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Plainte contre X

Alors que le débat sur une possible certification des médias fait rage en France (rappelons qu’il s’agit d’une initiative au niveau mondial et que plus de 2400 médias dans le monde ont été certifiés), les réseaux sociaux continuent leur développement et leur emprise sur les cerveaux, tout particulièrement ceux des plus jeunes. Et mettent en œuvre jour après jour, la théorie qu’avait développée en 2004 Patrick Lelay, président de TF1, avant même l’existence des réseaux sociaux : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible… Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages ».

C’est ce à quoi s’attachent aujourd’hui les réseaux sociaux, retenir l’attention de ses visiteurs afin de maximiser la vente de publicité et augmenter les profits. Aux États-Unis, pendant que la presse locale est en pleine décomposition, que les médias à vocation nationale ont de plus en plus de mal à survivre et tombent les uns après les autres dans les mains des milliardaires, que les chaînes de télévision perdent chaque jour de l’audience, les réseaux sociaux continuent à se développer et à écraser le paysage médiatique.

Le problème est que, à l’heure des algorithmes, des usines à trolls et de l’IA, on découvre que les détenteurs des comptes sont basés dans des pays en dehors des États-Unis et que cette influence étrangère est de plus en plus manifeste.

C’est ainsi que l’introduction par X (ex-Twitter) de la fonctionnalité “About this account”, permettant d’afficher certaines métadonnées liées à la provenance d’un compte, n’a pas simplement ajouté un outil technique. Elle a, de facto, provoqué un effet de dévoilement dans l’espace informationnel américain.

Pour la première fois depuis 2016, et sans passer par des investigations universitaires longues, il est devenu possible d’observer en temps réel qu’une part significative des comptes alimentant la polarisation politique américaine — parfois massivement suivis — sont en réalité basée hors des États-Unis.

Ce changement a déclenché trois mouvements :

– Une révision de la menace : le débat sur l’ingérence ne peut plus se limiter à la Russie ou à la Chine.

– Un basculement conceptuel : la désinformation n’est plus seulement un acte d’État, mais un écosystème international semi-professionnel.

– Une remise en question politique : le récit domestique opposant “Américains contre Américains” est partiellement artificiel — beaucoup d’amplification provient d’acteurs étrangers cherchant attention, profit ou influence.

Des articles récents — Guardian, AP, CBS News[i] —, combinés aux analyses universitaires antérieures, permettent de distinguer trois catégories d’acteurs.

– Les acteurs étatiques ou para-étatiques

Ce sont les héritiers de la logique de l’Internet Research Agency russe (IRA), mais plus dispersés et moins centralisés. Leurs objectifs sont limpides. Ils visent à affaiblir la cohésion interne des États-Unis à amplifier les enjeux polarisants (race, immigration, déclin industriel, idéologie “woke” vs “anti-woke”) et dégrader la confiance dans les institutions (élections, justice, médias). Et il faut reconnaître qu’ils son très efficace.

Les États concernés ne se limitent plus à la Russie. La Chine, l’Iran et quelques acteurs moyen-orientaux utilisent parfois des tactiques similaires, mais avec moins de légitimité domestique dans les débats politiques américains, donc une moindre efficacité.

Les acteurs commerciaux internationaux y sont également très actifs. C’est la principale révélation des nouvelles données. Beaucoup de ces comptes sont opérés depuis les Philippines, le Nigeria, le Ghana, le Kenya, l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh… Il s’agit de content mills dont l’objectif n’est pas la géopolitique, mais la captation de revenus générés par X.

Le modèle économique du “rage farming” consiste à produire du contenu outrageant / polarisant pour attirer des réactions massives et ainsi transformer l’indignation en monétisation.

Le dernier groupe est constitué des réseaux idéologiques transnationaux, des groupes, notamment en Europe ou en Amérique latine qui partage une fascination pour certaines figures politiques américaines et une idéologie “anti-élites” ou “anti-woke”. ils participent à une internationale de l’indignation, où les débats américains servent de proxy pour leurs propres batailles domestiques.

Les États-Unis sont devenus une cible de choix, car c’est un marché de l’attention le plus rentable au monde. Les citoyens américains sont accros aux réseaux sociaux, ils sont facilement polarisables et les retombées financières sont maximisées.

Avec la nouvelle « transparence » du réseau social X, les États-Unis découvrent que leurs conversations publiques — identitaires, électorales, culturelles — sont désormais intégrées dans un écosystème de discours globalisé, où les logiques économiques des content mills étrangères, les idéologies transnationales et les logiques stratégiques d’acteurs étatiques se superposent, souvent de manière indistincte.


[i] Foreign interference or opportunistic grifting: why are so many pro-Trump X accounts based in Asia?” The Guardian

X’s new feature raises questions about the foreign origins of some popular US political accounts AP News

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