C’est en fanfare que Donald Trump avait annoncé la création du DOGE (Department Of Government Efficiency), un département – au sens de ministère – qui n’en était pas un, avec au départ une direction bicéphale, Elon Musk et Vivek Ramaswamy, le premier qui avait lourdement financé la campagne de Donald Trump, le second qui avait été un opposant malheureux des primaires républicaines. L’objectif était d’améliorer l’efficacité de l’administration et chasser le gaspillage et la fraude (Waste, Fraud and Abuse). Dans une première étape d’efficacité, la direction fut ramenée à une seule tête, Vivek Ramaswamy ne pesant pas très lourd face à Elon Musk, a préféré poursuivre dans la politique en donnant pour objectif le gouvernorat de l’Ohio.
Avec une équipe de jeunes hackers, Elon Musk est allé dans les différents ministères pour récupérer autant d’informations numériques qu’ils le pouvaient. Le patron de Tesla a reproduit les méthodes brutales qu’il a peaufinées dans ses entreprises. Il a favorisé le départ de milliers de fonctionnaires avec des méthodes on ne plus critiquables.
Elon Musk avait promis de réduire le budget fédéral de 2 000 milliards de dollars (sur un total 7 000 milliards), avant de revoir à la baisse ses ambitions : d’abord à 1 000 milliards, puis à 150 milliards. Et même ce dernier objectif semble hors de portée. En février, le site du DOGE prétendait avoir économisé 55 milliards par an. Mais seuls 16,5 milliards étaient justifiés, dont 8 milliards résultant d’une simple erreur de frappe sur un contrat de 8 millions. En corrigeant les erreurs (annulations fictives, doublons, contrats périmés), les économies réelles s’élèveraient à seulement 2 milliards.
Dans un article publié par le magazine The Atlantic (The Actual Math Behind DOGE’s Cuts
If you thought Elon Musk was really trying to cut costs, you weren’t in on the joke), Jessica Riedl, senior fellow au Manhattan Institute, spécialiste des questions budgétaires et fiscales, montre la totale supercherie.
Actuellement, DOGE affirme avoir atteint 165 milliards d’économies, mais ses chiffres restent partiellement détaillés et truffés d’erreurs comptables. Un exemple fréquent est l’annulation de crédits non entièrement utilisés, présentée comme une économie du montant maximal. En supposant une amélioration de la rigueur du site, les économies réelles atteindraient tout au plus 15 milliards par an, soit à peine 0,2 % du budget fédéral.

Le meilleur moyen de mesurer l’impact de DOGE est de consulter les données du Trésor américain. Celles-ci montrent que les dépenses fédérales ont en réalité augmenté : +7 % entre février et mars 2025 par rapport à l’année précédente, soit environ 500 milliards de dollars sur une base annuelle. Les principaux postes de dépenses — Sécurité sociale, Medicare, Medicaid, défense, retraites des anciens combattants, intérêts de la dette — sont restés intacts. DOGE s’est concentré sur des cibles mineures et symboliques : abonnements au magazine Politico, contrats DEI (diversité, équité, inclusion), etc.
Les réductions les plus visibles concernent la santé publique et l’aide étrangère. Les budgets des NIH (instituts de santé) et de la HRSA (aide aux soins pour familles défavorisées) ont chuté, passant de 8,2 à 7,1 milliards par mois. L’aide internationale est également réduite : les fonds pour la santé mondiale (HIV, tuberculose, paludisme) ont diminué de moitié, à 400 millions par mois, et les versements aux Nations unies ont cessé. USAID a vu ses dépenses mensuelles baisser d’un tiers.
Quant aux suppressions de postes dans la fonction publique, elles sont invisibles dans les chiffres. Même licencier un quart des 2,3 millions d’employés fédéraux ne permettrait de réduire le budget que de 1 %. Le départ volontaire de 75 000 agents permettra certes une économie estimée à 10 milliards par an (0,1 % du budget), mais elle sera en partie annulée par le recours à des sous-traitants plus coûteux.
À l’avenir, DOGE aura du mal à identifier des coupes politiquement acceptables. Les premières cibles (fonctionnaires, étrangers, intellectuels, minorités) étaient politiquement faciles. Mais réduire les services aux anciens combattants ou à la Sécurité sociale suscite déjà la colère de l’électorat républicain. De plus, la plupart des coupes non votées par le Congrès seront probablement annulées par la justice.
Paradoxalement, DOGE pourrait aggraver le déficit à long terme. En affaiblissant l’IRS en poussant les fonctionnaires à démissionner, il favorise l’évasion fiscale. En supprimant les agents de recouvrement des prêts étudiants, il réduit les rentrées fiscales. De nombreux fonctionnaires licenciés ont été réintégrés avec effet rétroactif, générant des coûts juridiques sans économies.
Même si DOGE parvenait à générer quelques économies, elles seraient noyées dans les projets républicains d’extension des baisses d’impôts de 2017, évalués à 500 milliards par an. L’idée que les États-Unis ne peuvent plus financer 0,1 % de leur budget pour soigner 20 millions d’Africains paraît hypocrite.
DOGE n’est donc pas un réel projet d’efficacité budgétaire, mais plutôt un outil de purge administrative, de revanche politique et de renforcement du pouvoir personnel de Musk, y compris l’accès à des données sensibles et la sécurisation de contrats publics pour ses entreprises. Ces derniers temps, face à l’échec patent par rapport aux objectifs initiaux, Elon Musk a dispau de la circulation.