Aller au contenu Skip to footer

La Cour Suprême se lâche

Coup sur coup, la Cour Suprême a publié des arrêts remodelant en profondeur la société américaine : invalidation d’une loi centenaire de l’Etat de New York sur les ventes d’armes, limitation des pouvoirs de l’agence sur la protection de l’environnement (EPA) à édicter des règles pour limiter les émissions de CO2 des centrales thermiques (une décision qui pourrait se décliner à toutes les agences fédérales et réduire leur pouvoir) et surtout annulation de l’arrêt « Roe vs Wade » rendu par la Cour Suprême en 1973 sur la question de la constitutionnalité des lois qui criminalisent ou restreignent l’accès à l’avortement. Il reviendra à chaque État de dé terminer sa propre législation. Treize états avaient mis en place des lois dites « trigger laws » devenant en vigueur dès l’invalidation de l’arrêt Roe et treize autres états pourraient ainsi criminaliser l’avortement rapidement.

June 30, 2022
West Virginia v. EPA (20-1530)
Congress did not grant the Environmental Protection Agency in Section 111(d) of the Clean Air Act the authority to devise emissions caps based on the generation shifting approach the Agency took in the Clean Power Plan.

June 27, 2022
Kennedy v. Bremerton School Dist. (21-418)
The Free Exercise and Free Speech Clauses of the First Amendment protect an individual engaging in a personal religious observance from government reprisal; the Constitution neither mandates nor permits the government to suppress such religious expression.

June 24, 2022
Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization

Démocrates comme républicains avaient accepté la vision de FDR et de son New Deal. Mais ces arrêts de la Cour Suprême vont dans le sens d’une réduction des pouvoirs de l’Etat fédéral, une initiative qui date des années 70 et a commencé avec l’arrivée de Ronald Reagan à la Maison Blanche.

C’est le résultat d’initiatives légales mais discutables prises par les républicains permettant de constituer une cour réunissant six juges conservateurs, dont trois nommés par Donald Trump en seulement un mandat et dans des conditions on ne peut plus acrobatiques.

Lorsque le chef de la majorité d’alors au Sénat Mitch McConnell se précipitait pour remplacer Ruth Bader Ginsburg par Amy Coney Barrett, les démocrates ont commencé à pousser Joe Biden à approuver l’ajout de sièges à la Cour suprême (packing the Court). Interrogé à plusieurs reprises sur le sujet, la candidat Biden s’est toujours limité à une réponse très évasive. Une fois élu président, il a créé une commission pour étudier la question.

Cette commission a présenté son rapport en décembre 2021 dans l’indifférence générale. Malgré toute la fureur contre la Cour suprême ces dernières semaines, l’administration Biden n’a pas mentionné le rapport ni aucune des options soulevées. C’est un aveu de la réalité politique actuelle. Les démocrates n’ont pas les votes pour changer la cour. 

« The Supreme Court is the most admired of the three branches in our democracy and for good reason. Many of the rights and liberties that Americans cherish have been protected by the Supreme Court in its sworn duty to support and defend the Constitution of the United States, commentent les juges fédéraux Thomas Griffith et David Levi. Mais ce n’est plus vraiment le cas

Un sondage récente réalisé par l’institut Gallup montrait que seulement 25 % des Américains avaient encore confiance dans la Cour (Un Américain sur quatre a confiance dans la Cour Suprême).

Le rapport de la commission n’approuve aucun plan particulier. Au lieu de cela, sur près de 300 pages, il examine plusieurs plans et diffuse les arguments pour et contre eux. Parfois, c’est pathologiquement impartial, à la limite de la naïveté. Une naïveté dont ne semblent plus s’embarrasser les élus républicains conservateurs tendance MAGA qui constituent déjà la principale cohorte du GOP.

La Cour Suprême – comme le reste du système politique américain – n’a pas été conçue pour une ère de partis politiques polarisés, considère Ezra Klein, Chroniqueur du New York Times dans une récente tribune (What a Reckoning at the Supreme Court Could Look Like). Elle est censée être un contrôle sur les autres branches, pas un amplificateur du pouvoir que les partis exercent à travers elles. C’est précisément ce qui est en train de se passer. Et sur ce point, les républicains ont été de bons stratèges et ont bénéficié de conditions favorables pour constituer une Cour à leur image. Comme le note la commission dans son rapport, Donald Trump « a nommé trois juges au cours de son seul mandat de quatre ans ; ses prédécesseurs démocrates immédiats, les présidents Barack Obama, Bill Clinton et Jimmy Carter, n’ont procédé qu’à quatre nominations au total en vingt ans de mandat. Les nominations à vie visaient à isoler les juges de la politique. Au lieu de cela, ils sont devenus un moteur de la politisation de la Cour.

« Les juges de la Cour Suprême s’arrogent le pouvoir de véritablement fabriquer le droit, et non l’interpréter, commentait Jean-Louis Bourlanges, Président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des députés, à une récente édition du Nouvel Esprit Public. Selon leur lecture originaliste de la Constitution, tout ce qui a été fait par le Congrès des Etats-Unis depuis plus de deux siècles peut être repris et changé par quelques juges. Nous avons donc ici des gens qui s’instituent législateurs »

Les remèdes à ce mal endémique sont multiples mais encore faudrait-il que les deux partis soient d’accords sur la situation. Ils se trouvent que les républicains en sont pleinement satisfaits et donc n’ont aucune envie de changer quoi que ce soit. Il en va de même pour le système des élections présidentielles fondées sur les voix de grands électeurs qui les avantagent de manière outrancière et qui pose tant de problème.

Les remèdes ne sont pas légion : augmenter le nombre de Juges, limiter leur mandat dans le temps (actuellement, ils sont élus à vie et rien ne peut les forcer à démissionner).  

L’ajout de Juges a été une pratique relativement courante dans les années 1800. En 1801, les fédéralistes ont réduit la cour de six juges à cinq, en partie pour refuser une nomination à Thomas Jefferson, qui avait remporté la présidence mais n’avait pas encore pris ses fonctions. En 1802, les républicains démocrates de Jefferson rétablissent le sixième siège et, en 1807, en ajoutent un autre. En 1837, la cour est portée à neuf juges. En 1863, les républicains d’Abraham Lincoln ont ajouté un 10e siège, et en 1866, après l’assassinat de Lincoln, ils l’ont réduit à sept sièges, pour empêcher Andrew Johnson de faire des nominations. La cour a été restaurée à neuf sièges en 1869, lorsque Ulysses Grant, un républicain, a pris la présidence. C’est là qu’il est assis depuis. Franklin Roosevelt en conflit ouvert avec la Cour a essayé sans succès d’augmenter le nombre de Juges. L’effort d’emballage judiciaire de F.D.R. en 1937, de ce point de vue, n’était pas près de la brèche qu’il a été prétendu être, et ce n’était pas non plus un échec pur et simple. Modifier la cour en ajoutant des juges est depuis tombé dans le discrédit, bien que cela se fasse toujours au niveau de l’État, où les républicains ont ajouté des sièges aux cours suprêmes de l’Arizona et de la Géorgie ces dernières années.

Si les démocrates parvenaient à faire adopter un projet de loi ajoutant de nouveaux juges, les républicains pourraient revenir en arrière.  

Autre solution limitation des mandats. La nomination à vie ne signifiait pas, pendant la majeure partie de l’histoire américaine, ce que cela signifie aujourd’hui. La commission note que jusque dans les années 1960, l’ancienneté moyenne à la Cour était de 15 ans. C’est 26 ans aujourd’hui. Les partis recherchent les juges les plus jeunes qu’ils peuvent choisir de manière crédible afin de s’assurer que leurs candidats conservent le pouvoir loin dans l’avenir.

Limiter les juges à des mandats de 18 ans a recueilli un bon nombre de soutiens bipartites au fil des ans. Rick Perry, l’ancien gouverneur du Texas, l’avait proposé lors de sa campagne présidentielle de 2012. « On peut considérer la limitation des mandats comme une sorte de politisation saine de la cour, destinée à contrer la politisation malsaine de la cour », considère Ezra Klein. Des mandats de dix-huit ans signifieraient, au fil du temps, que les présidents pourraient s’attendre à deux nominations par mandat. Une présidence de deux mandats verrait quatre nominations – pas tout à fait une majorité de la cour, mais assez pour s’assurer que la cour ne tombe pas trop en décalage avec le peuple américain. Cela réduirait également les enjeux d’un poste vacant ou d’une décision, car les postes vacants deviendraient prévisibles et courants.

Bref, des solutions techniques existent (d’autres sont détaillés dans le rapport de la Commission). Mais pour qu’elles soient viables et qu’elles puissent être mises en œuvre, il faut qu’elles bénéficient du soutien des deux partis. Les républicains ayant un tel avantage actuellement ne sont pas prêts à vouloir changer quoi que ce soit. Et si d’aventure les démocrates osaient engager des évolutions, ils seraient immédiatement jetés au pilori comme remettant en cause les fondements même de la démocratie.

Leave a comment

Recevez les derniers articles directement dans votre boîte mail !

Un Jour en Amérique © 2024. Tous droits réservés. 
Consentement des cookies