Il est de coutume que les présidents en vie ne fassent pas de commentaires sur leurs successeurs. Mais rien n’empêche ceux qui ne le sont plus de donner leur opinion sur le président actuel. C’est ainsi que nous avons pu obtenir une interview exclusive de Theodore Roosevelt, 26e président des États-Unis, et obtenir son opinion sur la situation actuelle des États-Unis et sur son lointain successeur.
Par notre envoyé spécial du New York Times
New York Times : Monsieur le président, merci de nous accorder cet entretien. Vous avez pu observer avec attention le second mandat de Donald Trump. Quelle est votre première impression générale ?
Theodore Roosevelt : Eh bien, mon cher ami, je dois dire que jamais je n’aurais imaginé qu’un président américain se livrerait à une telle débauche d’autorité personnelle tout en criant à l’injustice à chaque pas. M. Trump me semble incarner ce que j’ai toujours craint : le dévoiement de l’exécutif au service non pas de la nation, mais de son propre orgueil. L’idée de la présidence, telle que je l’ai défendue, était celle d’un pouvoir énergique, mais au service d’un dessein moral et collectif. Or, ici, je vois un homme qui confond son honneur personnel avec celui de la République.
NYT : Vous parliez souvent de la valeur morale du chef de l’État. Comment percevez-vous le caractère de Donald Trump ?
Theodore Roosevelt : Le président Trump possède sans doute des traits qui auraient pu, en d’autres circonstances, être les fondations d’une grande action : énergie indéniable, volonté d’imposer ses vues, sens du spectacle. Mais à quoi bon l’énergie si elle ne vise que des querelles personnelles ? À quoi bon la volonté si elle s’exerce contre les lois et les institutions qu’elle prétend servir ?
Ce qui me frappe, c’est son incapacité à dompter ses passions au bénéfice du bien commun. Il parle de « retribution », de « vengeance » contre ses adversaires – ce sont des mots indignes d’un chef républicain. Le chef d’une démocratie doit dominer ses ressentiments et s’élever au-dessus des haines privées.
NYT : Vous avez été un président énergique, mais vous vous êtes toujours soucié des contre-pouvoirs. Comment jugez-vous les actions de M. Trump qui semblent viser à concentrer le pouvoir exécutif ?
Theodore Roosevelt : Ce qui me glace, c’est de le voir justifier la subversion des institutions sous prétexte de réparer des torts qu’il estime avoir subis. Le président Trump, selon ses propres déclarations, prend des mesures pour réduire au silence ses opposants, pour purger l’administration, pour défaire la presse, pour tordre le bras des juges. Il se croit le seul interprète légitime de la volonté nationale. Or, c’est le chemin de la tyrannie. Le peuple américain n’a jamais élu un roi, et je frémis à l’idée que la Maison-Blanche devienne un trône où l’on siège au mépris des lois.
NYT : Que pensez-vous de son attitude à l’égard des alliés, notamment de l’OTAN, du Canada, ou de l’Ukraine ?
Theodore Roosevelt : L’Amérique ne doit jamais être une puissance qui écrase ses amis pour flatter son égo. Nous devons être fermes avec les nations qui nous défient, certes, mais la grandeur d’une puissance s’apprécie à la loyauté de ses alliances et à sa constance dans l’adversité.
Je suis scandalisé par ce mépris affiché pour les alliés historiques : proposer que le Canada devienne un État américain, affaiblir l’OTAN par des bravades, traiter l’Ukraine comme un pion dont le sort dépend de l’humeur présidentielle. Il faut comprendre que la diplomatie n’est pas un marché forain où l’on crie ses prix, mais un engagement moral vis-à-vis des nations libres.
NYT : Vous étiez un partisan du protectionnisme raisonné. Que pensez-vous des politiques économiques de Trump, notamment ses droits de douane et ses discours sur le commerce ?
Theodore Roosevelt : Le protectionnisme n’est pas un fétiche que l’on agite pour flatter les foules. Il doit s’accompagner d’un dessein : protéger le travail honnête, assurer la dignité du producteur, bâtir une nation robuste. Or, ce que je vois, ce sont des tariffs jetés comme des armes de chantage, sans plan cohérent, sans souci des petits commerçants et des travailleurs que l’on prétend défendre. L’économie de la nation n’est pas un grand magasin où l’on fixe ses prix selon l’humeur du jour.
NYT : Donald Trump a été accusé de mépriser les décisions des tribunaux, de vouloir expulser sans procès des individus, voire de songer à envoyer des citoyens américains dans des prisons étrangères. Que diriez-vous de cela ?
Theodore Roosevelt : Le jour où l’exécutif méprise la justice, la République est en péril. J’ai bataillé contre des juges bornés, j’ai tonné contre des décisions iniques, mais jamais je n’ai songé à fouler aux pieds les principes de la Constitution. La justice n’est pas un caprice de l’exécutif. Elle est le rempart de la liberté contre l’arbitraire.
Qu’un président ose envisager de livrer des citoyens à des geôles étrangères, sous prétexte d’économie ou de commodité, me semble une honte indélébile. Le devoir du chef de l’État est de garantir à chacun le procès équitable, non de chercher des raccourcis barbares.
NYT : Donald Trump se présente comme le champion du peuple contre des élites corrompues. Vous-même étiez un pourfendeur des trusts et des abus des puissants. Y voyez-vous un parallèle ?
Theodore Roosevelt : Ah ! Il est aisé de se dire défenseur du peuple, mais encore faut-il agir pour lui. Ce qui distingue un vrai réformateur d’un démagogue, c’est qu’il poursuit l’intérêt général, non son intérêt propre. M. Trump invoque le peuple à chaque instant, mais ses actes témoignent d’une obsession de sa propre image, d’un désir insatiable de flatter ses partisans, d’un goût pour la division.
J’ai combattu les puissances de l’argent au nom d’une République plus juste. Lui se sert de la colère populaire comme d’une arme pour consolider son pouvoir. Ce n’est pas là le chemin de la réforme ; c’est celui de la discorde.
NYT : Vous avez été le premier président des États-Unis à recevoir le prix Nobel de la paix en 1906 pour votre médiation dans la guerre russo-japonaise. Donald Trump estime qu’il devrait lui aussi recevoir ce prix, et juge injuste que Barack Obama l’ait obtenu en 2009 sans « rien avoir fait ». Que répondez-vous à cela ?
Theodore Roosevelt : Ah ! Voilà un sujet qui mérite qu’on s’y arrête un instant. Permettez-moi de rappeler que je n’ai jamais recherché ce prix. Il m’a été décerné parce que j’ai agi, discrètement mais efficacement, pour mettre fin à un conflit sanglant entre deux puissances mondiales. La paix, voyez-vous, ne se déclare pas sur les estrades, elle se construit dans le silence des négociations.
Donald Trump semble croire que la paix s’obtient à coups de publications sur des réseaux sociaux ou en brandissant des menaces commerciales comme des glaives. Il réclame des trophées comme un enfant exige une friandise. Quant à Barack Obama, je n’ai jamais commenté l’opportunité de son prix – je laisse cela à l’Histoire – mais s’indigner que d’autres aient reçu un honneur sans qu’on vous l’accorde revient à confondre le mérite et l’envie.
On ne demande pas le prix Nobel de la paix. On le reçoit, parfois, lorsqu’on a su faire taire les canons plutôt que de tweeter des rodomontades. La paix véritable n’a pas besoin de dorures ni de fanfares – elle a besoin de courage, de modestie et de résultats. Trois éléments que l’histoire, à mon avis, peine encore à accorder à Donald Trump.
NYT : Monsieur le président, vous êtes considéré comme le père du mouvement de conservation américain. Sous votre présidence, des millions d’hectares ont été protégés, inspirés par l’esprit de Yellowstone et les idées de John Muir. Aujourd’hui, Donald Trump affaiblit les agences environnementales, réduit les crédits de l’EPA et autorise l’exploitation industrielle de terres protégées. Que diriez-vous face à cette politique ?
Theodore Roosevelt : Je dirais que c’est une trahison – une trahison non seulement de l’héritage américain, mais de la postérité elle-même. Lorsque j’ai créé les premiers refuges, les réserves forestières, les monuments naturels, ce n’était pas pour flatter un caprice personnel ou plaire à un lobby économique. C’était pour que chaque Américain, riche ou pauvre, puisse contempler la majesté de la nature et en tirer fierté et vigueur.
Donald Trump traite la nature comme une ressource privée, un entrepôt où l’on se sert, un décor à vendre. C’est une vision de prédateur, pas de conservateur. La grandeur d’une nation ne se mesure pas à la hauteur de ses buildings, mais à sa capacité à transmettre intacte la beauté de ses paysages et la pureté de ses rivières.
Réduire au silence l’EPA, c’est aveugler le pays sur sa propre respiration. Et qu’on ne vienne pas me parler de croissance : une économie qui détruit son sol, son air et son eau est une barbarie en smoking. C’est le rôle d’un président, non de céder aux extracteurs, mais de résister aux pillards. Donald Trump aurait dû méditer ceci : “Un pays qui abat ses forêts et empoisonne ses rivières n’est pas en progrès – il est en train de se suicider avec ostentation.”
NYT : Si vous deviez adresser un message aux Américains d’aujourd’hui, à la lumière de ce que vous observez, que leur diriez-vous ?
Theodore Roosevelt : Citoyens des États-Unis, souvenez-vous : la liberté ne vit pas sans la vigilance du peuple. Un homme qui concentre entre ses mains la puissance des armes, des lois et des deniers de la nation, et qui refuse le contrôle des autres pouvoirs, prépare la ruine de la République.
Ne vous laissez pas séduire par le vacarme des slogans ni par la brillance des promesses faciles. Exigez des actes de justice, des institutions fortes, un président qui serve le pays, non qui se serve du pays.
Notes historiques
- Theodore Roosevelt (1858–1919), 26ᵉ président des États-Unis, est reconnu pour avoir renforcé le rôle du pouvoir exécutif tout en défendant l’État de droit et la séparation des pouvoirs. Il s’opposait à toute forme de tyrannie personnelle déguisée en leadership démocratique.
- Roosevelt fut le premier président à recevoir le prix Nobel de la paix (1906), pour sa médiation dans le conflit russo-japonais. Il considérait la paix comme un acte politique concret, non comme une posture symbolique.
- Donald Trump a exprimé à plusieurs reprises qu’il « méritait le prix Nobel de la paix », notamment pour ses efforts avortés de médiation avec la Corée du Nord ou dans les accords dits d’Abraham, et s’est montré critique à l’égard de l’attribution du prix à Barack Obama en 2009, considéré par certains comme prématurée.
- Roosevelt a développé le concept du “Square Deal”, une politique d’équilibre entre travailleurs, industriels et consommateurs. Il fut un des premiers “trustbusters”, s’attaquant aux monopoles comme Standard Oil et Northern Securities.
- Sa formule célèbre, “Speak softly and carry a big stick”, résumait sa doctrine de politique étrangère : agir avec fermeté sans fanfaronnade. Il fit construire le canal de Panama et renforça la marine américaine.
- L’idée de “retribution” politique, très présente dans les propos de Donald Trump depuis 2021, n’a jamais été défendue par Roosevelt, qui appelait au dépassement des rancunes personnelles dans l’action publique.
- Roosevelt était un grand défenseur de la moralité civique. Il croyait qu’un bon citoyen devait être informé, actif et intègre. Il méprisait les discours populistes basés sur la flatterie ou la victimisation.
- Contrairement à Trump, Roosevelt était hostile à toute concentration excessive du pouvoir personnel. Bien qu’il ait exercé une présidence forte, il s’est toujours référé à la Constitution et à l’idée d’un État régulateur contrôlé par la loi.
- Roosevelt a été un pionnier de la protection de l’environnement. Il a protégé plus de 230 millions d’acres de terres, créé cinq parcs nationaux et signé l’Antiquities Act (1906), fondement juridique des futurs monuments naturels.
- Sous la présidence Trump, l’EPA (Environmental Protection Agency) a connu une réduction drastique de ses financements et de ses réglementations, notamment en matière de pollution de l’air, de l’eau et d’émissions de carbone.
- La rhétorique trumpienne sur la justice, les tribunaux et l’immigration fait l’objet de critiques : expulsions sans procès, remise en cause du rôle des cours fédérales, ou idées comme l’envoi de citoyens américains dans des prisons étrangères, en violation des principes fondamentaux du due process garantis par le 5ᵉ et 14ᵉ amendement de la Constitution.
- Roosevelt considérait la grandeur nationale comme fondée sur la justice sociale, la conservation des ressources, et la dignité du peuple. Il s’opposait fermement à toute dérive oligarchique, qu’elle soit économique ou politique.
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