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Facebook, Mark Zuckerberg et la taxe Zucman

On parle souvent des pays de l’Union européenne qui sont des paradis fiscaux, l’Irlande et le Luxembourg en tête. Mais les États des États-Unis sont aussi très inégalitaires en matière du droit des entreprises. C’est ainsi que l’état du Delaware héberge (incorpore) 65 % des entreprises du Fortune 500.

Le Delaware a très tôt développé une législation très favorable aux entreprises (traduire au capital) avec notamment un code – le Delaware general Corporation Law (DGCL) – extrêmement souple permettant notamment la création de différentes catégories d’actions avec droits de votre, droits économiques. Le Delaware n’est pas le seul État qui autorise les actions classe A/B, mais c’est celui qui les a rendues populaires et attractives pour les fondateurs, en offrant un cadre juridique et judiciaire très favorable. La plupart des grandes entreprises tech américaines (Meta, Alphabet, Snap, Lyft, Airbnb, etc.) utilisent ce montage grâce à cette souplesse.

A la création de Facebook, Mark Zuckerberg possédait 65 % des actions de TheFacebook avec d’autres cofondateurs. Le fim The Network montre d’ailleurs la manière un peu trouble avec laquelle il a évincé certains d’entre eux. Aujourd’hui, il n’en possède plus que 13 à 14 % mais d’une valorisation qui a littéralement explosé. Au moment de la création, en 2004, lorsque Peter Thiel y investit 500 000 dollars, la société est valorisé à 5M$. Son patrimoine représente donc un peu plus de 3 M$. Aujourd’hui, les 13 % de la valorisation estimée à 1150 milliards de dollars représentent un montant de 135 à 140 milliards de dollars, ce qui en fait l’un des hommes les plus riches du monde.

Évolution de la part de capital de Mark Zuckerberg

AnnéeÉvénementPart de Zuckerberg approx.Détails
2004Création de Facebook~ 65 %Zuckerberg fonde TheFacebook avec Saverin, Moskovitz, Hughes et McCollum. Il garde la majorité.
2004Investissement Peter Thiel (500 000 $ pour 10,2 %)~ 55–60 %Dilution due à l’entrée de Thiel.
2005Accel Partners (12,7 M$)~ 30 %Accel prend une part importante, Zuckerberg reste premier actionnaire individuel.
2006Greylock + Meritech (27,5 M$)~ 24 %Nouvelles dilutions successives.
2007Microsoft (240 M$ pour 1,6 %) + Li Ka-Shing~ 24 %Zuckerberg conserve un quart de l’entreprise.
2009DST (200 M$)~ 24 %Sa part reste stable car vente limitée d’actions.
2011Goldman Sachs + DST (1,5 Md$)~ 24 %Pré-IPO, il reste le principal actionnaire.
2012IPO (NASDAQ, valorisation 104 Md$)~ 22 %Zuckerberg vend une partie de ses actions (≈ 31 M de titres).
2020Facebook devenu Meta~ 14 %Sa part baisse avec le temps, mais il conserve le contrôle majoritaire des votes via actions à droits multiples (classe B).
2025 (aujourd’hui)Meta Platforms~ 13–14 %Toujours premier actionnaire individuel, avec un pouvoir de vote dépassant 55 % grâce aux actions B.

Évolution de la fortune de Mark Zuckerberg

AnnéeSituationFortune estimée
2004Création de Facebook, investissement de Peter Thiel< 1 M$
2005Après levée de fonds Accel (valorisation 100 M$)~ 5–10 M$
2007Entrée de Microsoft (valorisation 15 Md$)~ 1 Md$ → Zuckerberg devient milliardaire à 23 ans
2010Facebook en hypercroissance~ 4 Md$
2012IPO au Nasdaq (valorisation 104 Md$)~ 17–19 Md$
2015Facebook explose en publicité mobile~ 35–40 Md$
2017+2 milliards d’utilisateurs~ 70 Md$
2018Scandale Cambridge Analytica, chute boursière~ 55 Md$
2020Boom Covid (usage réseaux sociaux, pub en ligne)~ 100 Md$
2021Pic historique (Meta > 1 000 Md$)~ 125 Md$ (classement Forbes : top 5 mondial)
2022Effondrement boursier du “métavers”~ 55 Md$ (il perd près de 70 Md$ en un an, record historique)
2023Rebond grâce à l’IA et la pub~ 95–100 Md$
2025 (aujourd’hui)Meta > 1 150 Md$~ 135–140 Md$ (toujours top 5–6 des plus grandes fortunes mondiales)

Comment se fait-il qu’avec seulement 13 ou 14 % du capital, il contrôle toujours l’entreprise ? Précisément par le truchement des actions de classe A et B. Les actions de classe A donne 1 droit de vote, les actons de classe B à 10 droits de vote. Avec ses 13 % du capital économique, il contrôle plus de 55 % du droit de vote. Cela lui donne un contrôle absolu sur les grandes décisions stratégiques (nomination des administrateurs, fusions, modifications statutaires, etc.). Lors de l’introduction en bourse de 2012, les investisseurs institutionnels (Goldman Sachs, etc.) savaient qu’ils n’achetaient que des actions classe A, sans réel pouvoir. Mark Zuckerberg a conservé les actions B et donc la clé de l’entreprise.

Les actions classe A et classe B ne viennent pas d’une loi spéciale, mais du droit des sociétés du Delaware (DGCL), puisque Facebook/Meta est incorporée dans l’État du Delaware. Le DGCL autorise une société à créer plusieurs catégories d’actions (multiclass stock) avec des droits économiques et de votes différents, tant que cela est précisé dans les certificats constitutifs (certificate of incorporation) et approuvé par les actionnaires fondateurs.

En 2005, Facebook est une toute jeune startup comptant entre 30 et 50 salariés dont Mark Zuckerberg détient 65 % du capital, environ 3 M$. Aujourd’hui, Meta (la maison mère de Facebook) emploie un peu plus de 75 000 personnes et Mark Zuckerberg qui possède environ 13 % est à la tête d’un patrimoine de 1 150 milliards de dollars, une multiplication de sa fortune par un facteur de 383 000.

Peut-on penser que le succès de Facebook repose uniquement sur les compétences et expertises de son seul cofondateur ? Si ce n’est pas le cas, est-il logique qu’il concentre une si grande partie des fruits du travail de tant de personnes ? On ne reviendra pas ici sur les controverses soulevées aux premiers moments de l’entreprise : Eduardo Saverin, les frères Cameron, Tyler Winklevoss, Diaya Narendra et d’autres.

Quant à l’argument consistant à dire que le patrimoine fondé sur des actions n’est pas liquide, on peut en discuter. Il serait virtuel. Et pourtant, ce patrimoine permet de procéder à des acquisitions, parfois considérables. En 2012, Facebook rachète Instagram pour 1 milliard, dont 700 M$ en actions Facebook ; En 2014, Mark Zuckerberg rachetait WhatsApp pour 10 milliards donc 15 milliards en action Facebook ; toujours en 2014, il rachetait Oculus pour 2 milliards dont 1,6 Mds en actions. On a du mal à comprendre pourquoi ce patrimoine permet de procéder à telles acquisitions (il confère donc un pouvoir important sur l’économie) et pourquoi il ne pourrait pas être imposable au même niveau que les autres contribuables. La proposition de payer en actions pour financer un fonds souverain qui serait utilisé pour financer des actions d’investissements dans la recherche ou l’éducation est envisageable.  

Si cette taxe était appliquée aux Etats-Unis, Mark Zuckerberg aurait commencé à payer en 2006, année à partir de laquelle, sa fortune dépasse les 100 M$. En 2007, elle est estimée à 1 milliard de dollars. 2 % représentent donc 20 M$ qu’il aurait pu céder sans trop de problèmes (à supposer qu’il ne paye déjà pas d’impôt). En 2014, sa fortune s’établissait à 30 milliards. 2 % représentent donc 600 M$. N’a-t-il pas lâché 15 milliards en actions pour racheter WhatsApp ?

En France, 86 % des Français sont favorables à cet impôt Zucman. Est-ce une aversion contre les « sales riches » comme peuvent le déclarer certains commentateurs ? En tous cas, ce n’est pas l’intention de son concepteur. Il s’agit de justice fiscale et ne concerne que les patrimoines supérieurs à 100 M€. En France cela représente 1800 personnes. On a dû mal à comprendre pourquoi autant de journalistes et d’analystes s’en font les avocats ?

Parmi les faiblesses de cet impôt, c’est l’effet se seuil qui pourrait venir à l’esprit. Un patrimoine de 101 M€ paiera la taxe, un patrimoine de 99 M€ ne paiera rien.  

En tous cas, si elle ne passe pas, la taxe Zucman aura au moins eu le mérite de mettre cette question en débat.

Certains entrepreneurs français de la tech se sont déclarés favorables à la taxe Zucman. C’est le cas de Marc Batty, co-fondateur de Dataïku, une licorne spécialisée dans la data science. Il signe une tribune avec d’autres fondateurs dans la Tribune.

Avec JB Rudelle (fondateur de Criteo, coté au Nasdaq) et Armand Thiberge (fondateur de Brevo, hashtag#Next40), nous avons décidé de prendre la parole dans La Tribune dimanche pour dire les choses clairement :

➡️ Oui, la taxe Zucman est nécessaire.
➡️ Oui, elle est applicable (même sur des titres non liquides).
➡️ Non, elle ne découragera pas l’entrepreneuriat.

D’ailleurs les Français ne s’y trompent pas : 86 % y sont favorables.
Ce n’est pas une question budgétaire. C’est une question de justice et de cohésion nationale.

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