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Elon Musk en long, en large et en travers

Ci-dessous un résumé de l’essai Corporate Populism: Musk’s Challenge to the Rule of Law and Equity, Kate Jackson, J.D., Ph.D. Associate Professor of Law, University of Cincinnati College of Law

Dans leur domaine respectif, la politique et les affaires, Donald Trump et Elon Musk même combat : le populisme.

« Et le populisme, qu’il soit corporatif ou autre, n’a pas de contrôles internes. Il n’arrêtera pas sa marche pour coloniser tous les systèmes de gouvernance. Il faut au contraire y mettre fin ».

Le succès d’Elon Musk et de ses entreprises défie l’entendement. L’action Tesla grimpe alors même qu’elle subit le genre de revers qui équivaudraient à un traumatisme grave dans n’importe quelle autre entreprise. Elon Musk et les conseils d’administration de ses entreprises violent régulièrement leurs obligations fiduciaires – et leurs actionnaires continuent de les remercier en approuvant des plans de rémunération époustouflants et en achetant des participations plus importantes.

Malgré la participation minoritaire d’Elon Musk dans l’entreprise, le conseil d’administration de Tesla agit plus comme un porte-parole que comme l’organe suprême du gouvernement des entreprises. Dépourvus de tout vocabulaire pour expliquer le phénomène, les universitaires et les journalistes utilisent des mots comme « culte » et « charisme », « célébrité » et « superstar ». Certains pointent du doigt le problème fondamental de l’oligarchie : les oligarques obtiennent ce qu’ils veulent, au diable la loi.

Être milliardaire, c’est être libre des régulateurs, des tribunaux et même des inconvénients d’une opinion publique négative. Plutôt que d’étudier la personnalité d’Elon Musk, pourquoi ne pas étudier la racine du problème : la corruption de la démocratie par le capitalisme ? Pourtant, pourquoi Musk est-il si riche ? Sa richesse, principalement basée sur sa participation dans les entreprises qu’il gère, semble détachée des fondamentaux des affaires. Pendant ce temps, de nombreux spécialistes du droit des affaires haussent les épaules : tant que les actionnaires sont satisfaits et continuent de gagner de l’argent, pourquoi les tribunaux du Delaware, chargés de protéger les actionnaires, lui ont-ils été si hostiles ? Pourquoi s’embêter à regarder plus profondément ?

Cet essai suggère que nous devrions en effet examiner plus profondément la gouvernance d’entreprise d’Elon Musk. « Donner aux gens ce qu’ils veulent » n’est pas une bonne chose sans réserve. En fait, la théorie politique et la science politique étudient depuis longtemps le pouvoir populaire et le risque qu’il représente non seulement pour l’État de droit, mais aussi pour la démocratie constitutionnelle libérale elle-même. À savoir, je soutiens que les théories du populisme peuvent fournir beaucoup d’éléments à ceux qui cherchent à comprendre ce qui se passe chez Twitter, Tesla, SpaceX et Neuralink. Une fois que l’on voit Elon Musk plus comme Donald Trump que Jamie Dimon, CEO de JP Morgan, plus comme Jair Bolsonaro que Jeffrey Immelt, ex-CEO de General Electric, plus comme Victor Orban que Bob Iger, ex-CEO de Walt Disney, alors on obtient plus de clarté sur la rhétorique, les tactiques et la performance d’Elon Musk que la plupart des études en droit des affaires.

I. Introduction

Le succès d’Elon Musk et de ses entreprises, notamment Tesla, X (ex-Twitter) et SpaceX, défie les théories classiques du droit des affaires. Malgré de graves manquements à leurs obligations fiscales et autres, les conseils d’administration de ces sociétés continuent à soutenir Elon Musk, et les actionnaires, loin de s’indigner, le récompensent avec des plans de rémunération extravagants. Face à ce phénomène, les observateurs invoquent son charisme, sa célébrité ou encore le culte de la personnalité qui l’entoure. Pourtant, selon Kate Jackson, ces explications superficielles masquent un phénomène plus grave : la montée d’un populisme d’entreprise qui menace l’État de droit et les fondements mêmes de la démocratie constitutionnelle.

II. La maladie : Définir le populisme

Kate Jackson s’appuie sur la politologue Nadia Urbinati pour présenter le populisme comme une « maladie » des démocraties représentatives. Le populisme naît du décalage entre les promesses démocratiques et la réalité de leur mise en œuvre, en prétendant restaurer le pouvoir du peuple tout en sapant les institutions libérales qui permettent le pluralisme, la séparation des pouvoirs et la protection des minorités.

Trois approches principales sont retenues :

  • Le populisme comme discours : il divise la société entre un « peuple authentique » et une « élite corrompue ».
  • Le populisme comme stratégie politique : il repose sur un leader charismatique qui cherche à établir un lien direct avec les masses.
  • Le populisme comme pratique culturelle : il se manifeste par la transgression des codes établis et la valorisation du « bas » contre le « haut ».

III. Le pronostic : Le populisme au pouvoir

Une fois au pouvoir, les leaders populistes cherchent à saper la démocratie constitutionnelle de l’intérieur. Cela passe par :

  • La concentration du pouvoir exécutif : le leader se place au-dessus des lois, contournant la séparation des pouvoirs.
  • La subversion des processus électoraux : il manipule les règles du jeu électoral pour assurer sa réélection et exclure l’opposition.
  • La purge de l’appareil administratif : les fonctionnaires et juges non loyaux sont évincés et remplacés par des fidèles.
  • La suppression des minorités : les opposants politiques, les médias critiques et les organisations de la société civile sont ciblés.
  • Des politiques capricieuses : en l’absence de contre-pouvoirs, le leader gouverne par décret, imposant des décisions incohérentes ou impulsives.

IV. Pourquoi parler de populisme d’entreprise ?

Bien que les entreprises ne soient pas des États, Kate Jackson soutient qu’elles partagent plusieurs caractéristiques essentielles :

  • Un “demos” : actionnaires, salariés, clients forment une communauté gouvernée par des règles collectives.
  • Une structure constitutionnelle : chartes, statuts, conseils d’administration jouent un rôle analogue à celui des constitutions politiques.
  • Des mécanismes électoraux : votes des actionnaires, nominations, droits de regard.

Comme les démocraties libérales, les entreprises peuvent donc être subverties par une logique populiste si un leader charismatique prétend incarner la volonté du peuple-actionnaire, rejette les contre-pouvoirs, et marginalise les voix dissidentes.

V. Le diagnostic : Elon Musk et le populisme d’entreprise

A. Une rhétorique populiste

Elon Musk oppose systématiquement un « peuple authentique » — souvent masculin, blanc, libertarien, technophile — à une élite perçue comme woke, bureaucratique, globaliste ou politiquement correcte. Il assimile les régulateurs, les journalistes, les universitaires et les militants de la diversité à des ennemis de l’entreprise et du progrès.

Cette rhétorique s’appuie sur plusieurs idéologies :

  • L’ultra-libéralisme : exaltation de l’entrepreneur-roi, rejet de toute régulation.
  • L’anarcho-capitalisme : influence de penseurs comme Curtis Yarvin.
  • Le techno-solutionnisme : foi dans la technologie comme substitut aux institutions.

B. Une stratégie de pouvoir populiste

Elon Musk développe un lien direct et non intermédié avec ses partisans à travers les réseaux sociaux, notamment Twitter (qu’il a racheté). Il contourne les canaux institutionnels (conseil d’administration, assemblées générales, presse financière) pour s’adresser directement au « peuple » des investisseurs ou des fans. Ce lien « affectif » se renforce par des récits de lutte contre les élites : « eux contre nous », « vérité contre mensonges », « bon sens contre bureaucratie ».

Ses interventions publiques — provocatrices, parfois mensongères — ne visent pas à informer, mais à galvaniser et polariser. Il multiplie les attaques contre la SEC, les juges, les journalistes, tout en se posant en victime d’un système corrompu.

C. Une performance culturelle populiste

Elon Musk cultive une image transgressive et décontractée : il fume du cannabis à la télévision, tweete des blagues douteuses, promeut des contenus complotistes ou sexistes. Cette esthétique anti-establishment fait écho à une culture de l’authenticité « brute » qui rejette les formes policées de communication institutionnelle. Comme Trump, Musk incarne une vérité supposément non intermédiée.

VI. Le populisme d’entreprise à l’œuvre chez Twitter et Tesla

A. Une gouvernance d’entreprise détournée

Chez Tesla comme chez Twitter/X, Elon Musk a marginalisé les contre-pouvoirs. Le conseil d’administration de Tesla est dominé par des fidèles, dépourvus d’indépendance effective. Les actionnaires critiques sont ignorés ou ridiculisés, les règles de gouvernance sont contournées, les droits de vote dilués.

La rémunération exorbitante d’Elon Musk, pourtant contestée par les tribunaux, a été approuvée par des actionnaires sous influence directe. La structure du pouvoir n’obéit plus aux principes du droit des sociétés, mais à une logique de plébiscite.

B. Délitement des mécanismes démocratiques internes

Elon Musk disqualifie les sources d’information alternatives, notamment les médias professionnels, pour imposer un « écosystème médiatique de remplacement » (via X). Il remet en cause les procédures électorales internes des entreprises, contourne les obligations d’information financière, et impose ses décisions par simple tweet.

L’esprit même de la démocratie d’entreprise est trahi : les droits des minoritaires sont bafoués, la collégialité du conseil est vidée de son sens, la transparence est remplacée par l’opacité d’une communication verticale.

C. Hostilité aux régulateurs et aux juges

Elon Musk multiplie les attaques contre la SEC (Securities and Exchange Commission), les juridictions du Delaware, ou les législateurs qui critiquent sa stratégie. Il considère que les institutions de contrôle sont illégitimes, manipulées ou corrompues. Cette logique sape le principe de redevabilité et d’équité du droit.

D. Purge des structures internes

Chez Twitter/X, Elon Musk a licencié massivement les employés, notamment dans les départements juridiques, éthiques ou de modération. Il a supprimé des fonctions indépendantes, imposé une nouvelle culture de loyauté absolue et refusé toute critique interne. Ce comportement rappelle les purges autoritaires observées dans les régimes populistes.

E. Output politique et arbitraire managérial

Les décisions prises sous le règne d’Elon Musk sont souvent incohérentes, improvisées, ou en contradiction avec les objectifs affichés. L’absence de médiation institutionnelle et le rejet des conseils d’experts aboutissent à un management autoritaire, fondé sur l’intuition personnelle du leader, au mépris de toute rationalité organisationnelle.

VII. Conclusion : Une alerte démocratique

En conclusion, Kate Jackson avertit que le populisme d’entreprise, tel qu’incarné par Elon Musk, constitue une menace directe pour les principes de droit et d’équité qui gouvernent les sociétés anonymes. En sapant les procédures, en délégitimant les contre-pouvoirs et en personnalisant le pouvoir à l’extrême, Elon Musk transforme les entreprises qu’il dirige en quasi-autocraties.

Plus grave encore : les récents amendements du Delaware General Corporation Law pourraient légaliser certains excès de cette dérive. Dès lors, il devient urgent, selon l’auteure, de reconnaître et de freiner l’emprise du populisme dans la sphère économique, au même titre que dans la sphère politique.

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