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Les tours aiguilles percent le ciel de New York et font de l’ombre aux Newyorkais

Pencil Skyscapers, skinny ou ultra skinny skyscrapers, l’appellation n’est pas encore finalisée, car elle correspond à une tendance de quelques années seulement : construire des immeubles d’habitation dont le ratio entre l’emprise au sol et la hauteur est le plus petit possible. Situé sur la 57e rue, le 111W57 atteindra lorsqu’il sera fini cette année 435 mètres de haut pour un ratio 1/24. Comme ses autres cousins, dont le 432 Park Avenue qui, en 2012, a donné le coup d’envoi de cette nouvelle folie architecturale, Il offrira une vue imprenable sur Central Park.

Ces nouvelles curiosités architecturales sont destinées à une population de nouveaux riches issue de la folie inégalitaire qui s’est emballée depuis les années 80 et qui doivent utiliser leur argent dans de nouveaux placements à la fois sûrs et leur conférant un prestige incomparable. Depuis la crise de 2008, ces acquisitions immobilières ont remplacé ou complété les investissements dans les valeurs mobilières. Le Bûcher des Vanités de Tom Wolfe dopé aux stéroïdes. Cette population de super riches est estimée à 250 000 personnes dont le patrimoine dépasse les 30 millions de dollars dont un tiers a élu résidence aux États-Unis. Et parfois, cette somme ne suffira pas pour s’offrir un petit caprice. Le Penthouse du 432 Park Avenue s’est vendu pour 95 millions de dollars. Autre problème créé par cette nouvelle de constructions, bien souvent, ces appartements ne sont pas réellement occupés par leur propriétaire.

Les gratte-ciel, on le sait, sont le fruit de la combinaison de deux révolutions techniques, l’ascenseur rendu possible grâce à l’électricité et l’acier (alliage du fer et du carbone). Le sous-sol de New York, essentiellement composé de granit a permis de poser ces tours. La course vers le ciel était lancée et chaque année permettait de battre des records. Mais il y a bien longtemps que les plus hauts buildings du monde ne sont plus à New York, dans ce nouvel univers de bâtiments en hauteur, l’Empire State Building fait figure de cathédrale.

Mais New York est le terrain de jeu d’une nouvelle révolution, celle des tours-aiguilles résultant d’améliorations techniques dans la construction et d’exploitation de la réglementation du zoning. A chaque fois, la technique et la réglementation modifient le paysage. Au début du 19e siècle, les premiers bâtiments en hauteur étaient relativement fins (beaucoup moins hauts bien sûr), une contrainte architecturale imposée par le besoin de lumière et la possibilité d’ouvrir les fenêtres. L’éclairage au néon et la climatisation élimineront ces contraintes.

Côté technique, ces nouvelles tours ont été possibles grâce à de nouvelles conceptions architecturales anti-vibrations et capables de résister aux vents les plus furieux. Le béton a été largement amélioré grâce à des ajouts de nouveaux matériaux (fly ash ou cendre volante, scories résiduelles récupérées dans les aciéries, dioxyde de silicium appelé encore fumée de silice…) qui le rend cinq fort plus résistant et lui permet de supporter des charges beaucoup plus lourdes. Pour lutter contre le vent au sommet de la tour qui peut produire des oscillations de plusieurs mètres d’amplitude, des techniques nouvelles sont devenues très efficaces. Parmi celles-ci, la suspension d’une masse de plusieurs centaines de tonnes suspendue en haut de la tour et qui joue le rôle d’amortisseur. Il est également possible de placer une masse importante d’eau en haut de la tour – une piscine – qui permet d’absorber les vibrations.

Et ces nouvelles techniques ont permis de contourner la réglementation (zoning) pour en exploiter des failles. L’histoire du zoning remonte à loin et commence par une décision de justice en 1797 dans l’affaire Slate V. David selon laquelle le propriétaire d’un terrain est également propriétaire de ce qui est en dessous et au-dessus (contrairement au droit français[i] : La législation française du droit du sous-sol, le code minier et ses réformes).

Dans un de ses derniers rapports qui fait le point sur cette question des nouvelles tours-aiguilles, le Municipal Art Society of New York (Mas), une organisation de défense de l’urbanisme de la ville présente l’histoire du zoning à New York.

En 1915 est inauguré l’Equitable, un immeuble massif de 40 étages qui changeait considérablement son environnement immédiat : création de vent, ombre, réduction du trottoir). L’année suivante, la ville de New York adopte sa première réglementation de zoning dont un des principaux objectifs était de séparer les espaces de la ville attribués aux industries (il faut se souvenir que de nombreuses industries étaient encore présentes dans la ville), les commerces et les résidences. Amendée année après année pour des raisons techniques, sociales et physiques, cette réglementation avait abouti a un ensemble de règles contradictoires. De telles sortes qu’en 1961, la ville adopte une nouvelle réglementation qui introduit le concept de Floor Area Ratio (FAR) en vue de maîtriser la densité de constructions.

A nouveau, des amendements successifs ont modifié cette nouvelle réglementation qui, face aux dernières évolutions en matière de techniques de construction, donne pour résultat la construction de ces nouvelles tours aiguilles lorsqu’on les combine aux règles de « air rights transfer » et « zoning lot mergers ». La première règle (Air Rights transfert) permet à un promoteur de racheter les volumes de construction d’une construction adjacente qui n’ont pas été utilisés. Pour cela, il suffit d’une connexion d’un mètre seulement entre les deux terrains. En rachetant des petits bouts de terrain qui finissent par devenus de véritables patchworks, il est ainsi de construire des hauteurs beaucoup plus importantes que ne le permettait la dimension du terrain initial. Une nouvelle réglementation introduite en 1968 assouplissait encore l’air rights transfer en permettant de rachetant des volumes de terrains situés de l’autre côté de la rue ou du block. Certains proposeraient mettre de le rendre possible au sein d’un quartier de la ville.

C’est ainsi que le promoteur Gary Barnett a mis plus de quinze pour assembler suffisamment d’air rights transfert pour construire le One57. Pour les vendeurs, c’est tout bénéfice, car ils peuvent récupérer des ventes qui n’avaient pas été vraiment prévues et pour les acheteurs c’est la possible de construire plus d’appartements. Pour le comprendre, il suffit d’observer les prix ci-dessous.

Average price per square foot

  • For a Manhattan condo: $1,781
  • For Manhattan air rights: $225
  • For national housing: $64.44

A la suite de ces nouvelles techniques et à ces moyens de contourner le zoning, on compterait une centaine de projets de supertours qui pourraient, à horizon 2025, changer radicalement la skyline de New York. Sans parler des nuisances dont la création d’ombres portées un peu partout dans la ville, en particulier sur Central Park. Parmi les idées pour mieux contrôler ces nouvelles constructions, limiter le pourcentage d’air rights transfer dans une construction. Une bataille est donc engagée pour préserver ce que Le Corbusier avait qualifié de « magnifique catastrophe ».

« Des centaines de fois j’ai pensé que New York est une catastrophe, et une cinquantaine de fois : c’est une magnifique catastrophe ».
Le Corbusier

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[i]
La législation française du droit du sous-sol, le code minier et ses réformes. En France, le droit du sol n’est pas le même qu’aux États-Unis. Si dans ce pays, un propriétaire détient aussi les ressources minières de son terrain, le droit du sous-sol français a été modifié par le Code minier de 1810. Toute ressource minière sur leterritoire français appartient à l’Etat. Mais le Code qui réglemente l’exploitation de ressources gazières, minérales ou pétrolifères n’a été que peu de fois remis à jour et tous les acteurs (collectifs, industries pétrolières, etc.) sont en accord pour demander une révision de ce Code minier, devant prendre en compte de nouveaux enjeux comme le développement durable, le bilan énergétique mais aussi de nouvelles ressources, captéespar des techniques peu connues des autorités de surveillance minière, comme leshydrocarbures de schiste.

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