Vladimir Poutine a qualifié son invasion en Ukraine d’Opération spéciale et quiconque utilise le mot de guerre prend un risque. “We are not at war with Iran, but we ar at war with Iran’s nuclear program” c’est ainsi que le vice-président J.D. Vance caractérisé l’initiative des États-Unis en Iran (qu’il n’approuve sans doute pas). L’art de jouer sur les mots ou de se moquer du monde. Et la qualification Mightnight Hammer de l’opération ne peut qu’inquiéter lorsque l’on connaît le syndrome du marteau qui voit des clous partout.
Les États-Unis ne sont donc pas entrés en guerre contre l’Iran puisque la déclaration de guerre est une prérogative du Sénat. L’article I, section 8 de la Constitution est clair : “The Congress shall have Power To… declare War, grant Letters of Marque and Reprisal, and make Rules concerning Captures on Land and Water”. La dernière fois que le Congrès américain a voté la guerre est le 8 décembre 1941 contre le Japon et le 11 décembre contre l’Allemagne et l’Italie. Il y a bien eu en 1942 un vote du Congrès contre la Roumanie, la Hongrie et la Bulgarie.

Depuis 1942, aucune guerre n’a été formellement déclarée par le Congrès.
La Guerre de Corée (1950-1953) menée sous l’égide de l’ONU, sans déclaration de guerre.
– La Guerre du Vietnam : pas de déclaration formelle ; le Congrès a voté en 1964 la résolution du golfe du Tonkin, qui a autorisé le président à agir militairement sans déclaration de guerre.
– Les Guerres du Golfe (1991), Afghanistan (2001), Irak (2003) : le Congrès a voté des autorisations d’emploi de la force (AUMF – Authorization for Use of Military Force), mais sans déclaration officielle de guerre.
Après le Vietnam, le Congrès a tenté de limiter ces exceptions de fait en votant une loi sur les pouvoirs de guerre (War Powers Resolution, 1973) dont les points essentiels sont :
– Le président doit informer le Congrès dans les 48 heures en cas d’engagement militaire.
– L’intervention doit cesser au bout de 60 jours si le Congrès n’a pas donné son accord.
Cette loi a été souvent contournée ou ignorée dans les faits (par exemple en 2011 lors des opérations en Libye sous Barack Obama).

Aujourd’hui, le message qu’entend faire comprendre la nouvelle administration est qu’il s’agit d’une frappe technique (on se souvient de la première guerre du Golfe où le mot frappe chirurgicale était employé à l’envi) sur des installations nucléaires et non d’une volonté de changer le régime des Mollahs (est-ce si sûr ?). Les MAGA ne sont pas des néoconservateurs. Mais comme le fait remarquer Tom Nichols dans le magazine The Atlantic (The United States Bombed Iran. What Comes Next?), la déclaration de Donald Trump annonçant l’intervention en Iran réunit moult contradictions : “the main Iranian nuclear sites were completely and totally obliterated but it will take time to assess the damage, and he has no way of knowing this (…) the Iranian program has been destroyed but that there are still “many targets” left (…) Iran could suffer even more in the coming days but the White House has reportedly assured Iran through back channels that these strikes were, basically, a one-and-done, and that no further U.S. action is forthcoming.”
Mais, on l’a bien compris, Donald Trump décide en fonction de ce qui est arrivé une heure plus tôt, sans aucune vision stratégique. Et le président peut se contredire lui-même d’un jour à l’autre, mais aussi dans le même discours. C’est sa spécialité. Dire une chose et son contraire à l’immense avantage d’avoir toujours raison quoi qu’il arrive. Par ailleurs, que va-t-il se passer lorsque les Iraniens vont riposter ? On va entrer inexorablement dans un mécanisme d’escalade dont on connaît le commencement, mais pas l’issue.
Après 20 ans d’efforts, des moyens militaires sans précédent et des hommes sur le terrain, les Américains ne sont pas arrivés à bout des Afghans ? De même pour le Vietnam. Pourquoi le pourraient-ils des Iraniens ? En remontant encore plus dans le temps, faut-il rappeler les batailles des Thermopiles ou des défaites successives des Romains qui n’ont pas réussi à vaincre les Perses ?
Sur cette frappe, il a été clairement influencé (forcé pour ne pas paraître faible ?) par Benjamin Netanyahu) avec qui il avait pourtant pris ses distances. Parfois pour des raisons grotesques. Par exemple, il n’avait pas apprécié que le Premier ministre israélien félicite Joe Biden lorsqu’il avait été élu en 2020.
Le quotidien Haaretz évalue les influenceurs dans les cercles de Donald Trump (Who Pushed Trump Toward War With Iran? A Deep Dive Into His inner circle). Le site de la Maison-Blanche a pris le soin de lister tous les élus, sénateurs et représentants, qui soutiennent leur président avec le message la paix par la force (WHAT THEY ARE SAYING: President Trump’s Display of Peace Through Strength).
Personne ne défendra le régime des Mollahs ? Mais est-ce une raison pour que les Iraniens voient d’un bon œil cette attaque extérieure contre leur pays ? On se souvient des mouvements de liesse des Irakiens qui avaient conduit à un déboulonnement des statues de Saddam Hussein ? On a vu la suite.
Et le coup d’après ? Imagine-t-on de jouer aux échecs sans penser au coup d’après ? Lancer une telle initiative sans penser au coup d’après est donc de l’amateurisme. Ne sait-on pas comment Benjamin Netanyahu va continuer ? Si on le sait, il suffit de regarder un peu en arrière. Il a toujours fait des déclarations sur le caractère d’urgence qui justifie les décisions à prendre. Et comme il a réussi à convaincre Donald Trump à bombarder ces trois sites nucléaires, il a de bonnes chances de l’embarquer dans des opérations de changement de régime.

En tous cas, avec cette opération, il s’est refait une santé médiatique. Pendant ce temps on ne parle plus de Gaza ni la guerre en Ukraine. Une aubaine pour Vladimir Poutine qui peut continuer son sale boulot. De même pour Donald Trump qui peut effacer tous ses échecs depuis qu’il est entré à la Maison-Blanche.