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La Forêt à la gloire du Cerf

L’hiver était venu tôt cette année-là. La forêt, couverte de neige, semblait attendre quelque chose sans savoir quoi. C’est dans ce silence que le cerf prit place.

Il ne s’imposa pas par la force. Il s’installa par la parole. Il parlait longtemps, avec assurance mais aussi véhémence, et promettait sans jamais préciser. Il expliquait que les problèmes étaient simples, que les solutions l’étaient encore davantage, et que seule la mauvaise volonté empêchait de les appliquer.  

Ce furent les animaux eux-mêmes qui le choisirent pour être leur chef. Non par enthousiasme, mais par fatigue. Ils avaient voté de la clairière à la lisière, convaincus qu’un discours assuré valait mieux que l’incertitude, et qu’un mensonge bien dit protégeait davantage qu’une vérité compliquée. Le Cerf remercia longuement, promit d’écouter chacun, puis expliqua aussitôt que, pour le bien de tous, il faudrait désormais lui faire confiance sans trop intervenir.

Très vite, il voulu s’occuper de tout. Il commentait les barrages du Castor, corrigeait la façon dont les oiseaux chantaient, proposait aux Fourmis de mieux organiser leurs réserves, sans jamais en porter une seule. Il appelait cela « gouverner », et beaucoup finirent par le croire, tant sa présence était constante.

Mais ce n’était pas encore suffisant. Le Cerf voulut être vu et adulé.

Son nom apparut d’abord là où l’on travaillait vraiment : sur une clairière remise en état par d’autres, sur un sentier dégagé de longue date, sur une rivière qui coulait depuis toujours. Le Cerf expliquait que nommer, c’était protéger, et que tout ce qui portait son nom ne pouvait que prospérer.

Bientôt, il n’y eut plus d’espace neutre. Chaque arbre marqué rappelait son autorité, chaque pierre gravée affirmait sa vision. Les animaux ne savaient plus très bien s’ils vivaient dans une forêt ou dans le discours d’un seul.

Lorsque rien ne s’améliora, le Cerf se mit en colère contre ceux qui osaient dire que la forêt allait mal. Il leur reprocha leur pessimisme, leur manque de foi et leur tendance à « noircir le paysage ». Selon lui, tout allait bien — mieux même que jamais — et si certains ne le voyaient pas, c’était qu’ils refusaient d’écouter correctement. Il affirma que le malaise venait non des faits, mais du regard porté sur eux, et entreprit de convaincre les animaux que le bonheur était déjà là, à condition de le reconnaître.

Il modifia les mots. Les mensonges devinrent des récits nécessaires. Les erreurs, des paris courageux. Les opposants, des diviseurs. Il affirma que la réalité était trop complexe pour être confiée à tous, et que son regard suffisait.

À mesure que son nom s’étendait, la forêt se rétractait. Les oiseaux chantaient moins, les sentiers semblaient plus étroits, et même les loups trouvaient que l’air devenait rare.

À l’approche de Noël, il annonça une célébration sous le Grand Sapin. Il déclara que cette nuit prouverait que la forêt lui devait son unité, et que son nom, gravé dans la neige, serait le signe visible de cette harmonie retrouvée. Ce soir-là, pourtant, rien ne se passa comme prévu.

La Chouette, qui avait tout observé, rappela simplement les faits. Elle n’accusa pas. Elle compara. Elle montra ce qui avait été promis et ce qui avait été livré. Puis elle se tut.

Alors les autres parlèrent, à leur tour.

Le Castor rappela les barrages annoncés, dont les plans portaient le nom du Cerf, mais dont les rivières avaient fini par contourner les ruines.

L’Écureuil évoqua les réserves promises à tous, devenues des stocks centralisés, inaccessibles quand l’hiver arriva vraiment.

Les Oiseaux dirent que leurs chants avaient été réglementés au nom de l’harmonie, jusqu’à ce que la forêt ne résonne plus que d’une seule voix.

Les Fourmis expliquèrent que leurs comptes avaient été réorganisés tant de fois qu’on ne savait plus ce qui avait été économisé ni pour qui.

Le Renard énuméra les promesses, dans l’ordre exact où elles avaient été faites, montrant qu’elles avaient toutes changé de sens sans jamais être tenues.

Même les Loups reconnurent que l’ordre proclamé avait surtout servi à désigner des coupables, jamais des solutions.

Aucun ne cria. Aucun ne réclama de sanction. Ils se contentèrent de décrire ce qu’ils voyaient, et ce qu’ils ne voyaient plus.

Les animaux regardèrent autour d’eux. Ils virent des noms, des slogans, des traces, mais peu de choses qui leur appartenaient encore. Ils comprirent que le Cerf n’avait pas pris la forêt : il l’avait recouverte. Alors ils cessèrent d’y croire.

Ils n’arrachèrent rien dans la colère. Ils effacèrent. Doucement. Le nom sur les arbres, les marques sur les pierres, les inscriptions dans la neige. Ils comprirent que ce qui appartient à tous ne peut devenir l’emblème d’un seul, et que gouverner ne consiste pas à remplir l’espace, mais à permettre à chacun de l’habiter.

Privé de reflets, le Cerf sembla rapetisser. Ses bois, chargés de symboles, n’étaient plus des couronnes mais des poids. Il recula, sans être poursuivi, et disparut dans la forêt blanche, emportant avec lui un discours devenu sans écho.

Le matin de Noël, la forêt n’était pas sauvée. Mais elle était de nouveau visible. Les animaux comprirent qu’un pouvoir peut tomber sans bruit, dès lors qu’il ne parle plus au nom de tous. Ils décidèrent que la mémoire serait leur seule garantie, et la parole, un bien à surveiller.

Sous le Grand Sapin, ils laissèrent une étoile de bois, sans nom, sans devise, simplement là pour rappeler que la forêt appartient à tous.

(Rédigé avec l’aide de ChatGPT)

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