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De nouveau alliés mais toujours concurrents

« L’achat des F-35 est une insulte à l’armée européenne de la défense »

Jacques Attali – Radio Classique – 16 mars 2022

Dans une véritable révolution copernicienne causée par l’invasion russe en Ukraine, les Allemands, à la faveur de leur nouveau chancelier Olaf Scholz a donc décidé de faire de l’Allemagne un acteur de poids dans le domaine de la défense et de quitter cette position de nain géopolitique. Il a notamment annoncé un renforcement important de son budget militaire (qu’on pourrait aussi qualifier de rattrapage) et a décidé de livrer des armes à l’Ukraine (lance-roquettes, missiles Stinger et véhicules blindés). Avec une décision corollaire lourde de conséquences : l’arrêt de NordStream 2 et la sortie à terme de la dépendance énergétique russe de l’Allemagne (qui importe 55 % de son gaz naturel de Russie). Une décision d’autant plus remarquable qu’elle est prise dans la cadre de la coalition tricolore incluant notamment les Verts. Olaf Scholz a annoncé de débloquer un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour moderniser l’armée allemande.

Ce virage à 180 degrés – qui était dans les tuyaux depuis plusieurs années – devrait être considéré comme un élément positif pour une Europe de la Défense (avec des contours encore non définis : comme une addition des forces existantes notamment françaises, comme une véritable armée européenne ou encore comme une succursale européenne de l’OTAN) et aussi bon pour l’industrie française de l’armement.

Et là, c’est un peu la douche froide. Dans la foulée de cette annonce historique, Berlin annonçait la modernisation de sa flotte d’avions de combat avec une commande allant jusqu’à 35 F-35, l’avion fabriqué par le constructeur américain Lockheed Martin. Seuls ceux qui veulent être surpris le sont car cette décision était tout sauf une surprise. L’Allemagne est sans aucune doute européenne mais elle doit aussi ménager ses exportations automobiles aux Etats-Unis. Eric Trappier, le Pdg de Dassault Aviation, l’avait lui-même annoncé. Il y a des raisons techniques (les Rafale ne sont pas homologués pour embarquer les bombes nucléaires tactiques américaines) mais ce ne sont sans doute pas les plus importantes. Les Américains poussent leurs pions comme ils peuvent pour atteindre leurs objectifs. Et l’OTAN n’est-elle pas un puissant levier favorisant leurs propres équipements ? Déjà, une dizaine de pays européens membres de l’OTAN ont passé commandes du F-35.

De son côté, le Rafale a eu beaucoup de mal à décoller. Soutenu par les commandes de l’armée française, il n’avait pas réussi à convaincre des états étrangers alors qu’il s’agissait « du meilleur avion du monde ». L’efficacité sur les théâtres d’opération en Libye et en Afghanistan aurait joué un rôle déclencheur. C’est ainsi que l’Egypte a été le premier acquéreur avec une commande d’une vingtaine d’avions. Depuis, les commandes se sont multipliées permettant à l’avion français de devenir un produit d’exportation (A la fin 2021, Dassault Aviation aurait vendu plus de 400 Rafale). Mais c’est encore moins que les ventes de F-35 qui seraient de l’ordre du plus du double.

A court terme, cette décision allemande est un mauvais coup et une mauvaise nouvelle (même si elle était prévisible) pour la France mais aussi pour l’Europe. La ministre de la Défense allemande Christine Lambrecht a déclaré en substance qu’il fallait aller vite et qu’après un examen approfondi de toutes les options, l’Allemagne avait retenu les F-35 en raison de cette homologation à embarquer des bombes nucléaires. Soit !

Mais à long terme ? Est-ce que cette initiative remet en cause le projet d’avion européen (système de combat aérien du futur) lancé par la France, l’Espagne et l’Allemagne, prévu pour voir le jour en 2040. « We are ensuring a strong German role in the future FCAS system, because…we still intend to gradually replace the Eurofighter with the next-generation fighter FCAS from 2040 and to realize the program trinational FCAS as an example of European cohesion, » a précisé Christine Lambrecht. Mais ce ne sont que des paroles verbales comme on dit un peu trivialement qui n’engagent que ceux qui les écoutent. Mais il est clair qu’il ne renforce pas le projet d’avion européen. Quant à Dassault, qui s’est engagé avec Airbus mais qui attend encore un accord de son partenaire potentiel, l’avionneur français assure avoir un plan B.

Dans l’affaire du contrat des sous-marins australiens, les Etats-Unis ont joué vilain tour à la France avec le concours de l’Australie et du Royaume-Uni. Dans l’affaire présente, le mauvais coup a été porté par l’Allemagne qui devrait portant être notre meilleur allié.


(Source : Le Parisien)

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