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Faut-il continuer à aider l’Ukraine ?

« In this time of uncertainty, we have a clear way forward:
Help Ukraine defend itself.
Support the Ukrainian people.
Hold Russia accountable. »

Tel était le message signé par Antony J. Blinken, Secrétaire d’Etat, publié sur le site du ministère des affaires étrangères américain depuis le 7 avril, qui se décline sur les différents aspects, militaires, économiques et humanitaires. La dimension diplomatique n’est pas très présente.

Depuis le 6 mai, le Secrétaire d’Etat a modifié son message dans les termes suivants :

« We will continue to act with our allies and partners in imposing costs on Russia if it continues its war of choice. »

Au début de la guerre, de nombreux gouvernements, dont celui des Etats-Unis, avaient des doutes sur les capacités de l’armée ukrainienne. Et puis, les semaines passant, la résistance dont ont fait preuve les Ukrainiens et leur président a forcé l’admiration et donné corps à l’idée que l’armée russe n’était peut-être pas aussi invincible que l’on ne pensait. Après un commencement très prudent où il avait d’emblée déclaré que les Etats-Unis n’enverraient pas de soldats sur le sol Ukrainien, Joe Biden[1] a musclé son discours – en qualifiant Poutine de « tueur » et l’opération en Ukraine « de génocide » – et a augmenté considérablement l’aide à l’Ukraine. La semaine dernière, il a demandé au Congrès de voter une enveloppe de 33 milliards de dollars dont 20 milliards en équipements militaires, la moitié du budget militaire français hors pensions.

Certains approuvent largement, d’autres, de plus en plus nombreux, se demandent si cela est raisonnable et productif. C’est le cas de Luc Ferry, (sur LCI dimanche soir 1er mai et sur Radio Classique le lendemain matin) qui déclare tout de go qu’il faut arrêter de livrer des armes à l’Ukraine car c’est les encourager à poursuivre la guerre. Et qu’il faut stopper illico les achats de gaz et de pétrole russes. (Pour mémoire, l’Europe en achète chaque jour pour 700 M€ soit 48 milliards depuis le début du conflit). Autant cette dernière proposition est frappée au coin du bon sens – même si elle est difficile à mettre en œuvre immédiatement – autant la première est pour le moins problématique. 

Les Américains se lancent dans cette fuite en avant en livrant des armes car c’est leur intérêt que la guerre se poursuive, considère l’ancien ministre de l’Education Nationale. Ils vendent déjà leurs équipements aux pays qui ont décidé de doper leur défense nationale comme l’Allemagne (F35 notamment). Ils en récolteront les fruits après la guerre, en vente de produits (pétrole et gaz notamment, blé, centrales nucléaires…), dans l’effort de reconstruction. Les Etats-Unis ont intérêt à la guerre, les Européens à la paix. Rien que ça.

On croirait presque entendre Jean-Luc Mélenchon dont l’anti-américanisme (plutôt nord-américanisme) ne cède le pas qu’à l’anti-germanisme ou à l’antieuropéanisme. Ou encore Noam Chomsky dans une interview récente qui considère Donald Trump comme le seul homme d’état à avoir vu juste sur le conflit entre l’Ukraine et la Russie.

L’argument qui milite dans l’arrêt de la livraison d’armes est qu’elle permet aux Ukrainiens de poursuivre la guerre et donc fera encore beaucoup de morts. Ce sera donc horrible. Depuis quelques jours, cette aide, qui va croissant donnerait presque le sentiment aux Ukrainiens qu’ils peuvent gagner la guerre. Une chose est sûre, Vladimir Zelensky est très demandeur de cette aide que l’Ouest, les Américains et les Anglais en tête, sont prêts à lui accorder.

Mais quelle aurait été la conséquence de ne pas livrer d’armes aux Ukrainiens et de pas l’augmenter ? Ils auraient peut-être déjà perdu ce conflit et les Russes auraient pris le contrôle de ce territoire en le « dénazifiant » et en éradiquant la nation ukrainienne qui n’a pas d’existence propre selon les expressions de Poutine. En excellent communicant, Vladimir Zelensky nous a bien expliqué que, par-delà l’Ukraine, c’est l’Occident tout entier qui était visé. Après la Géorgie, la Transnistrie, la Crimée et maintenant l’Ukraine, quel pays sera le prochain : la Moldavie, la Roumanie… ?

L’administration Biden jouerait-elle sur tous les tableaux : se présenter comme le leader du monde libre en apportant une assistance massive à l’Ukraine, empocher maintenant et ensuite les dividendes de la guerre avec de juteux contrats, affaiblir durablement la Russie, envoyer un message à la Chine, en particulier en la prévenant tout avancée sur Taiwan, et enfin capitaliser sur le rôle joué par les Etats-Unis dans les prochaines élections de mi-mandat avec un argument de poids contre les républicains. Cela fait sans doute un peu beaucoup. Le cynisme des démocrates serait-il aussi développé ? Bien sûr, la situation est assez confortable pour l’administration américaine : la guerre ne se déroule pas sur son continent et elle n’implique pas de boys. L’impact négatif que pourrait avoir cet engagement sur l’opinion publique est donc limitée.

Autre objectif complémentaire recherché par l’administration Biden, laver la honte du retrait de Kaboul, de l’abandon des Kurdes en Irak et en Syrie et plus généralement la tache que constituent les années Trump dans la communauté internationale (Bernard-Henri Levy sur LCI).

Pour ce qui est de l’aide militaire, les Etats-Unis sont loin devant toutes les autres nations. « Avec un budget de défense de 800 milliards de dollars, ils sont à part », expliquait le général Palomeros, ancien chef d’état-major de l’Armée de l’air et commandant allié Transformation au sein de l’OTAN (L’invité de la matinale de Radio Classique du 5 mai). « Ils ont mis le paquet et on ne peut que s’en satisfaire ».  

Les Ukrainiens peuvent-ils gagner la guerre ? Personne ne le sait vraiment mais une chose est sûre : que les Russes ne puissent pas la gagner montre à la face du monde qu’ils l’ont perdu. Beaucoup de politiques et d’analystes réclament à juste titre de maintenir un canal diplomatique actif en parallèle aux opérations militaires. Mais n’est-on pas en meilleure posture pour négocier lorsqu’on a un avantage sur le terrain ?  « Il faut forcer Poutine à négocier en lui montrant qu’il ne peut pas gagner » résume le général Palomeros. Et pour cela, il faut continuer à aider militairement les Ukrainiens.

Jusqu’où faut-il aller afin de ne pas passer du statut de soutien à celui de cobelligérant ou de belligérant et ainsi déclencher la 3e guerre mondiale ? On peut avancer la règle simple que l’envoi de troupes sur le terrain est la ligne rouge. Il y aurait aussi une autre manière de le définir : Un pays est belligérant dans ce conflit lorsque Vladimir Poutine le décide, puisque ce dernier ne s’appuie sur aucune référence juridique. N’est-ce pas là une discussion comparable à celle de définir les armes offensives ou défensives ou le sexe des anges ? Vladimir Poutine n’a-t-il pas les cartes en main : il lui suffirait d’engager une simple incursion dans un pays de l’OTAN pour déclencher l’article 5.

Maintenant, quel devrait être l’objectif raisonnable de ce conflit sur lequel les deux partis pourraient négocier : que les Russes se retirent de l’Ukraine et reviennent à la situation d’avant le 24 février, et pourquoi avant la prise de la Crimée. Mais est-ce réaliste ? On peut en douter. Et les pays qui soutiennent l’Ukraine ne seront-ils pas tenter de pousser l’Ukraine à négocier un objectif beaucoup ambitieux en échange d’une paix aussi instable et mal définie soit-elle ? Un compromis qui s’apparente à de la compromission. On aura peut-être une première réponse lors de la visioconférence des dirigeants du G7 dimanche 8 mai avec la participation exceptionnelle de Volodymyr Zelensky[2].


[1] A la proposition de l’exfiltrer d’Ukraine, Volodymyr Zelensky avait répondu à Joe Biden qu’il n’avait pas besoin d’un taxi mais d’armes

[2] Rappelons que le G7 était devenu le G8 en 1997 en s’élargissant à la Russie et redevenu le G7 après l’annexion de la Crimée en 2014. La Russie s’en est définitivement retirée en 2017.

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