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Antitrust : Bras de fer entre le DOJ et Google

Après Standard Oil. American Tobacco, U.S. Steel, Alcoa, IBM, AT&T et Microsoft (en 1998), c’est au tour de Google d’être confronté à un procès antitrust engagé par le ministère de la Justice américain. Certains ont aboutis comme la Standard Oil ou AT&T ont abouti à un démantèlement des entreprises, d’autres se sont soldé pas un non-lieu.  

Le cas de la Standard Oil est peut-être le plus emblématique et c’est le premier à être passé au tamis de la loi Sherman Act votée en 1890. Sous l’impulsion de John et William Rockefeller et grâce à des pratiques commerciales pas toujours très nettes, l’ascension de la Standard Oil est rapide. La même année que la loi est votée, le ministre de la Justice de l’État de l’Ohio, un républicain, engage une action judiciaire qui entraîne la dissolution de l’entreprise. Celle-ci renaîtra en 1899 sous la forme d’une holding avec la nouvelle appellation de Standard Oil

Company of New Jersey. Mais en 1911, à la suite d’un procès mémorable dans lequel le ministère de la Justice s’appuie à nouveau sur le Sherman Antitrust Act, l’entreprise est cassée et réorganisée en 33 sociétés – les « baby standards ». Plusieurs grandes compagnies pétrolières d’aujourd’hui sont issues de cette dérégulation. Standard Oil of California est devenu Chevron ; SO of New Jersey et SO of New York sont respectivement devenues Exxon et Mobil, aujourd’hui ExxonMobil ; Continental Oil Company est devenu Conoco. Quant à la Standard Oil Of Ohio, elle a été rachetée par BP en 1987.

Le cas d’AT&T est un peu différent. Réalisant qu’elle allait perdre le procès antitrust mené par le ministère de la Justice et le juge Harold Greene, la société s’est elle-même scindé en plusieurs entreprises que l’on a appelé les Baby Bells. Certaines entreprises de télécommunications américaines sont issues de ces Baby Bells qui, avec le temps, ont fusionné.

Dans l’affaire Google, c’est le juge Amit Mehta qui est à la manœuvre. Google a pris une place démesurée dans nos vies. L’entreprise en sait plus sur la plupart des gens que sur leurs familles, et contrôle une grande partie de nos communications. Elle détient 95% de part de marché dans la recherche sur Internet (un monopole donc), réalise un chiffre d’affaires annuel d’un peu moins de 300 milliards de dollars avec 15 produits et un plus de 500 millions d’utilisateurs. Google domine donc son marché.

Au procès, Google utilisera cette domination comme son argument principal expliquant que son moteur de recherche est génial et que tout le monde nous utilise. Le moteur de recherche de Google est aussi particulier dans la mesure où les utilisateurs ne payent pas le service. La division antitrust aura pour tâche de répondre que le moteur de recherche était génial, mais qu’il est devenu nettement moins performant avec le temps avec des résultats de moindre qualité et aussi que Google truffe les réponses de publicité dont la nature n’est pas clairement identifiée.

L’affaire devant les tribunaux a été portée pour la première fois sous Trump en 2020 et poursuivie par Biden. Il s’agit également de la première affaire de monopolisation portée devant les tribunaux par la division Antitrust en 25 ans, depuis Microsoft en 1998. Le gouvernement soutient que Google a le monopole de la recherche générale et de la publicité contextuelle, environ 90 à 95% du marché. Google a maintenu ce monopole, allègue le gouvernement, non pas en fabriquant un meilleur produit, mais en verrouillant partout où les consommateurs pourraient être en mesure de trouver une option de moteur de recherche différente, et en s’assurant qu’ils ne voient que Google.

Comment Google bloque-t-il ses rivaux? Tout simplement en payant 45 milliards de dollars par an pour que les distributeurs refusent de transporter les produits de ses concurrents, signant des accords avec « Apple, LG, Motorola et Samsung ; les principaux opérateurs sans fil américains tels que AT & T, T-Mobile et Verizon ; et les développeurs de navigateurs tels que Mozilla, Opera et UCWeb – pour garantir le statut par défaut de son moteur de recherche général et, dans de nombreux cas, pour interdire spécifiquement aux contreparties de Google de traiter avec les concurrents de Google.

Des pratiques que l’on avait connues avec Microsoft dans les années 1990, quand il a regroupé son navigateur avec son système d’exploitation, et signé des accords avec les FAI pour empêcher son rival navigateur Netscape d’avoir accès aux clients. L’analogie n’est pas une coïncidence, car l’affaire Microsoft est un précédent de contrôle.

Très tôt, l’argument de Google a été que la concurrence n’était qu’à « one click away » mais on voit bien que la situation est bien différente. Clairement, Google s’est évertué à « tuer » ses concurrents. L’exemple de Neeva est représentatif de cette démarche. Selon David Pierce dans le magazine The Verge, « le moteur Neeva était de qualité supérieure, il utilisait un produit d’IA, un moteur de recherche complet et un navigateur privilégiant la confidentialité… Si les gens passaient par tous les tracas de changer, ils devenaient des convertis », a écrit Pierce. « Le problème était que très peu d’entre eux ont réussi à passer le maquis des paramètres et des redirections par défaut. »

Pour Matt Stoller, Directeur du Research at the American Economic Liberties Project  et spécialiste des questions de concurrence. « Si le gouvernement gagne, nous devrions voir une immense innovation et de nouveaux entrants. Si Google gagne, cependant, alors l’apprentissage automatique / IA sera déployé conformément à la façon dont Google, et peut-être Microsoft, choisissent de les déployer, c’est-à-dire lentement, de manière non créative et au service du pouvoir monopolistique ».

Le paysage économique américain est très différent de celui des années 1980 avec de nombreux monopoles ou oligopoles. Une situation en partie liée au fait que les gouvernements successifs les ont laissé se constituer. Par ailleurs, les sociétés comme Google – les GAFAM en général – sont beaucoup plus puissantes et peuvent financer de très solides opérations de lobbying. Par ailleurs, elles constituent des instruments de la puissance américaine dans le monde. Par exemple, Amazon avec AWS, Microsoft et Google, détiennent environ 65 % du marché du cloud computing, essentiel à la transformation numérique des entreprises.

Le résultat de ce procès sera intéressant à plusieurs titres car si le gouvernement gagne, il sera enclin à engagé des actions contre d’autres monopoles du monde numérique. Mais rien n’est moins sûr.

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