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Licenciements, profits et rachats d’actions

Après l’euphorie de 2022 dans l’industrie de la tech, les entreprises américaines ont annoncé des licenciements certes pas au niveau de l’implosion de la bulle internet de 2000 mais significatifs. Plus récent en date de cette série, Microsoft vient de révéler qu’il licenciait 10 000 employés soit un peu moins de 5 % des 220 000 salariés de l’entreprise.

Il y a quelques temps, on parlait des licenciements boursiers pour caractériser des opérations destinées à maintenir le cours de l’action de l’entreprise. Aujourd’hui, les entreprises ont des moyens apparemment plus efficaces en rachetant directement leurs propres actions. Ce qu’elles ne se privent pas de faire. Depuis que c’est légal.

En novembre 2016, David Kostin, stratège en chef des actions chez Goldman Sachs, estimait qu’en 2017, les sociétés du S&P 500 dépenseraient 780 milliards de dollars en rachats, un nouveau record. Elles sont devenues totalement addicts à ce type d’opérations.

Pendant la majeure partie du 20e siècle, les rachats d’actions ont été jugés illégaux parce qu’ils étaient considérés comme une forme de manipulation boursière. Ce qui est la simple réalité. Mais depuis 1982, lorsqu’ils ont été essentiellement légalisés par la SEC, les rachats sont peut-être devenus l’outil d’ingénierie financière le plus populaire de la boîte à à outils à disposition des directions d’entreprise. Et Wall Street les aime : le rachat d’actions d’une entreprise peut gonfler le cours de son action d’une entreprise et augmenter son bénéfice par action : des mesures qui guident souvent les bonus lucratifs des dirigeants.

En 2015, Reuters avait publié un article intitulé : « les rachats d’actions enrichissent les patrons même lorsque les affaires vont mal » (Stock buybacks enrich the bosses even when business sags).

Constat partagé par William Lazonick, professeur émérite d’économie à l’Université du Massachusetts dans l’article Profits Without Prosperity publié par la Harvard Business Review.

Si l’on considère les 449 sociétés de l’indice S&P 500 cotées en bourse de 2003 à 2012 au cours de cette période, ces sociétés ont utilisé 54% de leurs bénéfices – un total de 2 400 milliards de dollars – pour racheter leurs propres actions, presque toutes par le biais d’achats sur le marché libre. Les dividendes ont absorbé 37 % supplémentaires de leurs bénéfices. Cela laissait très peu pour les investissements dans les capacités productives ou des revenus plus élevés pour les employés.

Légal ou illégal ?
Les rachats d’actions étaient illégaux pendant la majeure partie du 20e siècle parce qu’ils étaient considérés comme une forme de manipulation boursière. Mais en 1982, la Securities and Exchange Commission a adopté la règle 10b-18, qui a créé un processus juridique pour les rachats et a ouvert les vannes pour que les entreprises commencent à racheter leurs actions en masse.
Cette décision de la SEC de procéder à ce changement a eu lieu dans le contexte de l’ère de déréglementation du président Ronald Reagan et a coïncidé avec la montée des économistes du « marché libre » prêchant un nouveau type de responsabilité sociale pour les entreprises: augmenter les profits. Ceci explique cela.
(Source : Stock Buybacks Were Once Illegal. Why Are They Legal Now? The SEC changed policy during the Reagan administration in 1982.)

Microsoft est un excellent exemple de cette pratique. Depuis 2010, il a mobilisé 178 milliards de dollars soit près de 45 % de ses bénéfices cumulés sur la période (390 milliards de bénéfices cumulés sur un chiffre d’affaires de 1 391 milliards de dollars ; un ratio bénéfice / chiffre d’affaires de 28 %). Alors que l’action était stable en 2001 et 2012 entre 20 et 30 dollars, elle a pris son envol pour atteindre le maximum de 330 dollars en novembre 2021.

Pourquoi des ressources aussi massives sont-elles consacrées aux rachats d’actions ? Pour William Lazonick, la raison est relativement simple. Les instruments à base d’actions constituent la majorité de leur rémunération et, à court terme, les rachats font grimper les cours des actions. En 2012, les 500 dirigeants les mieux rémunérés ont reçu, en moyenne, 30,3 millions de dollars chacun ; 42 % de leur rémunération provenait d’options d’achat d’actions et 41 % d’attributions d’actions. En augmentant la demande pour les actions d’une entreprise, les rachats sur le marché libre augmentent automatiquement le cours de ses actions, même temporairement, et peuvent permettre à la société d’atteindre ses objectifs de bénéfice trimestriel par action (BPA).

Pour le dire de manière beaucoup plus simple à la manière de Gordon Gecko dans le film Wall Street : « Greed is good, Greed is right, Greed works »

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