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La reproduction des élites en question

La classe moyenne, qui avait fait la force de l’Amérique dans les années 60/70, est en plein déclin. C’est l’un des facteurs souvent repris pour expliquer l’élection de Donald Trump. Le candidat atypique a su surfer sur les peurs et les anxiétés des ouvriers et des employés d’états clés comme le Michigan, le Wisconsin, la Pennsylvanie ou l’Ohio. En cause la mondialisation qui a laminé le secteur secondaire américain avec la délocalisation des usines dans les pays en voie de développement, notamment la Chine.

Mais l’automatisation, qui a changé la manière de fabriquer les produits et est en train d’envahir les services, a aussi joué un rôle important.

A ces deux facteurs, associés à des politiques largement favorables aux classes supérieures (réduction fiscale, réduction de la redistribution des richesses…), ne faudrait-il pas en mentionner un troisième : la méritocratie ou plutôt la méritocratie apparente.

Professeur de droit à l’université de Yale, Daniel Markovits explore cette idée dans son livre à paraître intitulé The Meritocracy Trap: How America’s Foundational Myth Feeds Inequality, Dismantles the Middle Class, and Devours the Elite. Un article publié dans le magazine The Atlantic How life Became an Endless, Terrible competition résume le propos et montre à quel point la mobilité sociale a laissé la place à la reproduction des classes sociales.  « The American dream is dead » avait déclaré le candidat Trump. « The wealth of our middle class has been ripped from their homes and then redistributed all across the world » avait-il ajouté dans son discours inaugural. Sauf que l’analyse est très partielle, car n’est-ce pas plutôt les classes dirigeantes américaines qui sont une des causes principales de ce mouvement ?

Le thème n’est pas nouveau. Le phénomène de reproduction sociale avait été étudié par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans Les Héritiers, paru en 1964. Les deux auteurs montraient comment la position sociale des parents constitue un héritage pour les enfants, certains héritant de bonnes positions sociales – Les Héritiers – tandis que d’autres au contraire sont les déshérités.

La méritocratie, qui tend à promouvoir les individus en fonction de leur mérite, est censée corriger ce phénomène. Mais que se passe-t-il lorsque la méritocratie est largement corrélée à l’origine sociale, la richesse ou les relations individuelles. C’est un des thèmes repris avec nombre d’exemples et de données factuelles par le livre de Daniel Markovits : Today, meritocracy has become exactly what it was conceived to resist: a mechanism for the concentration and dynastic transmission of wealth and privilege across generations.

Pour forcer le trait, les classes supérieures concentrent de plus en plus de pouvoir et de richesses, sachant que les deux vont le plus souvent de pair.

Parmi les différents exemples repris par Daniel Markovits, les résultats au SAT (Scholastic Aptitude Test rebaptisé Scholastic Assessment Test, puis SAT I: Reasoning Test, puis the SAT Reasoning Test, et enfin SAT.), le sésame qui permet d’accéder aux meilleures universités. Le résultat à ce test est fortement corrélé à la situation sociale des parents.

En moyenne, les enfants dont les parents gagnent plus de 200 000 dollars par an ont un score supérieur de 250 points (le test est noté de 200 à 1600 points) que ceux dont les parents gagnent entre 40 000 et 60 000 dollars.

Mais l’auteur donne quelques raisons d’espérer. L’histoire présente un cas précis de correction de l’inégalité concentrée. Dans les années 20 et 30, les États-Unis ont répondu à la Grande Dépression en adoptant le New Deal, qui allait permettre de constituer la classe moyenne dans la deuxième moitié du 20e siècle. Et pour Daniel Markovits, la redistribution n’a pas été le principal moteur de ce processus. La prospérité largement partagée provenait principalement d’une économie et d’un marché du travail qui favorisaient l’égalité économique par rapport à la hiérarchie – en élargissant considérablement l’accès à l’éducation, puis en plaçant des travailleurs moyennement qualifiés et de la classe moyenne au centre de la production.

Une version mise à jour de ces arrangements reste disponible aujourd’hui. Une nouvelle expansion de l’éducation et un regain d’intérêt pour les emplois de la classe moyenne peuvent se renforcer mutuellement. L’élite peut récupérer ses loisirs en échange d’une réduction de revenus et d’un statut. Dans le même temps, la classe moyenne peut recouvrer ses revenus et son statut et reconquérir le centre de la vie américaine.

Mais encore faut-il des hommes ou des femmes pour mettre en œuvre de telles politiques. Peut-être en 2020.

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