse créé a été en grande partie capté par les plus riches. De 1980 à 2016, le revenu avant impôts du quintile inférieur (le 20 % les moins riches de la population) a augmenté de 4 % alors que celui des 1 % les plus riches a, lui, augmenté de 194 %. Qu’est-ce qui pourrait bien justifier un tel écart ? C’est la juste rémunération de leur contribution à la croissance pourrait justifier leurs soutiens.
Franchement, on ne voit pas vraiment pourquoi pendant cette période et pas sur la période précédente qui va de l’après-guerre et les années 80. En fait, l’explication que les lobbies des plus riches sur les politiques sont devenus beaucoup plus efficaces. Selon Robert Reich, Le financement de ces institutions (think tanks, cabinets de recherche…) par de riches mécènes a explosé. Les dépenses des lobbies provenant des entreprises privées sont 34 fois plus élevées que celles issues des syndicats et des organismes de services publics. Au total, ce sont 3,15 milliards qui ont été dépensés en 2016 soit 5,9 millions par membre du Congrès.
Et ce que l’on appelle le « revolving door », l’aller-retour entre le Congrès et les lobbies s’est lui aussi considérablement développé. Dans les années soixante-dix, 3 % des Congressmen devenaient lobbyistes après leur carrière politique. Aujourd’hui, on frôle les 50 %. Ils connaissent parfaitement le fonctionnement du Congrès et peuvent donc largement influencer l’élaboration des lois. La réforme fiscale en cours qui prévoit un abaissement des impôts sur les bénéfices des entreprises qui passeraient de 35 à 20 % et une baisse des particuliers les plus riches que le gouvernement essaie de vendre désespérément comme une baisse des impôts pour les classes moyennes.
Historiquement, la mobilité géographique était aussi une force de la société américaine. Depuis la crise de 2008, elle a singulièrement diminué selon les derniers statistiques de l’U.S. Census Bureau. Les États-Unis sont devenus une nation figée. Le mouvement annuel à l’intérieur des États-Unis s’est établi à 11 % de population, le niveau le plus faible depuis l’après-midi. Dans les années 50-60, ce taux de mobilité était d’environ 20 %. Dans cette mobilité, l’US Census Bureau fait remarquer que les trois cinquièmes sont à l’intérieur de comté et le reste correspond à des déplacements d’un état à un autre. Les premiers sont plutôt liés à ces changements de vie familiale (mariage, enfants…) alors que les seconds sont la conséquence d’un changement d’emploi. Depuis la crise de 2008, les deux types de mobilité ont connu une baisse significative. Les raisons sont plutôt d’ordre économique : dettes contractées pour faire des études, difficultés pour les jeunes à s’installer hors du domicile familial, difficultés à emprunter pour devenir propriétaires… Bref des raisons qui sont plus la conséquence de difficultés économiques que des changements de style de vie.