On ne peut être que surpris que certains soient surpris des négociations en cours avec la Russie sur le dos de l’Ukraine télécommandées par Donald Trump. Les idées étaient déjà exprimées dans son livre The art of the deal : Puissance, Narration, Transaction est le tryptique de base de toute négociation.
Dans son ouvrage écrit par Tony Schwarz (qui avait regretté en avoir été le nègre), Donald Trump affirme que la négociation est un combat où il faut dominer l’adversaire. Son principe clé : penser grand, se montrer plus fort que l’autre, imposer son tempo et ses conditions (surtout quand l’adversaire est faible pourit-on ajouter). Le succès vient moins du compromis que de la démonstration de puissance.
Ensuite, contrôler le récit en créant une image de gagnant, suscitant l’enthousiasme, exagérer les perspectives, rendre le projet inévitable et désirable. Il théorise ce qu’il appelle une truthful hyperbole : une narration hyperbolique, autrement dit une manière d’amplifier, ou plutôt d’inventer, la réalité pour emporter l’adhésion.
Enfin, valoriser une approche opportuniste : tout est négociable, tout peut être retourné à son avantage, tant qu’il y a un gain à la fin. L’éthique, la légitimité ou la pérennité des alliances passent après l’efficacité immédiate : ce qui compte, c’est gagner, pas la manière de gagner. Sachant que la vie est un jeu à somme, dans une négociation, ce que gagne le gagnant, le perdant le perd. Il n’y a pas de jeu à somme positive dont les deux parties peuvent sortir gagnant.
Ces idées ont été plus ou moins appliqué dans les grandes négociations que Donald Trump a menées, en ce moment sur le conflit entre l’Ukraine et la Russie, il y a quelques mois, en Israël, il y a quelques années en Afghanistan.
D’abord, la guerre en Ukraine. L’offensive de la Russie contre l’Ukraine ravage l’Europe, et dans ce chaos, l’administration Trump propose un « plan de paix » en 28 points — bientôt ramené à 19 grâce aux Européens — que beaucoup jugent excessivement favorable à Moscou. Ce plan prévoit des concessions majeures pour Kiev : céder des territoires (notamment le Donbass), limiter la taille de l’armée, renoncer à l’entrée dans l’OTAN, tout en apportant des satisfactions symboliques ou économiques à la Russie.
On a pu entendre des louanges, parler de « diplomatie réaliste », de « fin du conflit » — mais en réalité c’est un bâillon jeté sur l’aspiration ukrainienne à la souveraineté, un compromis imposé sous pression, un deal avec l’agresseur sans consultation sérieuse des victimes, les Ukrainiens, un blanc-sein de poursuivre son œuvre d’insalubrité publique. Cette tentative de paix — ou plutôt de capitulation — révèle une constante : on négocie avec le fort, on ignore le faible.
Il y a quelques années au Moyen-Orient. Souvenons-nous des Accords d’Abraham, vendus comme une « aube nouvelle » pour le Moyen-Orient : normalisation des relations entre États puissants (Israël + monarchies ou États arabes du Golfe).
La question palestinienne — au cœur du conflit depuis des décennies — fut largement mise de côté. Les accords se sont construits autour de l’intérêt stratégique, économique et diplomatique de nations fortes, non autour de la justice pour les populations opprimées.
Plus récemment, pour faire une pause dans le conflit israélo-palestinien dérivé du massacre du 7 octobre, la méthode Trump n’a pas varié. Avec son « plan en 20 points » de cessez-le-feu entre Israël et Gaza, il a prétendu réinventer la paix en imposant sa vision depuis Washington. Mais dans la liste des acteurs légitimes invités à façonner l’avenir de la région, un absent de marque : les Palestiniens eux-mêmes. Pas de siège à la table, pas de voix sur leur propre sort. À ses yeux, leur destin pouvait être négocié entre « grands » : Israël, les États du Golfe, l’Égypte — et lui-même en arbitre auto-proclamé. Une paix sans ceux qui en paieront le prix : une paix de vainqueurs, donc, destinée à échouer.
En remontant un peu plus loin en arrière, c’est encore la même méthode qui avait été employée.
En février 2020, l’accord de Doha (2020) entre les États-Unis et les Talibans consacre le retrait américain. Mais l’État légitime — le gouvernement afghan — n’est pas associé aux négociations.
Ce “pacte de retrait” ne visait pas la paix, mais le désengagement pur et simple, sans garantie de cessez-le-feu, sans réelle protection pour les civils afghans. Ce plan incluait la libération de 5000 Talibans. En quelques mois, l’insécurité s’est accrue, l’autorité de l’État s’est effondrée, le pays a replongé dans le chaos.
Encore un schéma : on négocie avec qui détient la force — on ignore les institutions légitimes, on abandonne ceux qui n’ont plus les moyens de se défendre.
Donald Trump a transmis le mistrigri à son successeur, Joe Biden, qui n’a fait qu’exécuter les accords, sans doute de manière maladroite. Le président actuel n’a de cesse de critiquer Joe Biden en qualifiant ce retrait de plus grande catastrophe de l’histoire des Etats-Unis mais en prenant le soin de ne pas rappeler que c’est lui qui avait négocié cet accord.
À travers ces dossiers — Ukraine, Moyen-Orient, Afghanistan — on distingue un fil rouge :
– Une diplomatie de transaction, de deals, d’intérêts stratégiques.
– Une logique de puissance : on parle à ceux qui détiennent les armes, les leviers, le pouvoir.
– Une absence totale de souci pour la légitimité, pour le droit international, la démocratie.
– Un désintérêt, voire un mépris, des victimes, des États fragilisés, des peuples privés de voix.
Ce n’est donc pas un hasard si la diplomatie de Donald Trump consiste toujours à faire asseoir autour de la table les plus forts — et à laisser les faibles sur le banc, voire à les sacrifier.
Ce basculement n’est pas une maladresse, c’est un choix : celui d’une diplomatie courte-vue, d’intérêts immédiats, de rendements rapides — au détriment de la paix, de l’équilibre, de l’avenir.
Quand le fort parle fort, quand il suffit d’un deal pour redessiner des frontières, remodeler des alliances, redéfinir des États — les faibles n’ont plus de place. Ils deviennent des variables d’ajustement, des abandons utiles. En jetant un œil en arrière, l’“initiative de paix” pour l’Ukraine n’est qu’un maillon — le plus récent — d’une chaîne que l’on pourrait remonter jusqu’à Kaboul ou Jérusalem.