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La grande fracture

La première phrase du documentaire L’âme de l’Amérique (visible jusqu’au 22 avril) diffusée sur Arte, «  l’Amérique de Trump » ne laisse aucune ambiguïté : Donald Trump, 45e président des Etats-Unis est le symptôme d’une Amérique qui, selon Mark Lilla, professeur à Columbia, « a besoin d’une vision et d’un projet. Or elle n’a plus de vision partagée, elle n’a pas de projet ».

Cette vision partagée a laissé place à une réflexion en termes d’appartenance à un groupe racial, à un genre, à une région, source d’une fracturation de la société : géographique, religieuse, politique, raciale, éducationnelle. Cette approche enfourchée par les démocrates depuis décennies a pousser les gens à penser en fonction de leur appartenance à leur propre groupe et donc contre les autres.

Le documentaire met en scène Paula Green, une militante pour la paix et médiatrice de conflits qui a lancé une expérimentation intéressante visant à faire rencontrer des gens de deux régions miroirs : la sienne, Leverett située dans le très progressiste Massachusetts et Letcher County dans l’ultra conservateur Kentucky, en plein pays minier et sinistré. La première a voté Hillary Clinton à 90 % en 2016, la seconde à 90 % pour Donald Trump. A priori, tout pour empêcher un minimum de dialogue et d’échanges. Et pourtant, malgré les 1700 km qui séparent les deux groupes, la communication semble d’être établi. Elle a joliment baptisé cette initiative « Hands Across the Hill », car les deux villes sont situées dans des collines.

Une expérience qui semblerait montrer que les gens lorsqu’ils se rencontrent sont sans doute moins divisés que ne le laisseraient penser les politiques ou les médias. Les premiers mettraient en œuvre le slogan « diviser pour régner », les seconds préférant les polémiques et les outrances plutôt qu’une certaine neutralité et retenue pour « mieux vendre du papier ». On pourrait rétorquer que ces initiatives des politiques et des médias rencontrent un certain succès vis-à-vis de leur public dont les motivations sont peut-être aussi contradictoires.

Si le risque de guerre civile, faisant écho quelque 150 ans plus tard à la guerre de Sécession, est très exagéré, les Etats-Unis sont entrés dans une guerre idéologique et culturelle avec deux camps qui semblent irréductibles. L’enjeu est tout simplement l’avenir de l’Amérique.

Qu’est-ce que l’Amérique si elle n’est pas optimiste ? La question est fondamentale, car c’est là une caractéristique majeure des Américains qui surprend, ou plutôt surprenait les européens. C’est sans doute ce qui est le plus surprenant dans l’élection de Donald Trump dont le discours était sombre, défaitiste, malveillant, menaçant, voire dépressif. De ce point de vue, le président Trump est en ligne avec le candidat Trump et son discours le jour de l’inauguration en est le témoin le plus parlant :

But for too many of our citizens, a different reality exists: Mothers and children trapped in poverty in our inner cities; rusted-out factories scattered like tombstones across the landscape of our nation; an education system, flush with cash, but which leaves our young and beautiful students deprived of knowledge; and the crime and gangs and drugs that have stolen too many lives and robbed our country of so much unrealized potential.

This American carnage stops right here and stops right now (…)

Together, We Will Make America Strong Again.
We Will Make America Wealthy Again.
We Will Make America Proud Again.
We Will Make America Safe Again.

« Donald Trump a su habilement tirer parti de cette colère », explique David Cay Johnston, journaliste qui suit Donald Trump depuis plusieurs décennies. Il prévient : « si on ne change pas le cours actuel, on court le risque d’évoluer vers un régime fasciste ». Évidemment, c’est très difficile à concevoir. « Mais imaginez un nouveau président kleptocrate assoiffé de pouvoir ayant le charisme et les compétences marketing de Donald Trump, n’en n’ayant pas les défauts et ayant les capacités de diriger, une compréhension de l’histoire, qui aurait des vraies idées. »

Les élections de 2020 montreront dans quelle voie les Etats-Unis veulent poursuivre. Les républicains ont fait leur choix : supporter les fantaisies de leur président tant qu’il leur donne ce qu’il souhaite (baisse des impôts, nomination de juges très conservateurs et pas seulement à la Cour Suprême.

Les démocrates, eux, vont devoir faire le choix qu’ils ont déjà posé en 2016 : centriste proposé par Hillary Clinton, très progressiste soutenu par Bernie Sanders. Et à près de deux ans des élections, de nombreux candidats se sont déjà révélés.

La gauche identitaire a réutilisé la conquête des droits civiques pour la décliner à l’infini à tous les groupes de la société, détricotant petit à petit, l’idée même de citoyen. Tel est le thème développé par Mark Lilla dans son livre La gauche identitaire. Le « Nous » a laissé place au « Je », impérieux, sûr de lui, et qui en demande toujours plus. Cette gauche identitaire a peut-être favorisé l’avènement d’une société plus juste, plus tolérante et plus inclusive, mais elle a perdu le pouvoir politique que détiennent sans partage les républicains, même si un président démocrate émerge de temps à autre. L’élection de Barack Obama, saluée dans le monde entier comme une avancée définitive de l’Amérique dans une société post-moderne, nous avait sans doute trompés et écartés des problèmes de fond. Aujourd’hui, ces problèmes remontent à la surface en installant à la Maison-Blanche une abomination qui, attirant toute la lumière à elle, nous écarte à nouveau de ces vrais problèmes.

Les démocrates se sont transformés en syndicalistes de la société civile dont ils contrôlent désormais le discours et son politiquement correct, les républicains contrôlent la politique et sont devenus le principal centre de décision. La politique du compromis a donc laissé la place à celle de l’affrontement, si souvent stérile et infructueux. Chaque groupe restant sur son quant-à-soi. Et dans cette situation quelque peu bloquée, les républicains poussent leur agenda.

Les Etats-Unis vivent deux révolutions simultanées. Une révolution populiste qui vient de la base et est guidée par la peur et l’insécurité économique et fondée sur un sentiment tribal de repli sur soi. Une révolution qui prône la diversité et est apportée par les élites culturelles. L’avenir de l’Amérique résultera du résultat de la confrontation entre ces deux forces contradictoires.

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