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Petite histoire de l’impôt sur le revenu aux Etats-Unis

En février 1943, alors que les Etats-Unis sont en guerre depuis un peu plus d’un an, Franklin Roosevelt écrivit une lettre à la Commission des Ways and Means[i] (Letter to the House Ways and Means Committee on Salary Limitation) dans laquelle il déclara : « …in these days, when every available dollar should go to the war effort, I do not think that any American citizen ought to have a net income, after he has paid his taxes, of more than $25,000 a year. » et poursuit :

« If the Congress does not approve the recommendation submitted by the Treasury … that a flat 100 percent supertax be imposed on such excess incomes … then I hope the Congress will provide a minimum tax of 50 percent, with steeply graduated rates as high as 90 percent. »

Autrement dit, Roosevelt proposait que les revenus après impôts supérieurs à 25 000 dollars (à l’époque) soient entièrement ponctionnés (super-taxe à 100 %) dans un contexte de guerre nationale. Le « in these days » est évidemment et les commentateurs ont vite faite de l’omettre.

L’impôt sur le revenu a fait son apparition en 1861 pour financer la guerre de Sécession avec le Revenue Act of 1861 voté par le Congrès. C’est le premier impôt fédéral sur le revenu aux Etats-Unis. Le taux est de 3 % pour les revenus supérieurs à 800 dollars (30 000 dollars même si l’actualisation du revenu est très difficile à faire). Qui dit impôt, dit agence pour le collecter. C’est ainsi qu’est créé le Bureau of Internal Revenu, ancêtre de l’IRS actuel. L’impôt devient progressif pour atteindre jusqu’à 5 % pour les revenus supérieurs à 10 000 dollars (de l’époque). Mais cette création de l’impôt sur les revenus avait rencontré de nombreuses résistances. Et de fait, il fut aboli en 1872, les Etats-Unis revenant à un financement basé sur les tarifs douaniers et les accises (taxes sur la consommation). Un mouvement que l’administration Trump 2.0 a évoqué à la faveur de l’instauration des droits de douane tous azimuts.

Nouvelle tentative en 1894 : le Congrès vote un nouvel impôt sur le revenu (2 % sur les revenus supérieurs à 4 000 $). Mais avec l’arrêt Pollock v. Farmers’ Loan & Trust Co publié l’année suivante, la Cour suprême déclare cet impôt inconstitutionnel, estimant qu’il viole la répartition équitable des taxes directes entre États. Il devient quasiment impossible de taxer directement les revenus au niveau fédéral.

Il faudra donc attendre le vote en 1913 du 16e amendement pour que le sujet revienne à l’ordre du jour. Il stipule que « Le Congrès aura le pouvoir de lever et de percevoir des impôts sur les revenus, de quelque source qu’ils proviennent, sans répartition entre les divers États. » La même année, Woodrow Wilson fait voter le Revenue Act of 1913 qui rétablit l’impôt sur le revenu. Une très faible proportion des Américains sont concernés (environ 2%) et les taux, même s’ils sont progressifs, restent faibles (de 1 à 7%).

Mais les Etats-Unis entrent dans la Première guerre mondiale en 1917 et il faut alors financer l’effort de guerre. Le taux marginal atteint 77 % mais redescend à 25 % en 1925 sous Calvin Coolidge. C’est en réponse crise de 1920, et sous l’impulsion de Franklin Roosevelt, que le taux d’imposition reparte à la hausse pour atteindre 79 %, notamment pour financer le New Deal. En 1942, alors que les Etats-Unis sont entrés dans la deuxième Guerre mondiale, qu’est voté le Revenue Act of 1942 qui généralise l’impôt sur le revenu avec un taux maximal de 88 %, puis 94 % pour les tranches les plus élevées.

L’après-guerre ne change pas cette situation avec un taux marginal supérieur qui reste supérieur à 90 % sous le démocrate Truman et le républicain Eisenhower. Les revenus qui sont obtenus servent à financer la reconstruction d’après-guerre, les grands programmes d’infrastructure (les autoroutes notamment), l’enseignement supérieur (GI Bill) et la puissance militaire.

En 1964, le Kennedy-Johnson Tax Cut ramène ce taux maximal à 70% mais reste toujours dans cette idée que l’impôt sur le revenu doi rester largement progressif.

C’est avec Ronald Reagan et sa révolution conservatrice et sa politique de l’offre que le paradigme de l’impôt très progressif disparaît complètement et est présenté comme confiscatoire et contre-productif. Selon l’administration en place, il faut libérer l’investissement, simplifier le code fiscal et affaiblir le rôle redistributif de l’Etat. C’est la théorie du ruissellement (Trickle-down economics) qui redevient à la mode. Avec l’Economic Recovery Tax Act, ce taux tombe à 50 %, puis à 28%. Depuis aucun président, démocrate ou républicain, n’a pu vraiment sortir de cette nouvelle logique et les taux subiront des variations modestes (Clinton : 39,6 % ; Bush : 35 % ; Obama : 39,6 % ; Trump 1.0 : 37 %). Sous Trump 2.0, la loi One Big Beautiful Bill Act (appellation ridicule imposée par Trump), elle rend permanent les sept d’imposition (de 10 à 37%) qui étaient inscrits dans la loi de 2017 alors qu’ils devaient expirer. Selon le Congressional Budget Office (CBO), qui est une institution bipartisanne, les principaux bénéficiaires de cette réforme fiscale seront les ménages les plus aisés, tandis que les plus modestes pourraient subir des pertes en raison de coupes dans les programmes sociaux comme Medicaid et l’aide alimentaire (SNAP). Et le coût fiscal (pertes de recettes) est projeté comme élevé, ce qui pourrait fragiliser les équilibres budgétaires à long terme.

Aux Etats-Unis, encore plus qu’en France, l’impôt sur le revenu n’a pas bonne presse. Il est plus un arme idéologique qu’un outil de politique budgétaire. Pour les républicains, il constitue une atteinte à la liberté et ralentit l’économie, pour les démocrates, il doit contribuer à la justice sociale, de réduction des inégalités et constituer un outil efficace de redistribution.


[i] La Commission des Ways and Means de la Chambre est le principal comité de rédaction des lois fiscales de la Chambre des représentants des États-Unis. Cette commission est compétente en matière de fiscalité, de droits de douane et d’autres mesures visant à augmenter les recettes, ainsi que pour un certain nombre d’autres programmes, notamment la Social Security, les allocations chômage, Medicare, l’application des lois sur les pensions alimentaires, l’assistance temporaire aux familles nécessiteuses (en), les programmes de placement en famille d’accueil et d’adoption.

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