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Le test de l’Ukraine

La Chine devait être le principal problème de l’administration Joe Biden. La Russie s’est rappelé à son bon souvenir en réactivant une crise commencée il y a déjà plusieurs années. « The world is on the brink of the largest military offensive in Europe since World War II » affirment Alexander Vindman and Dominic Bustillos[1] dans une article intitulé « The Day After Russia Attacks, What War in Ukraine Would Look Like – and How America Should Respond » publié par le magazine Foreign Affairs.

La Russie considère que l’Occident, en favorisant l’adhésion à l’OTAN de pays sur son flanc Ouest empiète sur sa sphère d’influence et constituant ainsi une sorte d’encerclement qu’elle ne peut supporter. Les Etats-Unis considèrent que les pays doivent avoir le choix de leur destin et la maîtrise de leurs frontières. Et l’Europe est prise en étau dans cette contradiction. Pour Frederik Kempe[2], Poutine ne menace pas seulement l’Ukraine mais les principes énoncés après la fin de la guerre froide, avec d’un côté une démocratie en difficulté et de l’autre un autocrate qui entre dans sa troisième décennie de régime autoritaire. Et une Europe prise entre les deux et pas encore à même de prendre en main sa propre destinée. Quant à l’OTAN, on la pensait obsolète, en « état de mort cérébrale » avait déclaré Emmanuel Macron dans un entretien avec The Economist en novembre 2019. C’était peut-être aller un peu vite en besogne..

Les pays fondateurs en 1949 : Belgique, Canada, Danemark, États-Unis, France, Islande,
Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni

Annexion des pays périphériques par la Russie

« Those principles established in the wake of two world wars and a cold war, reject the right of one country to change the borders of another by force; to dictate to another the policies it pursues or the choices it makes, including with whom to associate; or to exert a sphere of influence that would subjugate sovereign neighbors to its will », déclarait Antony Blinken, secrétaire d’état à Berlin jeudi dernier. « To allow Russia to violate those principles with impunity would drag us all back to a much more dangerous and unstable time, when this continent and this city were divided in two, separated by no man’s lands, patrolled by soldiers, with the threat of all-out war hanging over everyone’s heads. It would also send a message to others around the world that these principles are expendable, and that, too, would have catastrophic results. »

Cette crise ukrainienne est en fait une réactivation d’une crise larvée qui dure depuis deux décennies. En 2004, les révolutions rose en Géorgie et orange en Ukraine distendent les relations de ces deux pays avec la Russie. En Ukraine, un président pro-occidental, Viktor Iouchtchenko, remplace un président pro-russe, Viktor Ianoukovytch. Mais ce dernier reprend le pouvoir en 2010 et engage des négociations pour un accord de partenariat avec l’Union européenne. Mal perçu par la Russie, Poutine fait une contre-offre et emporte la mise. Une volte-face peu appréciée des Ukrainiens qui protestent sur la grande place de Kiev, Maïdan, devenue célèbre dans le monde entier. Un nouveau gouvernement peu amène à la Russie est mis en place provoquant une riposte de cette dernière en annexant la Crimée et en déstabilisant l’Est du pays, principalement le Donbass, aidé en cela par des mouvements indépendantistes. Les accords de Minsk de 2015 ne règlent rien mais installe une sorte de statu quo fragile.

Vladimir Poutine a donc réactivé un conflit latent en déployant 130 000 hommes et tout l’équipement militaire nécessaire à une invasion pour faire pression sur les Occidentaux en demandant aux Etats-Unis une note écrite stipulant que l’Ukraine et la Biélorussie n’adhéreraient jamais à l’OTAN et en retirant les missiles installés en Europe et pointant sur son territoire. Une demande que Joe Biden ne peut en aucun cas satisfaire. La guerre est désormais suspendu aux discussions diplomatiques entre les différents protagonistes. Après la dislocation de l’URSS, le terrorisme islamiste et la montée en puissance de la Chine, on avait un peu oublié la guerre froide. Chassée par la porte de la fin de l’histoire, la guerre froide revient par la fenêtre du néo-impérialisme russe.

Dans cette confrontation, Vladimir Poutine, en excellent tacticien, a clairement l’avantage. Il intervient face à des Etats-Unis affaiblis par les deux guerres d’Afghanistan et d’Irak et une polarisation intérieure sans précédent et une Europe peut prête à parler d’une même voix. Dans un article intitulé The Kremlin’s Strange Victory, How Putin Exploits American Dysfunction and Fuels American Decline, Fiona Hill[3] montre comment Vladimir Poutine prend avantage d’une Amérique dysfonctionnelle et déclinante, une situation à laquelle le prédécesseur de Joe Biden a activement contribué. Alors que les Etats-Unis espéraient que la Russie évoluerait vers la démocratie et se rapprocherait des pays européens, ce sont les Etats-Unis qui se sont rapprochés vers les régimes illibéraux et populistes.

Fiona Hill rappelle le lamentable épisode du sommet d’Helsinki lors duquel Donald Trump semblait accorder plus de crédit à la parole de Vladimir Poutine qu’à celle de ses propres agences de renseignement : « My people came to me… They said they think it’s Russia. I have President Putin; he just said it’s not Russia. I will say this. I don’t see any reason why it would be… But I have confidence in both parties… I have great confidence in my intelligence people, but I will tell you that President Putin was extremely strong and powerful in his denial today. » A la lumière des derniers développements de cette crise, l’ancien président qui mangeait dans la main de Poutine ose écrire sur son site donaldtrump.com avec des analyses toujours aussi fines : « What’s happening with Russia and Ukraine would never have happened under the Trump Administration. Not even a possibility! »

De très nombreux observateurs considèrent que le conflit militaire est assez peu probable et que Vladimir Poutine crée un rapport de force favorable avec comme objectif de produire une Ukraine faible et dépendante. Sachant qu’un dérapage ne peut pas être exclus. Même si Vladimir Poutine donne l’impression d’être beaucoup plus prêt à faire la guerre que les Etats-Unis qui ont jusqu’ici plutôt mis en avant des sanctions certes sévères mais seulement économiques et d’aide militaire à l’Ukraine. Même si elle a mis en alerte 8500 hommes et déployé des équipements militaires dont le porte-avions USS Harry S. Truman Carrier en mer méditerranée. Rappelons que l’Ukraine ne fait pas partie de l’OTAN qui n’a donc aucune obligation. Le cas serait différent s’il s’agissait des pays baltes, tous les trois dans l’Organisation.

Dans une note détaillée, le think tank Center for Strategic International Studies développe six options militaires pour la Russie (Russia’s Possible Invasion of Ukraine) par ordre croissant :

  1. Redeploy some of its ground forces away from the Ukrainian border—at least temporarily—if negotiations are successful but continue to aid pro-Russian rebels in Eastern Ukraine.
  2. Send conventional Russian troops into the breakaway regions of Donetsk and Luhansk as unilateral “peacekeepers” and refuse to withdraw them until peace talks end successfully and Kiev agrees to implement the Minsk Accords.
  3. Seize Ukrainian territory as far west as the Dnepr River to use as a bargaining chip or incorporate this new territory fully into the Russian Federation.
  4. Seize Ukrainian territory up to the Dnepr River and seize an additional belt of land (to include Odessa) that connects Russian territory with the breakaway Transdniestria Republic and separates Ukraine from any access to the Black Sea. The Kremlin would incorporate these new lands into Russia and ensure that the rump Ukrainian statelet remains economically unviable.
  5. Seize only a belt of land between Russia and Transdniestria (including Mariupol, Kherson, and Odessa) to secure freshwater supplies for Crimea and block Ukraine’s access to the sea, while avoiding major combat over Kiev and Kharkiv.
  6. Seize all of Ukraine and, with Belarus, announce the formation of a new tripartite Slavic union of Great, Little, and White Russians (Russians, Ukrainians, and Belarusians).

Pour les auteurs, les deux premières sont les moins susceptibles d’entraîner des sanctions internationales importantes, mais ont une chance limitée de réaliser une percée sur les questions de l’OTAN ou sur les accords de Minsk en raison de leur nature coercitive. Toutes les autres options entraîneraient des sanctions internationales majeures et des difficultés économiques et seraient contre-productives pour l’objectif d’affaiblir l’OTAN ou de découpler les États-Unis de leurs engagements envers la sécurité européenne.

« Si vis pacem, para bellum », dit-on. « Si vis bellum, para bellum » pense sans doute Vladimir Poutine.

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[1] ALEXANDER VINDMAN, a retired U.S. Army Lieutenant Colonel and former Director for European Affairs at the National Security Council, is a Senior Fellow at the Johns Hopkins School of Advanced International Studies Foreign Policy Institute and the author of Here, Right Matters: An American Story.
DOMINIC CRUZ BUSTILLOS is a Research Associate at the Lawfare Institute.

[2] Fred Kempe is the president and chief executive officer of the Atlantic Council.

[3] FIONA HILL is Robert Bosch Senior Fellow at the Center on the United States and Europe in the Foreign Policy Program at the Brookings Institution and the author of There Is Nothing for You Here: Finding Opportunity in the Twenty-first Century (Mariner Books, 2021), from which this essay is adapted.

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