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De la polarisation à la fracture

« Et c’est ainsi que nous vivrons » de Douglas Kennedy. Nous sommes en 2045 et les Etats-Unis ont sombrés dans la sécession en se séparant en deux nations qui correspondent à peu de choses près à la carte électorale de 2016 qui a porté Donald Trump à la Maison Blanche. Ce n’est pas un hasard car si Donald Trump n’a pas inventé la polarisation de l’Amérique, il l’a singulièrement accélérée. Avec de multiples événements : Charlottesville, Impeachment 1, Assaut du Capitole, Impeachment 2, Indictment 1, 2…

Le contexte du livre est donc très approprié à la situation actuelle dont il constitue une continuation vers un point de non-retour où les Etats-Unis semblent se diriger. Aujourd’hui, on parle sans cesse de cette polarisation extrême et pourtant on a du mal à imaginer qu’elle pourrait mener à la scission du pays en deux nations ennemies.

La République Unie, qui réunit les côtes Est et Ouest et quelques états dans le Midwest et l’Ouest (Colorado et Arizona) où la liberté des mœurs est totale mais la surveillance constante. Cette surveillance est assurée par un businessman – Morgan Chadwick – qui a consommé la séparation (dans le livre c’est le « Nord » qui fait sécession qui a développé une puce électronique. C’est en gros Facebook et les réseaux sociaux et les projets d’Elon Musk

La Confédération Unie, une théocratie qui allie « christianisme strict et économie de marché » où divorce, avortement et changement de sexe sont interdits (sans doute aussi le mariage gay). Entre parenthèses, on se demande dans quel pays on aimerait habiter, peut-être aucun des deux : « Le nouveau (monde), modelé par Chadwick et ses puces, inaugurait une ère où la dissidence de citoyens en colère contre une possible surveillance généralisée faisait pâle figure face à un système qui les avait sauvés du totalitarisme théocratique d’une minorité ».

« Bienvenue dans la Confédération unie. Le Pays de Dieu vous accueille à bras ouverts. Que le cœur pur et l’amour du Seigneur illuminent vos jours ».

L’intrigue du livre est assez banale et ne tire pas assez profit du contexte : Une agente secrète de la RU qui doit aller tuer sa demi-sœur dans la CU. Et pour ce faire, elle doit se passer par une zone neutre qui se trouve autour de Minneapolis. Ce n’est pas un hasard que les deux héroïnes du livre soient demi-sœurs de sang car elles sont aussi demi-sœurs de patrie. Chacune représente sa patrie, elles se haïssent même si elles ne se connaissent pas mais lorsqu’elles se retrouvent, elles ont envie de partagent leur expérience familiale.

Dans Joe Biden est présenté non pas comme une rupture mais comme une simple parenthèse entre un début et une continuation de régime religieux autoritaire.

L’auteur présente cette période historique de la manière suivante : « Trump a perdu son poste. Biden est entré à la Maison-Blanche telle une nouvelle incarnation de Franklin D. Roosevelt-déter- miné non seulement à éradiquer le virus, mais aussi à permettre au gouvernement d’intervenir à nouveau dans les affaires publiques pour le bien du pays après plusieurs décennies du laisser-faire si cher à Ronald Reagan. Nous espérions tous que les cols bleus du pays, et même peut-être les réactionnaires religieux qui ne bénéficiaient pas de l’abondance promise par leurs gourous, finiraient par voir que ce nouveau président avait réellement leurs intérêts à cœur.

Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. En 2024, un républicain à la sauce Trump, Gerald Compton – jusque-là sénateur du Nebraska – a remporté de peu l’élection grâce aux manipulations politiques et au redécoupage des circonscriptions pratiqués par son parti. Biden avait eu beau obtenir trois millions de votes de plus que Compton, les calculs du collège électoral étaient formels. Les républicains contrôlaient à nouveau les trois branches du gouvernement fédéral. Quand un juge démocrate de la Cour suprême a succombé à un infarctus en 2027, la majorité conservatrice y est passée à sept contre deux.

En 2028, de nouvelles manipulations électorales – comme la suppression du vote par correspondance dans la plupart des États – ont assuré la réélection de Compton et la multiplication des républicains aux postes majeurs du gouvernement. Le Congrès a voté une loi pour interdire aux États de dépénaliser l’avortement, tous les programmes ayant trait à la contraception au niveau fédéral ont été interrompus et le mariage homosexuel a été déclaré inconstitutionnel. La presse publique a perdu toutes ses subventions. Les prières chrétiennes ont été autorisées dans les établissements publics. Le président et le Congrès se sont mis d’accord pour n’accorder le statut de résident qu’aux immigrés chrétiens pratiquants munis d’un casier vierge. Les citoyens juges « subversifs et anti-Américains » par un comité spécial créé au sein du département de la Justice se sont vu refuser le renouvellement de leur passeport. De nombreuses voix d’intellectuels se sont élevées devant cette dérive vers la théocratie ».

Douglas Kennedy présente son livre à La Grande Librairie dans un excellent français.

Et la tension est devenue si forte entre les deux parties qu’elle a fini par donner naissance quelques années plus tard à deux nations. Et c’est ce Morgan Chadwick qui a été « l’un des chefs de file du mouvement séparatiste ». Le schisme est intervenu après le massacre de Cleveland faisant des centaines de victimes. C’est le début d’une seconde guerre de Sécession qui fait presque autant de morts que la première. Ce qui sépare les Américains est désormais plus grand que ce qui les réunit.

Pour Douglas Kennedy, les deux parties qui se détestent ont toujours existé mais c’est la religion qui est la cause de cette séparation sanglante. Au début, les premières Colonies sont une expérience religieuse. Et à l’heure où le pays se sécularise, comme tous les pays occidentaux, les pro-religieux se raidissent et ne supportent plus ceux qui ne sont pas comme eux. Il ne semble pas aimer les religions : « Comme toutes les religions organisées, celle-ci se fonde sur le principe de culpabilité et sur l’idée que rien n’échappe à l’œil de Dieu ».

L’histoire se termine comme elle le doit mais on ne le dévoilera pas pour ne pas enlever le suspense.

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