DECEMBRE
28 décembre
2025 : le basculement américain
Il y a encore quelques années, qualifier les États-Unis de « démocratie illibérale » relevait de l’exagération polémique. Aujourd’hui, c’est devenu un débat sémantique secondaire. Car le cœur du problème n’est plus le mot que l’on choisit — illibéralisme, autocratie élective, régime autoritaire, voire dictature molle — mais le mouvement (irréversible ?) qui s’est enclenché sous nos yeux.
Kamala Harris n’avait pas dramatisé. Elle avait décrit avec lucidité. Avec Donald Trump, disait-elle, la démocratie serait remise en question. Non pas attaquée frontalement en un jour, mais grignotée, contournée, vidée de sa substance. L’année 2025 aura levé toute ambiguïté : ce qui était un risque est devenu une trajectoire.
La démocratie américaine ne s’est pas effondrée dans un fracas spectaculaire. Elle se dissout lentement, par accoutumance. Le Congrès n’est plus un contre-pouvoir, mais une chambre d’enregistrement, voire d’effacement. La Cour suprême n’est plus un arbitre constitutionnel, mais un atelier d’ingénierie idéologique au service de l’exécutif. La justice est instrumentalisée, la science dépréciée, les agences fédérales purgées, les médias intimidés, les universités menacées, les opposants désignés comme ennemis intérieurs.
Ce basculement n’est pas accidentel. Il est méthodique. Il repose sur trois piliers désormais clairement assumés : la concentration du pouvoir, la disqualification du réel, et la normalisation de la violence politique. Le mensonge n’est plus un dérapage, mais une politique publique. La haine n’est plus un sous-produit électoral, mais un moteur. La peur n’est plus une conséquence, mais un objectif.
À l’intérieur, l’État de droit devient conditionnel. Les lois s’appliquent aux faibles, se négocient pour les puissants, s’effacent devant la volonté présidentielle. L’exécutif gouverne par représailles, par chantage budgétaire, par menaces à peine voilées. Obéir à un ordre illégal devient une question de loyauté ; refuser devient une trahison. La frontière entre autorité et arbitraire s’estompe.
À l’extérieur, le basculement est tout aussi profond — et peut-être plus inquiétant encore. Les États-Unis ne se comportent plus comme un allié imprévisible mais rationnel, défendant durement ses intérêts dans un cadre partagé. Ils se comportent même comme une puissance hostile aux principes mêmes qu’elle prétendait incarner.
L’Ukraine n’est plus soutenue : elle est sommée de capituler. Les institutions multilatérales sont instrumentalisées ou ridiculisées. Les dictateurs sont flattés, courtisés, imités. Les partenaires historiques — européens, canadiens, asiatiques — découvrent qu’ils ne sont plus des alliés, mais des variables d’ajustement, voire des obstacles à abattre.
Ce n’est pas seulement une rupture diplomatique. C’est un renversement moral. L’Amérique n’exporte plus un modèle, elle exporte une méthode : celle de la force brute, du mépris du droit, du transactionnel sans règle. Elle ne garantit plus la stabilité ; elle produit de l’instabilité. Elle ne protège plus l’ordre international ; elle en accélère la décomposition.
Le plus inquiétant n’est pas Donald Trump lui-même. C’est ce qui lui survit déjà : un Parti républicain domestiqué, une Cour suprême complaisante, une partie de la population habituée à l’illégalité, et une banalisation du langage autoritaire. Une démocratie ne meurt pas quand un homme abuse du pouvoir. Elle meurt quand plus personne ne s’en étonne.
L’année 2025 aura été celle de la clarification. Les États-Unis ne sont plus simplement une démocratie en crise. Ils sont un régime en transition — loin de l’idéal qu’ils proclamaient, et dangereusement proches de ce qu’ils prétendaient combattre.
L’histoire retiendra peut-être une ironie cruelle : la plus vieille démocratie constitutionnelle du monde n’a pas été renversée par un coup d’État, mais par l’érosion patiente de ses garde-fous, sous les applaudissements de ceux qui confondaient la liberté avec le droit, voire avec la jouissance de dominer.
Et pendant que l’Amérique se persuade encore qu’elle est “great again” ses alliés, eux, commencent à comprendre qu’ils doivent désormais se protéger d’elle.
“Nous sommes tous Américains” avait titré le quotidien Le Monde au lendemain du 11 septembre 2001. Désormais, essayons de devenir Européens.
21 décembre
Make climate hoax great again
“There’s no question that climate action is a combination conspiracy, really, a climate cartel that’s specifically designed to drive up the price of gasoline for America’s consumers. Driving up the price of electricity by putting pressure on the oil industries or businesses that are heavy users of oil and gas”, déclarait Tim Cotton, sénateur de l’Arizona, sur Fox News en 2022. Ce dernier a reçu plus d’un million de dollars de soutien de l’industrie pétrolière pour sa dernière campagne.
Sur le dérèglement climatique, comme sur la plupart des autres sujets structurants, il n’existe plus de contre-pouvoir à Washington. Le Congrès n’est pas en tension avec la Maison-Blanche : il est aligné — ou plus exactement, soumis. Le président Trump et la majorité républicaine du 119ᵉ Congrès partagent désormais une conviction idéologique centrale : le changement climatique — comme l’Union européenne — serait un « hoax », une imposture destinée à entraver l’économie américaine.
Le rapport[i] du Center for American Progress est sans ambiguïté : 119 membres du Congrès[ii] nient explicitement le consensus scientifique sur l’origine humaine du dérèglement climatique. Plus grave encore, ces élus occupent près de 70 % des postes de leadership au sein du pouvoir fédéral, de l’exécutif aux commissions clés du Congrès. La négation n’est plus marginale : elle structure désormais la décision publique.
La politique américaine a toujours été émaillée de choix contestables, parfois brutaux, souvent idéologiques. Mais beaucoup sont réversibles. Une réforme fiscale peut être corrigée. Une dérégulation financière peut être amendée. Une loi injuste peut être abrogée. Le climat, lui, obéit à une autre temporalité. Les politiques climatiques peuvent être restaurées demain, mais le temps perdu, on le sait bien, ne se récupère jamais. Chaque année d’inaction aggrave un phénomène physique, économique et humain qui ne négocie pas et ne vote pas.
L’ironie historique est saisissante. Le parti républicain n’a pas toujours été prisonnier de cette anti-science revendiquée. C’est Richard Nixon qui créa en 1970 l’Environmental Protection Agency (EPA), considérant que la protection de l’environnement relevait de l’intérêt national. À l’époque, l’écologie n’était pas une guerre culturelle, mais une responsabilité d’État.
Ce basculement ne s’explique pas seulement par l’ignorance ou le populisme. Il s’inscrit dans un système d’influences puissantes, où l’industrie des énergies fossiles joue un rôle central. Les élus climato-négationnistes ont perçu plus de 51 millions de dollars de contributions de ce secteur au cours de leur carrière, tandis que l’industrie pétrolière a dépensé près de 250 millions de dollars en lobbying lors du dernier cycle électoral[iii]. Nous sommes ici dans une zone grise, entre influence légale, capture réglementaire et corruption systémique — un travers aujourd’hui exercé en majesté à Washington.
Le résultat est une politique publique qui détricote méthodiquement les outils de lutte contre le réchauffement : démantèlement des investissements climatiques de l’Inflation Reduction Act, nouveaux avantages fiscaux accordés au pétrole, affaiblissement des agences scientifiques, mise sous tutelle idéologique de l’EPA. Tout cela pendant que les catastrophes climatiques frappent déjà presque tous les États américains.
Le déni climatique n’est pas une opinion. C’est une stratégie politique, un choix conscient, lourd de conséquences. Et contrairement à bien d’autres errements du pouvoir, celui-ci ne laisse aucune marge de manœuvre à long terme. L’histoire jugera sévèrement cette génération de dirigeants qui, au nom d’un « hoax », auront sacrifié des années décisives. La planète, elle, a déjà commencé à présenter l’addition[iv].
[i] Climate Deniers of the 119th Congress and the Second Trump Administration
[ii] Inutile de préciser qu’ils sont quasiment tous républicains
[iii] Attribués à 88 % aux républicains et 12 % aux démocrates.
[iv] Depuis 1980, les États-Unis ont connu 417 catastrophes météorologiques et climatiques dont les dommages ont chacun atteint au moins un milliard de dollars, pour un coût total dépassant 3 100 milliards de dollars. Ça fait cher pour un hoax.
14 décembre
Le début de la fin ?
Donald Trump avait tenu le Parti républicain sous son joug par un mélange de fascination, d’intimidation et d’un réflexe pavlovien : on ne s’oppose pas au chef qui peut détruire votre carrière d’un seul post. Mais cette époque semble toucher à sa fin. L’épisode récent du Sénat de l’Indiana, refusant de redessiner les circonscriptions malgré les injonctions de Trump, marque une rupture symbolique. La menace ne suffit plus. L’incantation ne fonctionne plus. Le vote, lui, a parlé : 19–31. Un camouflet public, impossible à maquiller.
Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. L’affaire Epstein, qui a vu même les loyalistes les plus bruyants ignorer les consignes venues du sommet. Le refus des sénateurs républicains d’enterrer le filibuster pour satisfaire un caprice présidentiel. Et désormais, la fronde silencieuse autour de l’opération militaire douteuse dans les Caraïbes, qui ressemble à s’y méprendre — selon plusieurs experts — à un cas d’école de crime de guerre. Longtemps, les républicains se sont tus par calcul. Aujourd’hui, ils se taisent par prudence. Demain, ils parleront sans doute par opportunisme.
Mais la plus grande alerte ne vient pas des couloirs du Capitole : elle vient des urnes. Là où Donald Trump se croyait encore capable de renverser la table, la table commence à faire un effet boomerang. Les démocrates raflent des bastions qu’il avait largement remportés. Ils reconquièrent Miami. Ils gagnent en Géorgie. Les signaux s’accumulent, têtus. Les électeurs républicains eux-mêmes, qui toléraient tout — les outrances, les insultes, les dérapages racistes, les bruits de guerre —, commencent à faire ce que l’on pensait impossible : regarder ailleurs.
L’inflation ou sa nouvelle appellation, l’“affordability”? Donald Trump balaie la crainte d’un revers de main. La lassitude ? Il l’amplifie en ressassant ses obsessions. La colère ? Il l’entretient en s’enfermant dans des diatribes nocturnes de plusieurs centaines de mots. Cette stratégie pouvait fonctionner en 2016, peut-être. En 2024, elle tirait encore son énergie d’une illusion de toute-puissance. Mais en 2025, le public semble se lasser du spectacle. Et la politique américaine, elle, n’offre pas de rappel pour un acteur qui a déjà dépassé son apogée.
Donald Trump reste un président puissant, certes. Avec l’aide de la Cour Suprême, il concentre un pouvoir inédit fondé sur la théorie fumeuse de l’exécutif unitaire. La présidence hypertrophiée qu’il a bâti est désormais une forteresse où il tourne en rond, entouré d’alliés fatigués et d’opposants plus nombreux chaque semaine. Son humeur s’en ressent. Sa lucidité aussi. Entre les insultes lancées à son cabinet, les attaques contre la presse, les envolées confuses sur ses capacités cognitives, et les répétitions assumées des propos racistes qu’il niait hier encore, Donald Trump donne l’image d’un homme qui sent venir la fin.
La politique américaine assiste à un phénomène qu’elle n’avait jamais envisagé : la fin de l’ère Trump, non pas dans un fracas spectaculaire, mais dans une érosion lente, méthodique, presque mécanique. Une fin qui ressemble moins à une chute qu’à un décrochage progressif — celui des fidèles, des électeurs, et bientôt, peut-être, du Parti tout entier.
On ne tire pas sur une ambulance ? Mais si, évidemment. Surtout lorsqu’elle roule encore, mais qu’elle semble à la peine. Monsieur Teflon se transforme peu à peu en monsieur Velcro. Un troisième mandat ? Entre cette érosion électorale et ce déclin cognitif, on voit assez mal comment il pourra même finir le deuxième qui sera alors le second. En revanche, un troisième impeachment n’est pas inconcevable.
7 décembre
DE MAGA à FIFA
De Make American Great Again à Forever In Fantasyland, America. Vendredi, le grand jour est arrivé, coïncidant avec le tirage au sort de la Coupe du Monde 2026. Mais là, peu de suspens : on ne se faisait guère d’illusion sur l’identité du lauréat du fameux prix de la paix.
“This is truly one of the the great honors of my life” a déclaré le plus sérieusement du monde Donald Trump en recevant des mains du président de la FIFA, Gianni Infantino, le prix de la Paix de la FIFA. Un prix qui n’existait pas et qui a été imaginé spécialement pour Donald Trump.
Ah, la paix ! Ce noble idéal qui, depuis des siècles, inspire les grands hommes, les diplomates, les Mahatma Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela, Mère Teresa et désormais Donald Trump. Puisque le prix Nobel de la paix était trop élitiste pour le président américain, qu’à cela ne tienne : la FIFA invente le sien ! Un « FIFA Peace Prize — Football Unites the World ».
A qui revient l’honneur de ce prix flambant neuf ? À un homme qui a passé quatre ans à diviser son pays, à menacer ses alliés, à couler des navires sans preuve de leur cargaison, à insulter la terre entière, à s’allier avec les dictateurs… Mais peu importe : Pour Infantino, Trump est un pacificateur.
Que nous vaut une telle décoration ? Alors que les critiques se focalisent sur les menaces Maga de retirer des matchs de la Coupe du Monde des villes au motif qu’elles sont dirigées par des démocrates, la FIFA voit Donald Trump comme un artisan de la paix entre les nations du football ? Par son génie diplomatique footballistique, le président américain, qui avait qualifié le football de sport de faibles, est parvenu à une trêve historique entre les équipes les plus irréconciliables du monde !
– Le Brésil et l’Argentine ? Désormais frères de cœur grâce à l’intervention présidentielle !
– La France et l’Allemagne ? Une nouvelle entente cordiale, non pas par le charbon et l’acier, mais par le cuir et le gazon !
– L’Italie, la Grande-Bretagne, l’Espagne… en pleine communion autour du ballon.
C’est toute la planète football qui se prosterne devant ce pacificateur inattendu. Les grands enjeux géopolitiques ? Oubliés ! Le vrai conflit, c’était le ballon rond, et il est résolu ! Cela fait donc le neuvième conflit réglé en neuf mois. En passant, comment les Etats-Unis vont-ils accueillir tous les joueurs qui viennent de “shithole countries”. Et imaginons que la Somalie gagne la Coupe.
Bien sûr, cette initiative n’a rien à voir avec le fait que Trump est un allié utile pour organiser le Mondial 2026 aux États-Unis. Rien à voir non plus avec les bureaux de la FIFA à la Trump Tower, loués à prix d’or (ou presque, puisque personne ne semble y mettre les pieds). Rien à voir, surtout, avec les petits cadeaux échangés entre « my boy » (Trump parlant d’Infantino, dans un élan de tendresse paternelle) et son fan club personnel. Un replica du prix Nobel de la paix, offert comme un vulgaire porte-clés à un président qui, visiblement, collectionne les symboles de pouvoir comme d’autres collectionnent les cartes Pokémon.
On pourrait rire. On pourrait se dire que tout cela n’est qu’une mascarade, une farce grotesque où deux ego surdimensionnés s’auto-congratulent. Mais le problème, c’est que cette mascarade a un coût : celui de la crédibilité d’une institution comme la FIFA, déjà bien entachée par des années de scandales. Et celui, plus grave encore, de la banalisation du cynisme et du grotesque.
Si l’on n’était pas encore assuré que le ridicule ne tue pas, on vient d’en avoir une démonstration magistrale.
NOVEMBRE
30 novembre
Les États-Unis jouent la Russie contre l’Ukraine
Tout a commencé par une révélation d’Axios : un plan en 28 points entièrement défavorable à l’Ukraine, ne contenant pas la moindre exigence envers la Russie. On a appris ensuite que ce plan avait été élaboré par Steve Witkoff — affairiste immobilier et compagnon de golf de Donald Trump — en tandem avec Jared Kushner, le gendre du président, et Kirill Dmitriev, oligarque proche de Vladimir Poutine, placé sous sanctions américaines. Pendant que Marco Rubio, devenu secrétaire d’État et théoriquement responsable de la diplomatie américaine, se voyait confier la mission d’enrober la pilule pour les Ukrainiens, Daniel Driscoll, secrétaire à l’Armée, faisait passer le message sans détour : vous êtes en train de perdre, il faut céder.
Quelques jours plus tard, Bloomberg dévoilait une conversation entre Witkoff et Yuri Ushakov. Le premier y expliquait au second comment Poutine devait s’y prendre pour faire plier Trump. Au passage, une évidence : les services russes ont besoin de cours de rattrapage sur la psychologie présidentielle américaine. Visiblement, le KGB nouvelle génération ne maîtrise pas encore l’art de séduire un occupant de la Maison-Blanche.
Selon The Telegraph, l’administration américaine, lasse de la résistance ukrainienne, serait désormais prête à conclure un accord reconnaissant notamment le contrôle russe sur les quatre oblasts occupés. Pendant ce temps, depuis le Kirghizistan, Vladimir Poutine menace de continuer la guerre « jusqu’à ce que le dernier Ukrainien meure ».
Comme si cela ne suffisait pas, le Wall Street Journal a révélé l’existence d’un plan parallèle, orchestré par Witkoff, Kushner et Dmitriev, visant à développer des opportunités d’affaires dans l’Est industriel de l’Ukraine… précisément dans les territoires tombés sous contrôle russe.
Le Canada a récemment diffusé une courte vidéo montrant Ronald Reagan célébrant le libre-échange. L’Ukraine, elle, pourrait en projeter une autre : celle où l’ancien président républicain jurait de contenir l’expansionnisme russe. Une mémoire utile, par les temps qui courent.
Du Grand Old Party au Grand Old Trumpy.
23 novembre
Exécuter ou non un ordre illégal ?
Six élus démocrates[i] – tous anciens gradés – ont publié cette semaine une vidéo dans laquelle ils expliquent candidement qu’il n’y a aucune obligation d’exécuter un ordre s’il est illégal, et même qu’il ne faut pas l’exécuter. Une déclaration qui fait suite notamment aux ordres donnés par Donald Trump de faire bombarder des bateaux, au simple motif qu’ils pourraient transporter de la drogue vers les États-Unis.
Réaction du propriétaire de la Maison Dorée, alias ex-Maison-Blanche : une avalanche de messages, dont ce chef-d’œuvre de la démocratie trumpienne : “SEDITIOUS BEHAVIOR, punishable by DEATH.” Une menace à peine voilée, assimilable à un mandat de mise à mort par procuration, immédiatement entendue par des dizaines de fanatiques du mouvement MAGA. Les vraies menaces envers les élus n’ont pas tardé.
“There is no insurrection or sedition without the use of force. Disobeying a lawful is insubordination, not insurrection or sedition. Disobeying an unlawful is required? That is all” explique Andy McCarthy, commentateur sur les très conservateurs médias Fox News et National Review.
En temps normal, une telle sortie de leur président provoquerait au minimum une salve d’indignation. Mais nous avons bien compris que nous ne sommes plus en temps normal. Le courage et la probité ne semblent plus être les qualités les mieux partagées dans le camp républicain.
En 1974, les collaborateurs les plus proches de Richard Nixon avaient pris des précautions pour anticiper et neutraliser d’éventuels dérapages du président. Dans le cercle rapproché de Trump 2.0, nul ne semble capable de contenir un chef d’État que la perspective de voir son pouvoir s’effriter rend chaque jour plus imprévisible — et plus dangereux.
[i] Senator Elissa Slotkin (D-MI), Senator Mark Kelly (D-AZ), Rep. Jason Crow (D-CO), Rep. Chris Deluzio (D-PA), Rep. Chrissy Houlahan (D-PA), and Rep. Maggie Goodlander (D-NH)
16 novembre
The power of the purse
Deux fois déjà, depuis que Donald Trump est revenu à la Maison-Blanche, des millions d’Américains ont manifesté, mobilisés autour du mot d’ordre « No King ». Deux journées d’actions, à travers tout le pays, dans les États MAGA, bleus ou simplement républicains, pour rappeler l’évidence fondatrice : Ici, personne ne règne seul.
Donald Trump, autoproclamé maître des cordons de la bourse fédérale, n’aime pas beaucoup le Congrès, lui dicte sa loi, pourtant l’essence même de son existence. Payer ce qui a été voté ? Ne pas payer ce qui ne l’a pas été ? Quelle lourdeur ! “I can alone pay it”.
Le Government Accoutability Office[i] (GAO) dénombre au moins six violations de la loi. Et encore, on ne compte pas les entorses accomplies en plein shutdown. Il est vrai que pour ignorer, tordre ou contourner la loi, Donald Trump est un champion. Selon les enseignements de son mentor, Roy Cohn, la loi n’est pas faite pour dire le droit, mais pour atteindre des objectifs, quels que soient les moyens utilisés.
Les républicains au Congrès ? Ils se taisent, ils abdiquent. Ils laissent le pouvoir législatif se fondre dans l’ombre d’un chef qui décide tout seul.
Les tribunaux ? Ils râlent un peu. Quelques juges s’accrochent encore aux règles de la démocratie.
La Cour Suprême ? Elle est assez créative pour permettre à Sa Majesté de gouverner sans s’encombrer de textes. En actualisant la vieille idée que “When the president does it, that means that it is not illegal[ii].”
Les États-Unis se sont construits sur des règles simples, dont la séparation des pouvoirs qui empêchait quiconque d’aller trop loin. On assiste aujourd’hui à la mise en œuvre d’une nouvelle règle simple : la consolidation des pouvoirs. Pour paraphraser Nikita Krouchtchev[iii] : « Mon pouvoir est acquis, le tien peut toujours se négocier ». Roy Cohn l’avait dit d’une autre manière : “Power is not given, it is taken. And I will take it”.
[i] The United States Government Accountability Office (GAO) is an independent, nonpartisan government agency within the legislative branch that provides auditing, evaluative, and investigative services for the United States Congress. It is the supreme audit institution of the federal government of the United States (Source : Wikipedia).
[ii] Richard Nixon, 1977, Frost/Nixon Interviews
[iii] Nikita Khrouchtchev / L’assemblée générale de l’ONU – 13 octobre 1960
9 novembre
En préparation d’un tsunami bleu
Les dernières élections ont infligé un revers historique à Donald Trump. Les démocrates n’ont pas simplement gagné : ils ont remporté une victoire massive, y compris dans des États traditionnellement conservateurs. Le message est clair : les électeurs, jusque dans les classes populaires, commencent à se lasser de la comédie MAGA.
Depuis des années, les commentateurs répètent qu’il faut choisir entre défendre la démocratie et se préoccuper du pouvoir d’achat. Les démocrates viennent de prouver le contraire : on ne sauve pas la démocratie sans s’occuper du coût de la vie, et on ne protège pas le pouvoir d’achat sans défendre la démocratie.
Un président qui ferme les administrations pour punir ses adversaires est aussi celui qui laisse des familles au chômage. Un président qui méprise les institutions détruit la confiance, bloque l’investissement et fait vaciller l’emploi. Quand il gouverne pour ses milliardaires, supprime les protections sociales ou impose des droits de douane absurdes, il ne s’attaque pas seulement à l’État de droit — il étrangle les classes moyennes.
Donald Trump persiste dans la surenchère. Il rend les démocrates responsables du shutdown tout en exigeant que son parti supprime le filibuster, cette règle qui empêche un seul parti de gouverner sans contrôle. Il promet alors que les Républicains pourront imposer leurs lois sans jamais craindre l’alternance :
“If they nuke the filibuster, Democrats in power in the future would use a simple majority to pass whatever legislation they wish… Republicans could pass legislation that would guarantee they would never lose the midterms and we will never lose a general election again.”
Sur son réseau social, il célèbre l’économie américaine :
“Our economy is booming, and costs are way down. Affordability is our goal. In nine months, we have delivered historic results for the American people, and the best is yet to come.”
Mais les Américains font leurs courses. Ils savent ce que coûte un panier d’épicerie, un plein d’essence, un loyer. Ils comparent les promesses à la réalité et voient l’écart.
Les midterms de 2026 ne devraient pas inverser la tendance. Certains élus républicains espèrent que le président, comprenant enfin le message des élections partielles, choisira de se recentrer. En réalité, il fera l’inverse : il accentuera l’extrémisme, exigera une loyauté absolue, insultera les modérés et menacera ses juges.
Si les Républicains échouent encore, ce ne sera ni la faute des médias, ni celle de l’État profond. Ce sera la conséquence d’un parti prisonnier d’un homme incapable de gouverner sans punir et de gagner sans tricher. Donald Trump ne cherche pas l’unité. Il cherche la vengeance.
2 novembre
La Zucmania va-t-elle déferler en Californie ?
De nombreux commentateurs essaient de brouiller les pistes à propos de la taxe Zucman. Les arguments sont connus et répétés : haine des riches, la France est le pays aux prélèvements obligatoires les plus élevés, cette taxe briserait le dynamisme de l’économie française, elle ne résoudrait pas le problème de la dette, elle confond revenu et patrimoine, les ultra-riches fuieraient la France et en feraient un champ de ruines… Certaines de ces affirmations sont déraisonnables, d’autres ne sont pas fausses, mais elles sont toutes hors sujet. La taxe Zucman part du simple constat que les ultra-riches (les 0,01% de la population) sont aussi ultra-créatifs pour échapper à l’impôt. Et ils atteignent leurs objectifs puisqu’ils en payent en moyenne deux fois moins d’impôt sur le revenu que le reste de la population.
Lors du premier débat avec Hillary Clinton pour la campagne présidentielle de 2016, Donald Trump s’était vanté de ne pas payer beaucoup d’impôts : « That makes me smart » avait-il rétorqué à son opposante.
Warren Buffet l’avait déjà déclaré en son temps en expliquant qu’il payait moins d’impôts que sa secrétaire. Cela avait donné lieu au rapport The Buffett Rule: A Basic Principle of Tax Fairness dont la principale conclusion était qu’« aucun foyer dont le revenu dépasse 1 million de dollars par an ne devrait payer un pourcentage d’imposition effectif (impôts fédéraux + charges sociales) inférieur à celui payé par les familles de la classe moyenne ». Une conclusion qui ne menaçait ni la propriété privée ni la liberté individuelle et ne faisait pas des États-Unis un pays communiste. Le promoteur français de la taxe éponyme ne dit pas autre chose.
Aux Etats-Unis, la Californie prépare un projet similaire. À l’initiative du SEIU-UHW (Service Employees International Union, United Healthcare Workers West), l’État envisage un projet de taxe sur les milliardaires (nombreux comme l’on sait dans la Silicon Valley). Il s’agit d’une taxe ponctuelle (one‑time tax) de 5 % sur la valeur nette (net worth) des milliardaires californiens, afin de compenser des coupes fédérales annoncées dans Medicaid (assurance santé pour les plus modestes) et dans les financements de l’éducation publique (K‑12). Le texte du projet est formalisé dans l’Initiative 25‑0024 (2026 Billionaire Tax Act) déposée auprès de l’Attorney General de Californie. Pour qu’il figure sur le bulletin de vote en novembre 2026, il faudra recueillir un minimum de 874 000 signatures d’ici au printemps 2026. Le produit attendu est d’environ 100 milliards de dollars, soit un montant considérable comparé aux 320 milliards de dollars du budget de l’État. Comme toujours, les États-Unis voient les choses en grand.
OCTOBRE
26 octobre
Make American Corruption Great Again
Donald Trump réclame 230 millions de dollars à l’État fédéral. Non pas en compensation pour un service rendu à la nation, ni pour un accident de travail à la Maison-Blanche, mais parce qu’il estime avoir été « persécuté » par la justice américaine. En clair, le président des États-Unis veut que les contribuables paient les frais de son narcissisme judiciaire. Les enquêtes sur ses liens avec la Russie ? Une « chasse aux sorcières » qui mérite compensation. La perquisition du FBI à Mar-a-Lago ? Une « violation de sa vie privée » (comme si sa vie privée n’était pas déjà un open space national). Et bien sûr, tout cela a « nui à sa réputation » — cette réputation si fragile, comme un château de cartes dans un ouragan.
Le grotesque vire au sublime : l’administration Trump, composée de ses anciens avocats désormais promus à la tête du ministère de la Justice, pourrait signer le chèque. Le président, lui, reconnaît à demi-mot que la situation « paraît étrange », puisqu’il ordonnerait lui-même la signature du chèque. Un aveu touchant de lucidité : la corruption américaine a atteint le point où le chef de l’État peut littéralement s’octroyer un virement depuis le Trésor public, sans que personne ne s’étrangle.
C’est un théâtre de l’absurde où Kafka aurait pris des cours de marketing à Trump University. Les institutions n’existent plus que comme décor de télé-réalité : le ministère de la Justice comme figurant servile, le fisc comme distributeur automatique, et la Constitution reléguée au rang de contrat de sponsoring. Les États-Unis n’ont pas un président : ils ont un actionnaire majoritaire qui s’accorde un dividende patriotique.
Ces 230 millions symbolisent bien plus que la rapacité d’un seul homme : il signe la métamorphose de la première démocratie mondiale en entreprise à but personnel. L’éthique publique y est traitée comme une clause de non-concurrence ; la séparation des pouvoirs, comme une gêne bureaucratique ; la honte, comme une faiblesse socialiste.
Quant à la base MAGA, qu’elle ouvre les yeux : on ne « reprend » pas un pays en le mettant en gage. Pendant que les ouvriers du Midwest paient leurs impôts, leur idole négocie avec ses propres subalternes la meilleure manière de leur vider les poches, le tout en jurant qu’il donnera « l’argent à la charité ».
Il y eut jadis, à la naissance de l’Amérique, une révolution contre un roi jugé avide et lointain. “No taxation without representation”, s’exclamaient alors les révolutionnaires. Deux siècles plus tard, voici un monarque de golf, exigeant sa dîme non plus sur les colonies, mais sur les États-Unis eux-mêmes. “Taxation with no consent” est le nouveau mot d’ordre.
Les Américains doivent se demander s’ils veulent vraiment financer le procès permanent d’un homme contre la réalité. Car si le pays continue de signer les chèques du mensonge, il découvrira bientôt que la République, elle aussi, a été mise en liquidation judiciaire.
19 octobre
No Kings day!
Samedi 18 octobre fut une journée historique contre la tyrannie.
Une véritable marée humaine s’est rassemblée dans plus de 2 500 villes des États-Unis pour dire STOP au régime autoritaire qui s’installe dans le pays régi par la plus ancienne constitution du monde.
« A nation of laws, not of men », avait écrit John Adams, l’un des plus éminents Pères fondateurs, édictant dans une simple formule l’un des fondements de la démocratie. La formule apparaît dans la Constitution du Massachusetts, plus précisément dans le préambule du chapitre XXX de la Declaration of Rights. À l’époque, les colons cherchaient à rompre avec l’arbitraire royal et les abus de ses subalternes, les gouverneurs nommés par la Couronne. Pourtant, nous sommes loin de la royauté absolue que l’on a connue en France sous Louis XIV. Le régime fonctionnant sous George III et ses prédécesseurs n’est pas de droit divin, mais un pouvoir encadré par le droit des hommes et qui partage la souveraineté avec le Parlement.
Ces laws régies par la Constitution, élargie par les lois successives votées par le Parlement, n’ont pas empêché l’arrivée d’un président incapable de faire la distinction entre le pays et son patrimoine. Quand il donne 20 milliards de dollars à son buddy Javier Milei, l’homme à la tronçonneuse, il pense sans doute les sortir de son portefeuille. On est loin de America First et plus près de Trump First.
La loi, à elle seule, n’est donc qu’un morceau de papier qui peut être facilement contourné si elle n’est pas défendue par les hommes. Sur ce point, la semaine ouvre plutôt à l’optimisme. Les aéroports disent non à une Kristi Noem qui veut diffuser un message de petite politique ; le MIT, porte-drapeau des universités, refuse de se coucher ; les anciens ministres de la Santé dénoncent la folie meurtrière de leur successeur complotiste ; les médias refusent de se bâillonner.
Donald Trump a pris le pouvoir que le peuple MAGA a bien voulu lui donner et que ses affidés lui permettent d’exercer. Les quelque 7 millions d’Américains qui ont déferlé dans les rues des villes américaines disent : NON.
12 octobre
Oslo dit non à Donald Trump
Live depuis le site Nobel.org. Il est 11h tapantes ce 10 octobre 2025. Le porte-parole du comité Nobel commence son intervention : “To a women”… On a compris, Donald Trump ne recevra pas le prix Nobel de la paix 2025. … Aussitôt, les trompettes de l’outrage ont retenti : trahison ! complot ! insulte à la nation ! L’homme qui se voulait messie de la réconciliation universelle s’est découvert martyr d’un système corrompu. À l’entendre, le refus du Nobel ne serait pas une simple décision du comité d’Oslo, mais un affront historique fait à l’Amérique — c’est-à-dire, dans son esprit, à sa propre personne.
La scène est d’une ironie achevée : le même homme qui a passé sa vie à mépriser les institutions s’offusque aujourd’hui qu’une institution le méprise. Le même qui a insulté juges, journalistes et diplomates réclame désormais justice et reconnaissance. Sa colère est théâtrale, calibrée, performative — comme tout le reste. Et déjà, ses sycophantes hurlent à l’unisson, repeignant l’échec en victoire morale, érigeant leur chef en martyr de la vérité cosmique. Le Nobel, disent-ils, ne le mérite pas.
Car chez Trump et les siens, la réalité n’est jamais qu’un décor à repeindre. On se souvient de ses relances frénétiques auprès du magazine Forbes pour figurer parmi les milliardaires, de ses communiqués triomphants sur les « sept guerres » qu’il aurait fait cesser, de ses annonces de paix écrites comme des communiqués de victoire personnelle. Tout est toujours mis en scène, chiffré, décoré. Sa vie entière est une réclame, et même le monde devient accessoire de son spectacle.
Il faut le voir, aujourd’hui encore, invoquer son plan de paix en vingt points, dont trois ou quatre seulement ont abouti. Il faut l’entendre se présenter comme celui qui a « libéré des otages » — sans se rappeler combien d’autres l’ont fait, avant lui, notamment son prédécesseur, sans en faire une épopée de propagande. Chez lui, chaque geste doit rapporter des applaudissements. La vertu se mesure à la clameur.
Mais qu’aurait signifié ce Nobel, au fond, sinon la consécration d’une comédie ? Donner à Donald Trump le prix de la paix, c’eût été canoniser le vacarme. Il a transformé l’Amérique en champ de bataille politique, dressé les uns contre les autres, et répandu sur le monde une guerre commerciale sans fin. Il n’a cessé d’humilier les alliés, d’encenser les despotes, d’avilir la parole publique. L’idée même de concorde lui est étrangère : il ne conçoit la paix que comme la victoire du plus fort, et l’ordre que comme sa domination.
Qu’il enrage aujourd’hui est donc dans l’ordre des choses : c’est le narcissisme blessé du prophète non couronné. Ses affidés, eux, répètent en chœur que le monde craint sa grandeur, que le Nobel aurait trahi sa mission. Ils confondent la lumière avec le projecteur, et la gloire avec le vacarme. Mais le comité d’Oslo aura résisté à la tentation du spectacle : il aura compris qu’on ne récompense pas la paix quand elle n’est qu’un rôle joué.
Et pourtant, il faut le dire : ce refus n’est pas une punition. C’est une délivrance. Pour le Nobel, pour l’idée même de la paix, pour cette fragile espérance qu’il reste encore des lieux où le mot « mérite » a un sens. La paix ne se mendie pas. Elle ne se proclame pas sur un podium. Elle se construit dans le silence des hommes qui ne se prennent pas pour Dieu.
5 octobre
De la haine, de la violence et du mensonge
La haine comme moteur, la violence comme carburant, le mensonge comme finalité, tel est le triptyque sur lequel se fonde et prospère la politique de l’actuelle administration. Trois armes qui déchaînent les passions, suscitent l’émotion et font reculer la raison.
La haine.
Dans un récent message sur son réseau social, Donald Trump a publié une image de responsables démocrates, incluant Joe Biden, accompagnée du titre : “The Party of hate, Evil and Satan” en poursuivant “The Democratic Party is dead“. La haine devient étendard, l’insulte, discours officiel.
La violence.
Sur le plan intérieur, ICE agit comme une milice privée qui peut arrêter n’importe qui, y compris les citoyens américains, qui se trouvent au mauvais endroit et au mauvais moment. Une politique de déportation dont semble se délecter celui qui en est l’artisan et le penseur, Stephen Miller. A l’extérieur, c’est le quatrième bateau dans les eaux territoriales du Venezuela que viennent de frapper les forces américaines. Une initiative fondée uniquement sur des soupçons. La violence érigée en politique.
Le mensonge.
Le mensonge n’est pas un accident ou un égarement. C’est une stratégie qui permet d’éliminer tous repères entre le vrai et le faux. Poussé à son extrême, il permet au chef de dire ce qu’il veut et de faire croire qu’il s’agit de la vérité. “What you are seeing and what you are reading is not what’s happening” n’avait pas hésité à déclarer Donald Trump en qualifiant les médias de “fake news” et “enemy of the people”.
La haine, la violence et le mensonge, trois leviers dont l’objectif est de susciter la peur, d’affaiblir la démocratie et de faire émerger un système autoritaire et un état policier qu’on a tout loisir de caractériser comme fascisme, dictature, tyrannie, despotisme, absolutisme. Les mots peuvent varier, la réalité, elle, se précise.
SEPTEMBRE
28 septembre
La méthode Trump
Le Bureau of Labor Statistics (BLS) a publié en juillet un rapport terne : l’emploi est en berne, les chiffres des mois précédents sont révisés à la baisse. Une économie qui tousse, un thermomètre qui indique de la fièvre. Qu’importe : Donald Trump ne supporte pas les mauvaises nouvelles. Verdict immédiat : Erika McEntarfer, directrice du BLS, est accusée d’avoir « maquillé » les statistiques. Exit la technocrate, place au loyaliste. On déniche E.J. Antoni, économiste maison de la Heritage Foundation, dont l’expérience en matière de statistiques officielles est aussi dense qu’un écran noir. Peu importe, il saura publier les chiffres “attendus” par la Maison-Blanche. Le BLS transformé en agence de relations publiques, version MAGA.
Et le président a la mémoire longue et la rancune tenace. James Comey, ancien patron du FBI, a eu l’audace de témoigner en 2020 ? Qu’il passe à la moulinette. Trump ordonne à Pam Bondi, sa ministre de la Justice, de déclencher les hostilités. Obéissante comme un tambour-major, elle transmet l’ordre à Erik Siebert, procureur par intérim. Mais voilà : l’homme a la mauvaise idée de lire les preuves. Constat : il n’y a rien de solide. Siebert refuse. Mal lui en prit. Débarqué manu militari, il laisse la place à Lindsey Halligan, avocate spécialisée dans… les dégâts des eaux et les sinistres immobiliers. Un CV parfait, puisque dans l’univers Trump, l’État se gère comme une copropriété douteuse en Floride ((La démocratie américaine à l’épreuve du pouvoir personnel). Et bonus : elle a aussi défendu Donald Trump dans ses affaires privées… comme Pam Bondi.
Deux jours après sa nomination, miracle : un acte d’accusation est publié, deux pages, deux chefs d’accusation, et pour matière… du vide en conserve.
Le message est clair : qui ose résister sera piétiné. La liste des futures cibles est déjà prête : Letitia James, Adam Schiff, Fani Willis… ou quiconque qui a osé contredire le Commandeur en chef. La démocratie américaine est sommée de marcher au pas. Après la première et la deuxième Peur Rouge, voici la troisième : une Red Scare 2.0, rebaptisée pour l’occasion “Make America Tremble Again”.
21 septembre
Courber l’échine
“Do not obey in advance” est la principale leçon du 20e siècle. C’est le premier chapitre du livre de Timothy Snyder On Tyranny. Et pour cause. Il semble que, une à une, les institutions, les organisations, les entreprises et même les individus cèdent devant les volontés du nouveau maître de la Maison-Blanche. Même ceux dont on aurait pu penser qu’ils résistent un peu. Dernière en date, la chaîne ABC, l’un des trois grands networks américains, a annoncé qu’elle suspendait jusqu’à nouvel ordre (pour ne pas dire annuler) l’émission du comédien Jimmy Kimmel. La raison ? Les commentaires qu’il a distillés dans son late nigh show. Qu’a-t-il dit ? “We hit some new lows over the weekend with the MAGA gang desperately trying to characterize this kid who murdered Charlie Kirk as anything other than one of them, and doing everything they can to score political points from it. In between the finger-pointing, there was grieving. On Friday, the White House flew the flags at half staff which got some criticism but on a human level you can see how hard the president is taking this.” Jimmy Kimmel a ajouté que le président “was mourning the way a 4-year-old mourns a goldfish”.
Assez drôle et pas de quoi fouetter un chat, mais de quoi déplaire au président. La vraie raison de cette décision ? Disney envisagerait de vendre ABC ou certaines stations de la chaîne à Nexstar. Elle a donc besoin de l’approbation de la FCC. Cette dernière, dont le patron est un fidèle de Donald Trump, a fait flotter l’idée de suspendre des licences d’exploitation de ces chaînes. Cette décision fait suite à celle de la Paramount – le propriétaire de CBS – de supprimer The Late Show with Stephen Colbert et, sans doute, précède celle d’envoyer aux oubliettes Jimmy Fallon et Seth Meyer dont Donald Trump a également demandé la peau. On attend avec impatience les renoncements de la chaîne NBC. Donald Trump, pourtant occupé dans un voyage d’Etat au Royaume-Uni, a trouvé le temps de poster le message suivant : “Great News for America: The ratings challenged Jimmy Kimmel Show is CANCELLED. Congratulations to ABC for finally having the courage to do what had to be done. Kimmel has ZERO talent, and worse ratings than even Colbert, if that’s possible. That leaves Jimmy and Seth, two total losers, on Fake News NBC. Their ratings are also horrible. Do it NBC!!! President DJT”. Dans son attaque tous azimuts contre les médias, il vient de porter plainte contre le New York Times pour diffamation et réclame 15 milliards de dollars. Assez normal puisqu’il avait demandé 10 milliards face au Wall Street Journal. En fait de courage, c’est bien de couardise et de lâcheté dont il s’agit.
14 septembre
Démocratie contre démocratie
Cette semaine, Jaïr Bolsonaro a été condamné par la Cour suprême du Brésil à 27 ans de prison pour tentative de coup d’État. Reconnu coupable par quatre voix contre une d’avoir dirigé une « organisation criminelle » visant à se maintenir au pouvoir malgré sa défaite face à Lula en 2022, il rejoint plusieurs de ses anciens ministres, eux aussi condamnés à des peines allant de deux à vingt-six ans de prison.
Le 8 janvier 2023, une semaine après l’investiture de Lula, des milliers de partisans bolsonaristes avaient envahi le Congrès, la Cour suprême et le Palais présidentiel. Les forces de sécurité, accusées de passivité – voire de complicité -, n’avaient pu empêcher l’assaut. Celui-ci échoua pourtant, et les institutions reprirent le contrôle.
Difficile de ne pas y voir un sinistre écho au 6 janvier 2021, lorsque, à l’instigation de Donald Trump, des foules MAGA prenaient d’assaut le Capitole. Pendant plus de trois heures, le président américain resta muet, refusant de freiner l’insurrection. Plus de 1 500 émeutiers ont depuis été arrêtés et condamnés. Mais quelle fut la réponse politique à ce désastre démocratique ? Sous la férule de Mitch McConnell, les républicains ont refusé de voterl’impeachment et malgré de nouvelles condamnations[i], Donald Trump s’est relancé en campagne et a fini élu 47e président des États-Unis. Sa première décision ? Accorder le pardon présidentiel à une partie des insurgés du Capitole, au nom d’une prétendue réparation d’« une grave injustice nationale » et d’une « réconciliation » du pays.
Comme si cette comparaison ne suffisait pas à couvrir Washington de honte, Marco Rubio, secrétaire d’État, a aussitôt dénoncé la condamnation de Bolsonaro et promis des représailles. Trump avait déjà donné le ton : une hausse des droits de douane sur les produits brésiliens, portés à 50 %, pour « punir » son voisin. Où est la logique économique ? Et surtout : depuis quand un pays s’arroge-t-il le droit de dicter à une autre démocratie la manière de juger ses criminels ?
[i] Affaire “Hush Money” pour laquelle Donald Trump a été déclaré coupable sur les 34 chefs d’accusation ; Affaire de la Trump Organization qui a été condamnée pour fraude fiscale, conspiration et falsification de registre ; Affaire E. Jean Caroll où une cour fédérale a confirmé un verdict de 83 millions de dollars d’amende pour diffamation.
7 septembre
Checks and balances
On l’a répété à l’envi aux petits Américains : les checks and balances, subtil mécanisme de séparation des pouvoirs, sont un vaccin constitutionnel contre la tyrannie. C’était censé être le garde-fou contre tout apprenti monarque rêvant de s’asseoir sur le trône de Washington. Or voilà qu’un homme orange, couronné de son ego et de ses colères, a décidé de transformer la Maison-Blanche en Versailles de pacotille.
Le pire ? Son absolutisme n’est pas une prise de force, c’est une reddition volontaire. Le Congrès républicain n’est plus un contre-pouvoir, mais un chœur de courtisans, prêt à se disputer les miettes tombées de la table présidentielle. On croyait élire des représentants du peuple, on récolte des pédicures du roi, polis et empressés, chacun se battant pour caresser un orteil du monarque.
La Cour suprême ? Elle tangue, paralysée par des décennies de nominations idéologiques. Les juges qui devraient brandir la Constitution comme un bouclier contre les abus se contentent souvent de la plier en origami pour flatter la main qui les a choisis.
La presse ? Fragmentée, atomisée, noyée dans les miasmes numériques où chaque citoyen achète sa vérité au supermarché des illusions. La “liberté d’informer” ressemble désormais à un marché noir : chacun repart avec son récit préféré, empaqueté et prêt à consommer.
Quant au peuple souverain, qu’a-t-il fait de son pouvoir ? Il s’est assoupi, bercé par les éructations télévisées d’un président qui proclame tranquillement : « J’ai le droit de tout faire, je suis le président des États-Unis ».
Soyons clairs : il n’y a ici ni vision, ni idéologie, ni stratégie. Pas même la sombre cohérence d’un Andrew Jackson méprisant la Cour suprême, ni la brutalité calculée d’un Franklin Roosevelt internant des milliers d’Américains d’origine japonaise. Chez Donald Trump, il n’y a que l’appétit. L’ogre règne non pas pour une cause, mais pour se rassasier. Et son festin, c’est l’État tout entier.
Alors, que reste-t-il ? Une évidence brutale : les “checks and balances” ne sont pas seulement une mécanique institutionnelle, mais un réflexe moral, un sursaut citoyen. Or ce sursaut s’éteint, étouffé par la complaisance des élus et l’apathie des électeurs. L’Amérique ne vacille pas seulement devant son président, elle vacille devant elle-même, devant son incapacité à dire non.
Voilà le vrai scandale : Donald Ier n’a pas volé sa couronne. Les Américains lui ont posé sur la tête.
AOÛT
31 août
Jenga et la démocratie
Vous avez peut-être déjà joué à Jenga. Cinquante-quatre pièces de bois, empilées trois par trois, formant une tour fragile de dix-huit étages. Chaque joueur retire une pièce et, s’il le peut, la replace au sommet. Le jeu dure jusqu’à ce que la gravité reprenne ses droits et que la structure s’effondre.
La démocratie américaine, aujourd’hui, ressemble étrangement à cette tour. Elle tient debout par miracle, par équilibre précaire, par l’ingénierie patiente de ses institutions et la confiance partagée de ses citoyens. Mais voilà qu’un joueur téméraire, Donald Trump, s’empare de la tour comme s’il s’agissait d’un simple passe-temps.
Tour à tour, il retire une pièce : les universités, stigmatisées comme foyers de « woke ideology ». Une autre : les juges, accusés d’être « corrompus » s’ils osent freiner son agenda. Puis viennent les cabinets d’avocats, soupçonnés de complot ; les médias, réduits au rang d’« ennemis du peuple » ; les entreprises de la tech, accusées de censure ; les alliés traditionnels, traités comme des parasites et des profiteurs. Encore une pièce, et ce sont les étudiants étrangers, suspectés de porter l’Amérique vers un déclin intellectuel ; la science, ridiculisée ; les immigrés, transformés en boucs émissaires ; les grandes villes démocrates, occupées par la garde nationale et l’armée ; les agences fédérales, qualifiées d’inutiles ou de traîtres.
Chaque geste fragilise la structure. Le joueur jubile : la tour ne tombe pas, pas encore. Mais la tension monte. La stabilité est menacée. Dans Jenga, ce suspense amuse. Dans une démocratie, il devrait effrayer. Car contrairement au jeu, une fois la tour effondrée, il n’y a pas de nouvelle partie.
Donald Trump ne construit rien. Il déplace, il retire, il affaiblit. Son obsession n’est pas d’ériger, mais de dominer. Or une démocratie est une architecture collective : un édifice où chaque bloc – universités, justice, presse, agences, villes, communautés – contribue à l’équilibre. Les retirer un à un, c’est tester jusqu’où le système peut plier avant de rompre.
Le vrai risque n’est pas que la tour tombe sous ses mains : c’est que, hypnotisés par le spectacle, d’autres finissent par trouver le jeu normal.
Dans Jenga, on rit de la chute. Dans l’histoire des nations démocratiques, on en pleure.
26 août
Aux Urnes, citoyens !
“Thanks to Dustin’s strong and effective Leadership of the Texas House, the incredible people of Texas will have the opportunity to elect five more Republicans to Congress, thanks to the passage of their much more fair new Map – A BIG WIN for Republicans in Texas, and across the Country!”
C’est ce qu’écrit Donald Trump dans le fil de son réseau social. Comme par magie, le Texas est en mesure de gagner cinq sièges de plus aux prochaines élections de mi-mandat de la Chambre des représentants.

Quand on craint le résultats des urnes, certains préfèrent manipuler les règles plutôt que de séduire les électeurs. Au Texas, le coup est net. Quelques mois avant les mid-terms, les républicains ont donc redessiné les circonscriptions avec une précision chirurgicale pour diluer les votes hispaniques et afro-américains.
Depuis que la Cour suprême a sabordé une partie du Voting Rights Act en 2013, les États du Sud redoublent d’imagination : exigences absurdes en matière de pièces d’identité, fermetures massives de bureaux de vote dans les quartiers défavorisés, files d’attente interminables pour exercer un droit théoriquement fondamental. C’est avec Shelby County v. Holder – un arrêt rendu le 25 juin 2013 – que la majorité de la Cour a supprimé toute surveillance fédérale antérieure de lois électorales potentiellement discriminatoires.
Le résultat ? Le lendemain même, le Texas appliquait l’une des lois d’identification des électeurs les plus strictes du pays, jusqu’alors bloquée par ce même mécanisme. Ce coup de grâce au VRA a ouvert la voie à une vague de lois restrictives partout là où la justice fédérale ne faisait plus office de garde-fou.
Quant au vote par correspondance – perçu comme une menace quand il est plébiscité – il devient la cible d’une croisade sous couvert de « sécurité électorale ». Des lois en Géorgie, en Floride et ailleurs réduisent drastiquement les délais, limitent les boîtes de dépôt, et multiplient les obstacles administratifs. Les plus fragiles – minorités, précaires, travailleurs horaires – sont de facto exclus.
L’objectif est simple. Quand les idées ne suffisent plus à convaincre, on verrouille les urnes. On tord les règles, on dresse des murs devant l’isoloir. L’Amérique aime se proclamer phare de la liberté. Mais à force d’éteindre, déplacer, ou filtrer la lumière du vote, ce n’est plus qu’une veilleuse tremblotante – et c’est la démocratie elle-même qui chancelle.
17 août
La Transaction du Siècle
Dans un salon aux rideaux si épais qu’on aurait pu y dissimuler un char, Donald Trump et Vladimir Poutine se faisaient face autour d’une table basse agrémentée de biscuits secs.
— Vladimir, commença Trump en tapotant l’accoudoir, tu es un gagnant. Je suis un gagnant. Alors, soyons gagnants ensemble.
Poutine sourit comme un chat devant un aquarium.
— J’écoute.
— C’est simple. Tu gardes ce que tu as déjà pris. L’Ukraine, la Crimée, tout ça… Même l’Alaska, d’ailleurs. C’était à toi, il n’y a pas si longtemps. Je suis un homme d’affaires : je rends aux gens ce qui leur appartient.
— L’Alaska ? demanda Poutine, faussement surpris. Intéressant. Mais tu veux quoi en échange ?
Trump se pencha, les yeux brillants comme s’il venait d’apercevoir un terrain de golf gratuit.
— Le Canada. On en fait le 51e État des États-Unis. C’est juste au-dessus, personne ne s’en soucie vraiment. Les Canadiens sont polis, ils ne résisteront pas. Et puis, franchement, qui a besoin de deux langues officielles ?
Poutine éclata d’un petit rire sec.
— Et que gagne la Russie à t’aider ?
— Une photo de nous deux, en train de signer l’accord, sur la couverture de Time Magazine. Et une promesse : quand j’entrerai dans Ottawa, tu seras invité d’honneur. On fera défiler tes chars.
Poutine haussa les épaules.
— D’accord. Mais avec l’Alaska, je veux aussi les caribous.
— Marché conclu.
Ils se serrèrent la main. Dans la pièce voisine, un conseiller américain évanoui venait d’être traîné par les pieds.
Dans les couloirs de l’histoire, un murmure ironique se glissait déjà : ce n’était pas un sommet diplomatique, mais un vide-grenier géopolitique.
————
Le sujet est grave, tragique, mais parfois, il ne reste que l’ironie pour ne pas sombrer avec le reste.
10 août
Constitution à la carte
La Constitution américaine est un document auquel tous les Américains se réfèrent et qu’ils révèrent. Sauf peut-être Donald Trump lorsque le document ne lui permet pas de faire ce dont il a envie. Comme le recensement. Sur ce point le texte est assez clair et peu soumis à des interprétations différentes.
“The actual Enumeration shall be made within three Years after the first Meeting of the Congress of the United States, and within every subsequent Term of ten Years, in such Manner as they shall by Law direct.” C’est ce que stipule l’Article I, Section 2, Clause 3 (version originale de 1787), en lien avec la répartition des sièges à la Chambre des représentants et la fiscalité directe. Il indiquait que le recensement devait inclure “by adding to the whole Number of free Persons, including those bound to Service for a Term of Years, and excluding Indians not taxed, three fifths of all other Persons.”
Le 14ᵉ amendement, section 2, remplace cette formulation par “Representatives shall be apportioned among the several States according to their respective numbers, counting the whole number of persons in each State, excluding Indians not taxed.”
Et pourtant Donald Trump a déclaré qu’il avait demandé au département du Commerce, qui supervise le Bureau du recensement, de « commencer immédiatement à travailler » sur un recensement en utilisant « les résultats et les informations obtenus lors de l’élection présidentielle de 2024 ». On ne sait pas pourquoi les résultats des élections auraient de l’importance pour le recensement. Ce recensement exclurait des millions de personnes vivant dans le pays sans statut légal – un changement sans précédent dans la façon dont le pays a effectué le décompte de la population depuis le premier recensement américain en 1790.
Une déclaration que pourrait faire Donald Trump pour justifier la démarche : « Certains juristes, les faibles, les mous, prétendront que le 14ᵉ amendement impose de compter “le nombre total de personnes”. Mais “personnes”, ça mérite interprétation. Après tout, la Cour suprême nous a bien montré qu’un mot peut avoir… plusieurs visages. Et si “personne” signifiait “personne faisant partie du corps politique légitime” ? Ainsi, par un raisonnement simple et constitutionnellement créatif, nous pouvons lancer un recensement exceptionnel pour dénombrer uniquement ceux qui sont là légalement. Pas d’illégaux, pas de touristes éternels, pas de fraude au comptage. Ce serait un recensement pur, patriotique, nettoyé de toute pollution démographique». Et le meilleur ? « Nous pourrions afficher un respect scrupuleux de la Constitution… tout en la tenant par la plume pour qu’elle écrive ce que nous avons décidé ».
3 août
Deal of the Century !
“Tariffs”, le mot préféré de Donald Trump…L’Europe aurait promis des investissements mirifiques (600 Md$) et des achats massifs d’énergie américaine (750Mds), et en échange, Le président des Etats-Unis a généreusement accepté de maintenir des tarifs punitifs (15%), d’appauvrir ses propres travailleurs, et de pénaliser les constructeurs automobiles nord-américains. Un chef-d’œuvre de négociation à sens unique.
Pour Donald Trump, c’est un triomphe. Il a obtenu… un communiqué de presse. Et quelques promesses aussi fermes que le calendrier fiscal grec. L’Union européenne, cette entité notoirement bureaucratique et lente, s’est contentée de lever un sourcil, de griffonner deux vœux pieux sur un coin de nappe, et voilà Donald reparti, persuadé d’avoir battu Napoléon à Waterloo.
L’investissement européen promis ? Une idée brillante : laisser le secteur privé faire ce qu’il faisait déjà. Et l’achat massif de gaz américain ? Techniquement impossible. Les terminaux sont pleins, les bateaux manquent, et les Européens, « ces traîtres », continuent à croire que les éoliennes sont plus efficaces que les pipelines. Incorrigibles.
Mais le génie du deal ne s’arrête pas là : les voitures européennes, qui n’ont pas une vis américaine sous leur capot, seront moins taxées que celles du Canada, pleines de pièces U.S. À ce rythme-là, Trump finira par imposer des sanctions commerciales à l’Alabama pour concurrence déloyale envers le Texas.
Alors, l’Europe est-elle lâche ou maline ? Peut-être les deux. Elle a donné à Donald Trump ce qu’il adore : un spectacle. Elle n’a rien concédé de concret, n’a rien promis de tenable, mais a su flatter son ego assez longtemps pour qu’il parte sans renverser la table.
Moralité ? Les États-Unis n’ont pas gagné grand-chose, si ce n’est l’illusion d’une victoire et les Américains vont perdre du pouvoir d’achat.
Donald Trump est content. Il a eu ses photos, ses gros mots, son storytelling : l’Europe est à genoux, l’Amérique est de retour, et lui est un génie du deal. Pendant qu’il fait le coq devant une basse-cour vide, l’Europe donne l’image d’un continent qui recule pour éviter la gifle. Aucun rapport de force, aucun rappel des règles du jeu, aucun tarif de rétorsion. Le tout en espérant que l’enfant-roi se fatigue.
On connaissait J2M, voici D4M !
——
Editorial qui s’inspire de deux articles de Paul Krugman :
I Coulda Made a Better Deal – What, exactly, did Trump get from Europe?
Fossil Fool – How Europe took Trump for a ride
J2M : Jean-Marie Messier Maître du Monde
D4M : Donald Trump Moi-Même Maître du Monde
JUILLET
27 juillet
NeverEpstein story
Donald Trump possède une aptitude redoutable à dominer l’actualité et à façonner le récit médiatique. Chaque fois qu’une affaire menace de le mettre en difficulté — ce qui arrive régulièrement — il parvient à imposer un nouveau sujet pour détourner l’attention. Mais cette fois, avec le dossier Epstein, pourtant ancien, il semble débordé par les événements. Cependant, il ne ménage pas ses efforts.
Il est même allé jusqu’à s’en prendre à son prédécesseur, Barack Hussein Obama, qu’il accuse de trahison pour avoir, selon lui, tenté d’influencer les élections de 2016. Une accusation grave, surtout quand on sait que le terme « trahison », tel qu’il est explicitement et exclusivement défini par l’article III, section 3 de la Constitution américaine, ne couvre que deux cas :
« Treason against the United States shall consist only in levying war against them, or in adhering to their enemies, giving them aid and comfort. »
Outre l’inanité de l’accusation, le fond du problème est que Barack Obama, 44e président des États-Unis, bénéficie désormais de la très large immunité accordée par la Cour suprême dans l’arrêt Trump v. United States (2024).
Pour appuyer ses propos, Donald Trump est allé encore plus loin : il a publié sur son propre réseau social une vidéo générée par intelligence artificielle montrant des agents du FBI en train d’arrêter Barack Obama dans le Bureau ovale, le menotter sous le regard goguenard et moqueur de Trump lui-même. Une mise en scène surréaliste qui illustre une haine tenace.
Car cette hostilité envers Barack Obama ne date pas d’hier. Elle l’avait déjà poussé à prendre la tête du mouvement « birther », selon lequel l’ancien président n’était pas né aux États-Unis et ne pouvait donc prétendre à la fonction suprême. Il n’a jamais digéré le moment où, lors du dîner des correspondants, Obama s’était ouvertement moqué de lui, futur président. Cette haine — entretenue et attisée par son entourage — est loin d’être anodine. Elle peut inspirer des comportements extrêmes, voire criminels.
Pendant ce temps, la Chambre des représentants a pris ses quartiers d’été en avance sous la houlette de son speaker Mike Johnson, évitant ainsi un vote embarrassant sur la publication des documents relatifs à l’affaire Epstein — une publication pourtant exigée par certains élus trumpistes. Et comme dans un mauvais roman d’espionnage, Todd Blanche, ancien avocat personnel de Trump devenu numéro deux du ministère de la Justice, s’est discrètement rendu en Floride pour rencontrer Ghislaine Maxwell, complice notoire de Jeffrey Epstein dans ses réseaux de trafic sexuel de mineures.
Dans quel but ? Pour protéger son ancien client ? Nul ne le sait. Mais une chose est sûre : l’affaire Epstein devient,pour Donald Trump,ce qu’était le sparadrap du capitaine Haddock, un scandale impossible à décrocher.
20 juillet
L’effet boomerang de l’affaire Epstein
L’immigration et les déportations massives, l’inflation, les droits de douane et le renforcement du protectionnisme, les guerres entre la Russie et l’Ukraine et entre Israël et la Palestine, les purges administratives, la réforme du FBI et du DOJ, la baisse des taux d’intérêt, le Big Beautiful Bill, les attaques contre les médias, les universités, les cabinets d’avocats, la lutte contre le wokisme, le droit à l’IVG, l’OTAN, les tensions avec la Chine, la question de la citoyenneté… La liste des sujets brûlants sur le Resolute Desk est longue comme un jour sans pain. Et, quelles que soient les positions prises par Donald Trump, contradictoires, incohérentes, ineptes, incompréhensibles, sa base MAGA le soutient sans ciller. Pourquoi ? Sans doute, parce qu’elle a créé un lien comparable à celui des membres d’une secte avec à son gourou.
Finalement, ce sera peut-être cette ignoble et sordide affaire Epstein qui introduira un coin entre Donald Trump et ses supporters qu’il n’a pas hésité à qualifier de “Stupid People” (1). Pendant des années, il a monté en épingle un dossier mettant en cause en Deep State, alias les élites démocrates qu’il chargeait de tous les maux de la Terre. Mais alors qu’il allait révéler au monde les turpitudes des ennemis de l’Amérique, virage à 180 degrés, circulez, il n’y a rien à voir, le dossier est vide. Une affaire qui a généré une agitation sur le fil de son réseau social comme on en a rarement vu. “What’s going on with my boys and in somes cases, my gals” (…) Why are we giving publicity to files written by Obama, Crooked Hillary, Comey, Brennan and the losers and criminals of the Biden administration (…) One year ago our Country was DEAD, now it’s the HOTTEST country anywhere in the World. Let’s keep it that way, and not waste Time and Engery on Jeffrey Epstein”. Mais là, la rhétorique et les injonctions à passer à autre chose ne semblent pas fonctionner. “Where is the beef” demandent rageusement les supporters.
(1) Trump calls MAGA base “stupid people” and gullible “weaklings” over Epstein files
We Need to Talk About Jeffrey Epstein
13 juillet
Droits de douane et rationalité économique
Il fallait bien un Liberation Day pour cela. Le 2 avril, dans un élan d’inspiration cosmico-stratégique (ou comico-stratégique ?), Donald Trump – le seul chef d’État à considérer un globe terrestre comme un punching-ball – a annoncé au monde qu’il imposerait des droits de douane à (presque) tous les pays du monde. Tous, sauf quelques exceptions. L’Angleterre ? Non. Le Canada ? Trop risqué. La Corée du Nord ? Ah, enfin une puissance amicale. On devine que Pyongyang a su se montrer tough sur le plan commercial.
À la Trump Tower of Babel, les chiffres n’ont jamais été une contrainte. Les montants des droits ont donc été calculés avec l’aide précieuse d’un dé à vingt faces, un horoscope, et les rêves de Steve Bannon. 35 % sur les olives grecques, 70 % sur les composants suisses pour montres (parce que « les montres, c’est surfait »), et un mystérieux 44,7 % sur les jouets en plastique finlandais.
Mais ne vous inquiétez pas : Trump avait un plan. Il allait signer 90 accords en 90 jours, – les deals c’est sa spécialité. Trois mois plus tard : deux signatures. Un accord partiel avec le Royaume-Uni et un accord dit « Phase One avec la Chine ». Signé début mai 2025, L’Economic Prosperity Deal en principe prévoit l’élimination des droits de douane sur le secteur aérospatial britannique, et un quota d’importation de 100 000 voitures annuelles à 10 % pour les constructeurs britanniques, avec des mesures améliorant les échanges sur le bœuf et l’éthanol. Annoncé le 12 mai 2025, il engage la Chine à réduire ses droits de douane et à éliminer les représailles tarifaires, tout en maintenant un tarif de base de 10 % américain sur certains produits chinois.
Et comme tout stratège de génie, Trump s’adapte. Il prolonge donc son plan magistral jusqu’au 1er août. Entretemps, il découvre une info capitale : les États-Unis ont besoin de cuivre. Réaction immédiate ? Taxer le cuivre, évidemment. Le bon sens version Mar-a-Lago.
Le sommet du chef-d’œuvre survient avec le Brésil. Offensé par le traitement judiciaire infligé à son camarade Jair Bolsonaro, Donald Trump menace de surtaxer les exportations brésiliennes de 50 %. Motif officiel : solidarité judiciaire. Motif réel : on ne sait plus très bien.
On croyait qu’il s’agissait de America First. Mais à force de décisions ubuesques, c’est plutôt Brésil First, Cuivre Last, et Stratégie Lost.
5 juillet
Gros beau projet de loi
Big Beautiful Bill : Rarement un projet de loi aussi régressif n’aura arboré un nom aussi grotesque. Big Beautiful Bill : on dirait le titre d’un conte pour enfants mal écrit, ou d’un parc d’attractions conçu par un promoteur en faillite. C’est Donald Trump, bien sûr, qui l’a baptisé ainsi, imposant au Congrès cette nouvelle fantaisie lexicale, comme on impose un gribouillage à coller sur le frigo familial.
Les républicains, eux, n’ont pas bronché. On aurait dit des parents exténués acceptant que leur rejeton repeigne le salon en rose fluo, pourvu qu’il arrête de hurler. Et comme toujours avec Trump, le timing comptait : il fallait voter avant le 4 juillet, pour emballer la chose dans les feux d’artifice de la fête nationale et la vendre comme une “victoire historique du peuple” – comprendre : du chef.
Sénateurs et représentants se sont exécutés, le doigt sur la couture du pantalon. Quelques-uns ont tenté un grommellement — pas assez de baisses d’impôts par-ci, trop de coupes dans Medicaid par-là — mais très vite, chacun est rentré dans le rang, la peur au ventre et l’ambition bien au chaud.
Quant à ceux qui ont osé persister dans la désobéissance, ils ont reçu un plan de carrière tout tracé : la sortie. Le sénateur Thom Tillis, par exemple, a soudain découvert qu’il ne se représenterait pas. Hasard ? Fatalité ? Non : méthode MAGA. Se soumettre ou se démettre, tel est leur mantra. Et dans le cœur battant de la base trumpiste, Trump est plus grand que Reagan, plus mythique que Lincoln, et probablement, dans quelques comtés, plus réel que Dieu.
« I can’t imagine voting against it », a-t-il déclaré à Politico. Et Harry Enten, spécialiste des sondages, d’ajouter avec une certaine lucidité : Republicans love Donald Trump the way Americans love Disney World.
Quant aux démocrates, qui ont eu le mauvais goût de voter contre à l’unanimité, Trump leur a réservé une déclaration courte mais sans équivoque, devant son public de l’Iowa : “But all of the things that we’ve given and they wouldn’t vote. Only because they hate Trump. But I hate them too. I really do, I hate them.”
JUIN
29 juin
La guerre sous d’autres moyens
« La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. » C’est du moins ce que pensait Carl von Clausewitz, général et théoricien militaire prussien. Cette formule célèbre suggère que la guerre n’intervient qu’en dernier recours, une fois épuisés tous les autres instruments de la politique, notamment la diplomatie.
Dans un article de la revue Foreign Affairs au sous-titre évocateur — The Catastrophic Collapse of Norms against the Use of Force — les deux auteurs rappellent que cette conception a prévalu jusqu’en 1928. Cette année-là, une large majorité des États ont signé le Pacte Briand-Kellogg, affirmant l’illégalité des guerres d’agression et l’interdiction des conquêtes territoriales. Un principe renforcé en 1945 avec la création des Nations Unies, dont la Charte interdit « la menace ou l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État ».
De manière contre-intuitive, notent les auteurs, les guerres interétatiques ont significativement reculé depuis lors, et ce malgré le triplement du nombre d’États souverains dans le monde. En Europe notamment, l’idée d’une paix durable semblait s’être imposée comme norme.
Donald Trump, rappellent souvent les analystes, n’a pas l’obsession de la guerre. Et pourtant, soulignent les auteurs, sa vision du pouvoir vise à « rétablir la guerre — ou la menace de guerre — comme principal moyen de résoudre les différends entre États et de rechercher des avantages économiques ». Un renversement radical des principes établis.
Mais faut-il vraiment s’en étonner, venant d’un président qui se réclame de William McKinley ? Ce dernier avait engagé les États-Unis dans la guerre contre l’Espagne, lancé une politique expansionniste et fait des droits de douane et de la protection des monopoles les piliers de son programme économique.
__________
Might Unmakes Right – – Foreign AffairesThe Catastrophic Collapse of Norms Against the Use of Force
22 juin
César hésitant devant Persépolis
L’homme qui avait promis d’en finir avec les guerres inutiles et les aventures impériales, se retrouve face à une décision que l’Histoire elle-même semble lui tendre comme un piège : faut-il, oui ou non, offrir au monde un feu d’artifice de B2 furtifs au-dessus de Fordow, la forteresse souteraine qui héberge le programme nucléaire iranien ?
D’un côté, le chœur enragé de sa base MAGA hurle depuis ses pick-ups : America First ! Pas un cent pour une guerre lointaine ! Steve Bannon s’arrache la barbe, Marjorie Taylor Greene agite ses pancartes, et Tucker Carlson se prépare à larmoyer en direct sur le sort des braves boys sacrifiés aux ambitions des « globalistes ». Ces héros de la cause populiste rappellent au Donald qu’on ne refait pas les erreurs de Bush Junior, que les déserts du Moyen-Orient ont déjà assez bu de sang yankee.
De l’autre côté, les gladiateurs du vieux parti républicain astiquent leurs glaives. Lindsey Graham, jamais à court d’une déclaration martiale, jubile déjà à l’idée d’une croisade vertueuse contre les mollahs. L’Amérique doit montrer ses muscles, défendre Israël, défendre la liberté… En gros, ce qu’il reste des principes néoconservateurs dans cette grande confusion idéologique qu’est devenu le GOP. Et dans les coulisses, quelques contracteurs attendent, sourire aux lèvres, la manne des milliards.
Pris entre ces deux feux, le stratège de la Maison Blanche, un doigt sur le bouton, l’autre sur Truth Social, prêt à rédiger son prochain post : « Personne n’a jamais vu une frappe aérienne comme celle-là. Mieux que celle d’Obama. Mieux que celle de Bush. Nous avons gagné, encore une fois. »
En fait, la véritable bataille n’est peut-être pas contre l’Iran, mais bien contre l’opinion publique américaine. Car le Trump de 2025 sait qu’il lui faudra expliquer aux habitants de l’Ohio ou du Wisconsin pourquoi leurs fils pourraient aller mourir dans un désert, alors qu’ils attendaient des emplois, des usines, et des murs encore plus hauts à la frontière sud.
Et comme toujours, il hésite. Il aime la guerre lorsqu’elle se mène à coups de tweets et de deals, mais beaucoup moins quand elle risque de ternir son image d’homme de paix, prix Nobel oblige. Alors, que fera-t-il ? Sans doute ce qu’il fait de mieux : attendre, sonder les foules lors d’un meeting dans un hangar de l’Iowa, vérifier quel slogan fait le plus d’effet (« Bomb Fordow Bigly » ou « No more stupid wars, folks! »), puis décider… en proclamant que ce fut son plan génial dès le début.
Hésitant à franchir son Rubicon. César hésite devant Persépolis, pesant non pas la gloire ou la honte, mais le nombre de likes qu’il récoltera au passage.
15 juin
Parade pluvieuse, parade heureuse
La météo menace le grand anniversaire de l’humble Président : le ciel démocrate tente de saboter le défilé militaire de Trump
Comme un enfant capricieux réclamant de nouveaux soldats de plomb, Donald Trump supplie ses généraux depuis qu’il a assisté au défilé du 14 juillet à Paris : « Moi aussi, je veux mon jouet grandeur nature ! » Sous Trump I, les chefs militaires avaient réussi à dissuader l’apprenti dictateur de transformer la capitale en terrain de jeu pour chars. Mais l’entourage de Trump II a fini par céder aux caprices du Président gâté. Il aura donc son défilé : 7 000 soldats, des centaines d’avions, de chars, de missiles — toute la panoplie du département de la Défense mobilisée, avec pour point d’orgue des parachutistes livrant un drapeau replié au Président.
En plus des nombreuses manifestations dénonçant une cérémonie bien peu en phase avec l’esprit américain, voilà que la météo s’en mêle. « La pluie ne nous arrêtera pas, les tanks ne fondent pas », a tenu à rassurer Steve Warren, porte-parole de l’armée, entre deux coups d’œil nerveux au radar météo. « En revanche, si la foudre frappe, on envisage de disperser la foule pour éviter de transformer la parade en barbecue géant de patriotes. »
À la Maison-Blanche, on flaire déjà le complot météorologique. « Le timing est trop parfait : un orage pile le jour du défilé ? C’est un coup monté, un canular climatique ! » s’indigne un stratège trumpiste sous couvert d’anonymat. « Joe Biden, Greta Thunberg, Gavin Newsom… ils sont tous derrière ça ! »
Et si la pluie se transformait en tempête, plusieurs solutions de repli ont été envisagées :
– transformer Constitution Avenue en piste aquatique géante pour chars amphibies ;
– équiper Donald Trump d’un parapluie géant, évidemment doré ;
– faire défiler les tanks à l’intérieur du Trump International Hotel qui, selon l’organisation, « a des plafonds très hauts ».
Une chose est sûre : ni la pluie, ni la foudre, ni même le bon sens ne viendront éteindre l’enthousiasme d’un Président déterminé à fêter comme il se doit son anniversaire, avec des fusées, des missiles, et pourquoi pas un petit gâteau en forme de porte-avions. Et dire que ce n’est que le 79e… On frémit déjà en imaginant ce que sera le 80e, qui coïncide avec le 250e anniversaire de l’indépendance des États-Unis.
(texte écrit avant la parade).
8 juin
Du déclin cognitif à la conspiration
Obama n’est pas né aux États-Unis, Donald Trump a gagné les élections de 2020 malgré les fraudes massives, les assaillants du Capitole le 6 janvier étaient de gentils manifestants, la CIA et le FBI ont été infiltrés par des forces voulant détruire l’Exécutif, un réseau pédosataniste aurait infiltré les élites démocrates… Le 47e président des États-Unis n’est pas avare en théories du complot, affabulations et autres délires paranoïaques. Mais là, il faut bien reconnaître qu’il s’est surpassé en publiant le mémorandum daté du 4 juin, intitulé Reviewing Certain Presidential Actions dans lequel il remet en cause la légalité de nombreuses décisions prises durant la présidence Biden au motif que l’ex-président aurait souffert d’un déclin cognitif majeur. Ses collaborateurs auraient utilisé et abusé d’un autopen[i] pour signer de grâces présidentielles, des ordres exécutifs, des mémorandums, des nominations judiciaires. Dans ce document dont peut discuter le discernement, Donald Trump ordonne une enquête dirigée par le conseiller juridique de la présidence en consultation avec le Procureur. Autrement dit, deux personnes qui seront toutes disposées aux besognes les plus basses. Les conséquences possibles ne sont pas neutres. Déligitimation d’une partie de l’héritage politique de Joe Biden, poursuites pénales ou disciplinaires contre des anciens collaborateurs et surtout annulations de décisions présidentielles. La Presidential Action est assortie d’affirmations nuancées telles que “In recent months, it has become increasingly apparent that former President Biden’s aides abused the power of Presidential signatures” “This conspiracy marks one of the most dangerous and concerning scandals in American history” ou “despite clear evidence that Biden had broken the law”.
Bref, ceux qui espèrent une certaine normalisation dans l’exercice du pouvoir en seront pour leurs frais. S’il était simple citoyen, on pourrait faire appel à la psychiatrie, mais là, la solution est plus compliquée.
[i] Dispositif de signature automatisé
1er juin
Dure semaine pour TACO trade[i]
D’abord, le flamboyant Elon Musk a disparu du paysage en retournant à ses affaires après avoir brièvement joué les pyromanes institutionnels. Lui qui promettait 2 000 milliards de dollars d’économies et de faire la chasse au “Waste, Fraud and Abuse”, aura peut-être réussi à en gratter 20… en semant le chaos administratif et en ruinant la vie de milliers de fonctionnaires.
Ensuite, une Cour fédérale de New York composée de trois juges – nommés respectivement par Reagan, Obama et Trump (difficile de faire plus transpartisan) – a invalidé la quasi-totalité des droits de douane imposés par Donald Trump depuis le fameux Liberation Day par simple décret. Des décisions prises non sur la base d’une quelconque stratégie, mais parce que tariff est probablement son mot préféré du dictionnaire. Résultat : une part essentielle de sa politique économique vient d’être anéantie. Situation ubuesque, d’autant plus que le gouvernement fédéral va devoir rembourser les entreprises pénalisées par ces mesures absurdes. L’appel lancé par Donald Trump est suspensif mais l’affaire devrait remonter jusqu’à la Cour Suprême.
En parallèle, la fameuse Big Beautiful Bill, adoptée de justesse à la Chambre des représentants, devrait être largement retoquée par le Sénat : trop risquée pour ceux qui pensent déjà aux prochaines élections, pas assez sévère pour ceux qui campent sur leur posture de fiscal hawks. Il faudra alors passer par la douloureuse étape de la “réconciliation budgétaire” dont on ne sait pas trop le résultat. « J’ai été déçu de voir ce projet de loi de dépenses massives qui augmente le déficit budgétaire », est même allé jusqu’à déclarer Elon Musk pour enfoncer le clou de son divorce avec son ancien allié.
À l’international, Vladimir Poutine a adressé un superbe bras d’honneur au président américain, au lendemain d’une discussion que Donald Trump avait pourtant qualifiée de “très fructueuse”. Preuve de la bonne volonté du maître du Kremlin : l’envoi de plus de mille drones sur le sol ukrainien. Quant à Benjamin Netanyahou, il agit désormais à sa guise, poursuivant l’anéatissement de la bande de Gaza, pendant que les Iraniens, eux, ne montrent aucune hâte à conclure un quelconque accord.
Bref, pour celui qui avait proclamé : “I alone can fix it”, la réalité s’appelle aujourd’hui : revers après revers.
[i] Trump Always Chickens Out : surnom donné par Robert Armstrong, chroniqueur du Wall Street Journal
MAI
26 mai
Whataboutism
« Nous ne sommes pas ici pour dire aux autres peuples comment vivre, quoi faire, qui être ou comment prier », a tenu à rappeler Donald Trump à son hôte Mohamed Ben Salman lors de son voyage en Arabie Saoudite, dans un discours d’une cordialité appuyée. Jamal Khashoggi, ou plutôt ce qu’il en reste, doit se retourner dans sa tombe. Pas un mot sur les violations des droits humains, silence absolu sur la liberté de la presse, les prisonniers politiques ou les exécutions publiques. En somme, en Arabie Saoudite, chacun peut vivre comme il l’entend – tant que cela convient au régime – et, pour les Etats-Unis, la démocratie semble ne plus faire partie des valeurs à défendre, ni a fortiori à promouvoir.
On notera au passage que, fidèle à ses choix symboliques, Donald Trump a une nouvelle fois réservé sa première visite d’État au Moyen-Orient, comme lors de son précédent mandat. Là où ses prédécesseurs privilégiaient traditionnellement le Canada ou le Mexique, deux alliés proches, Trump semble préférer les hôtes qui n’hésitent pas à dérouler le tapis rouge – et à offrir un palace volant.
Quelques jours plus tard, dans le Bureau ovale, à l’occasion d’une réunion exceptionnelle avec le président sud-africain Cyril Ramaphosa, Donald Trump a repris à son compte, presque mot pour mot, le langage des anciens esclavagistes en évoquant un prétendu « génocide blanc » en Afrique du Sud – une théorie du complot persistante dans certains cercles extrémistes de la diaspora afrikaner depuis la fin de l’apartheid. Selon lui, les fermiers blancs seraient victimes d’un nettoyage ethnique systématique. Or, même les statistiques fournies par les syndicats agricoles sud-africains indiquent que les meurtres de Blancs ne représentent qu’environ 1 % des homicides dans le pays.
Alors qu’Elon Musk – qui est d’origine sud-africaine – était dans le Bureau ovale, Donald Trump a montré aux caméras une photo de personnes déplaçant des sacs mortuaires en déclarant : « Ce sont tous des fermiers blancs qui sont enterrés. » Il s’agissait en fait d’une photo prise à Goma, en République démocratique du Congo, montrant des travailleurs humanitaires enterrant des corps dans une zone de guerre. Mais Donald Trump n’est pas à ça près.
Avec un flegme teinté d’ironie, Cyril Ramaphosa a tenté de désamorcer la situation : “I wish I had a plane to give you.”
“I wish you did, I would take it”, lui a répondu le président des Etats-Unis.
17 mai
Le stratège
Interrogé sur sa possible déception face à l’échec du sommet d’Istanbul, Donald Trump a livré une réponse pour le moins déconcertante – une de ces déclarations en spirale dont journalistes et commentateurs tenteront de démêler le sens, s’il en existe un.
“I actually said, why would he go if I’m not going?” a-t-il répondu, très sérieusement.
“Because I wasn’t going to go. I wasn’t planning to go. I would go, but I wasn’t planning to go.
And I said, I don’t think he’s going to go if I don’t go. And that’s turned out to be right. But we have people there. Marco, as you know, is doing a fantastic job” (…) “But I didn’t think it was possible for Putin to go if I’m not there.”
Un raisonnement en boucle, entre tautologie et autovalidation, qui semble surtout viser à couvrir l’absence des deux leaders à Istanbul – comme si l’échec du sommet n’était que la conséquence logique d’une absence prévue, souhaitée, assumée. Le message implicite : si la paix n’avance pas, c’est parce que Trump n’est pas encore entré sur scène. En attendant, “Marco” est sur place, et “doing a fantastic job”.
Poker menteur, échecs, billard à trois bandes ? Ou plus simplement, “bullshit“. Le mot s’impose, trivial, mais précis. Et ce n’est pas la première fois qu’il résume si bien le style trumpien : discours décousu, autojustification confuse, et glorification du vide comme stratégie.
On se souvient qu’à peine ses 100 jours en fonction célébrés avec tambours et trompettes, il n’avait rien accompli de ce qu’il avait promis : ni en 24 heures, ni en une semaine, ni en un mois. Et comme souvent chez lui, quand la réalité contredit la fanfare, c’est sur Truth Social que l’on retrouve la dissonance, dans un mélange d’exaspération feinte et d’appel solennel :
“I am not happy with the Russian strikes on KYIV. Not necessary, and very bad timing. Vladimir, STOP! 5000 soldiers a week are dying. Let’s get the Peace Deal DONE!”
Mais là encore, rien de nouveau sous le soleil trumpien. Lorsqu’il se heurte au mur des faits, il a toujours une porte de sortie : c’était une blague, du sarcasme, un trait d’humour mal compris. Ou bien c’est la faute des autres – les traîtres, les bureaucrates, le “deep state”, ceux qui sabotent ses BIG BEAUTIFUL PROJECTS.
Le mythe reste intact, entretenu par la confusion. Et pendant ce temps, la guerre continue.
10 mai
Habemus Papam Americanum
On avait eu des papes romains et italiens (la très grande majorité, un quasi-monopole jusqu’au 20e siècle), français, grecs, espagnols, anglais, allemands, portugais, néerlandais, polonais, grecs, argentins et même palestiniens[i], mais jamais de pape américain. Léon XIV, né Robert Francis Prevost – ses amis proches l’appellent Bon dit-on – est né à Chicago. Oui, mais son arbre généalogique est une carte du monde à lui tout seul. Il a des origines françaises et italiennes par son père, espagnole, créole, louisianaise et haïtienne par sa mère. Et pour compliquer le tableau, il a vécu deux décennies durant au Pérou, pays dont il a acquis la nationalité. C’est aussi un pape péruvien. On a donc affaire à un pape cosmopolite, un citoyen du monde, ce qui ne sera pas apprécié par tous. Et pourtant, n’est-ce pas là la meilleure situation pour représenter le catholicisme qui revendique de délivrer le message universel simple que nous, les citoyens du monde, sommes tous frères, citoyens de souche et migrants. Une position qui n’est pas compatible avec l’ordo amoris dont une déclinaison qui désigne l’ordre hiérarchique des êtres qu’il convient d’aimer, selon, leur nature et leur rapport à Dieu. Pour François, dont Robert Francis est très proche, « l’amour chrétien n’est pas une expansion concentrique d’intérêts qui s’étendent peu à peu à d’autres personnes et groupes ».
En s’appuyant sur la parabole du Bon Samaritain, il affirmait encore que le « véritable ordo amoris » – ordre chrétien dans la charité – repose sur « l’amour qui construit une fraternité ouverte à tous. Je préfère ma fille [ou ma famille] à mes amis, mes amis à mes voisins, mes voisins à mes compatriotes, mes compatriotes aux Européens. La phrase est connue.
Et si l’on appliquait la règle du « One drop rule » issue des lois Jim Crow[ii] qui faisaient rage dans le sud des États-Unis il n’y a pas si longtemps, Robert Francis Prevost serait le premier pape noir.
[i] Théodore Ier, né à Jérusalem, fils d’un évêque palestinien de même nom que lui, 73e pape élu le 24 novembre 642, en charge jusqu’à sa mort le 14 mai 649.
[ii] La Virginie a adopté en 1924 le Racial Integrity Act, qui stipulait qu’une personne était blanche seulement si elle n’avait aucun ancêtre non-blanc, sauf une exception pour les Amérindiens d’élite (surnommée la « règle de Pocahontas »).
3 mai
Make Education Great Again
S’attaquer à l’université de Harvard n’est pas un hasard, c’est même un geste très étudié. Harvard est la plus ancienne, la plus connue et la plus dotée des universités américaines. Et la plus “woke” selon Donald Trump. Elle a été créée en 1636, cent quarante ans avant que les 13 colonies prennent leur indépendance pour former les États-Unis d’Amérique. Elle est la plus prestigieuse des huit universités qui font partie de ce club fermé de l’Ivy League[i]. Avec sept diplômés sortis de ses rangs, elle a fourni le plus grand contingent de présidents des États-Unis. Une soixantaine d’anciens étudiants de l’université de Cambridge ont été lauréats du prix Nobel. Elle fait état d’un fonds de dotation (endowment) de plus de 50 milliards de dollars, ce qui lui donne une puissance financière considérable. C’est donc un symbole que Donald Trump adore haïr et qu’il va essayer de faire tomber d’une manière ou d’une autre. A la demande totalement incongrue de l’administration Trump dans une lettre du 11 avril, le président de l’université a répondu par une fin de non-recevoir (L’université de Harvard se rebiffe). Parallèlement au gel de 2 milliards de subventions fédérales, Donald Trump menaça de retirer l’exemption fiscale à l’université. Une menace qu’il brandit à nouveau dans un message sur le fil du réseau social qui pourrait coûter très cher à l’université qui ne paie pas d’impôts sur les revenus générés par son “endowment”.

S’il parvenait à ses fins, la théorie des dominos pourrait bien s’appliquer. Quelle autre université oserait résister au pouvoir de nuisance du président. On le sait, la mise au pas des institutions universitaires fait partie du plan d’action de tous les régimes autoritaires au même titre que les médias, la justice ou la culture. Ça tombe bien puisque c’est qu’il est en train de faire. Pas plus tard que cette semaine, il a signé un EO visant à “ending the taxpayer subsidization of National Public Radio (NPR) and the Public Broadcasting Service (PBS) — entities that receive tens of millions of dollars in taxpayer funds each year to spread radical, woke propaganda disguised as ‘news.’” Et si l’affaire devait monter jusqu’à la Cour Suprême, cela ne manquerait pas de sel puisque quatre de ses membres en sont diplômés[ii].
[i] Brown, Columbia, Cornell, Darmouth, Harvard, Université de Pennsylvanie, Princeton et Yale
[ii] John Roberts (Chief Justice), Elena Kagan, Neil Gorsuch et Ketanji Brown Jackson. Quatre autres sont diplômés de Yale et Amy Coney Barrett de J.D. Notre Dame Law School.
MAI
27 avril
Cent jours sans retenue
Ce qui est fait est fait, comme dirait ce bon La Palisse — et ce qui s’est fait en cent jours suffit à dessiner les contours des bouleversements à venir. Un chamboulement dont les Etats-Unis pourraient ne pas se remettre et qui les engageraient sans retour vers le déclin.
L’Amérique est en train d’être taillée à la hache, avec le Project 2025, manifeste réactionnaire de 922 pages pondu par la Heritage Foundation, et piloté par Russell Vought, actuel directeur de l’Office of Management and Budget — un service dont la principale mission est d’assister le président des États-Unis dans la tâche de préparation du budget.
Tout y est : la démolition méthodique des institutions, le rabotage idéologique de la société, la rupture assumée avec les alliances historiques. Ce chantier de destruction contrôlée mené tambour battant en cent jours seulement laisse entrevoir l’ampleur du saccage à venir sur les 1 360 jours restants jusqu’au 20 janvier 2029.
Encore faut-il que le président puisse dérouler son programme jusqu’à cette date — ce qui est loin d’être certain.
Car une échéance se profile : les élections législatives du 3 novembre 2026, qui pourraient faire office de contre-offensive démocratique.
Selon les projections du House Majority PAC, publiées le 2 avril 2025, les démocrates pourraient regagner jusqu’à 40 sièges à la Chambre. Bien sûr, ce ne sont que des estimations, à dix-huit mois du scrutin. Mais au regard de l’acharnement idéologique de l’exécutif, et du sursaut — plutôt timide— de l’opposition démocrate, ce chiffre semble plutôt un plancher qu’un plafond.
Avec une telle majorité, la Chambre pourrait réactiver la procédure d’impeachment contre le président des Etats-Unis. Ce ne serait que la troisième fois. Une procédure qui ne devrait sans doute pas aboutir faute d’une majorité des deux tiers au Sénat. À moins, bien sûr, que le fleuve MAGA ne consente enfin à regagner son lit républicain.
20 avril
Zelensky au pilon, Bukele au pinacle
Volodymyr Zelinsky et Nayib Bukele, respectivement présidents de l’Ukraine et du Salvador. On ne peut imaginer deux personnages plus opposés. Le premier, élu président de son pays, presque malgré lui, a relevé le défi face à l’attaque russe et réussi à opposer une résistance héroïque face l’une des plus grandes armées du monde. Le second s’est autoproclamé « le dictateur le plus cool du monde ». Une formule que Groucho Marx lui-même aurait pu reprendre dans La Soupe au Canard.
On se souvient de la scène infamante en février dernier lors de laquelle le président ukrainien, qui vient signer un accord par lequel les États-Unis se réservent un droit de prédation sur des minerais rares, se fait rabrouer en direct, devant le monde entier. Après que J.D. Vance lui reproche son manque de gratitude – « Avez-vous dit merci une seule fois » -, Donald Trump lui déclare tout de go : « Vous n’êtes pas dans une bonne position. Vous n’avez pas les cartes en main (…) Vous jouez avec la vie de millions de personnes et pariez sur une troisième Guerre mondiale ». Comble de l’humiliation, le président ukrainien se fait jeter de la Maison-Blanche, comme un malpropre.
Quelques semaines plus tard, toujours dans le Bureau ovale, devenu le haut lieu de la télé-réalité politique mondiale, Donald Trump reçoit chaleureusement le président du Salvador, pays devenu le sous-traitant de l’activité carcérale américaine. Le président américain ne formule aucune demande pour que Kilmar Abrego Garcia, expulsé sans preuve et incarcéré dans le nouveau goulag d’Amérique centrale, soit renvoyé aux États-Unis, alors même que l’administration Trump reconnaît s’être trompée à son sujet. Pire encore, comme s’il s’agissait d’une faveur entre alliés, Donald Trump demande au président salvadorien de construire de nouvelles prisons pour accueillir ceux que le gouvernement américain déclare criminels, sans qu’ils aient droit à un procès équitable et au risque, déjà avéré, d’être déportés par erreur. « Préparez-vous à la prochaine étape de recevoir des Homegrowns » (autrement dit des citoyens américains), précise Donald Trump à son homologue, déchaînant l’hilarité des membres de son cabinet. Un rire qui sonne comme un présage : This is the beginning of an American policy of state terror, and it has to be identified as such to be stopped” (1).
_________________
(1) State Terror
A brief guide for Americans
Timothy Snyder.
13 avril
Echecs, Poker ou domination ?
Pour tenter d’expliquer les décisions erratiques de Donald Trump sur les droits de douane – ou sur à peu près n’importe quel sujet -, les commentateurs politiques emploient souvent deux métaphores : les échecs et le poker (De son côté, Xi Jinping joue au Go). Les échecs, pour suggérer une capacité de réflexion stratégique ; le poker, pour mettre en avant une aptitude à s’adapter aux aléas et à déjouer ses adversaires.
Certains justifient sa politique par des objectifs rationnels : revitaliser l’industrie américaine, réduire les déficits ou rééquilibrer le commerce mondial – autant de buts légitimes pour un chef d’État. Après l’annonce d’une trêve de 90 jours conclue le jour même de l’entrée en vigueur des nouveaux tarifs douaniers, le ministre de l’Économie, Scott Bessent, parle de « la stratégie de négociation réussie mise en œuvre par Trump ».
Mais tout cela n’est que rationalisation a posteriori. La véritable explication, comme l’écrit l’éditorialiste Jamelle Bouie dans une tribune récente[i], est d’un autre ordre : il ne s’agit pas d’une stratégie économique rationnelle, mais d’une dynamique psychologique profonde, fondée sur un besoin obsessionnel de domination.
Donald Trump voit toutes les relations humaines et internationales comme des jeux à somme nulle : pour que l’un gagne, l’autre doit perdre. Sa compréhension simple et agressive de l’économie en découle. Il considère, par exemple, les tarifs douaniers comme de l’argent versé directement par les pays étrangers. Le croit-il vraiment ?
Son besoin de domination dépasse largement le cadre économique. Il s’étend à la politique et aux institutions : tentatives d’acquisition de territoires étrangers, menaces contre les droits des migrants et même des citoyens américains… Sa volonté d’humilier et d’écraser ses adversaires est sans fin. Il ne sera jamais satisfait tant qu’il restera des opposants à abattre : démocrates, cabinets d’avocats, juges, universités, pro-choice, anti-gun, Hollywood, historiens…
À ce rythme, quatre ans ne suffiront sans doute pas. D’où l’idée d’un troisième mandat.
Une autre explication aux décisions de Donald Trump est possible, celle de Paul Krugman : “Trump Is Stupid, Erratic and Weak, The disaster of Trumponomics continues[ii]”.
D’ailleurs, ces deux explications ne sont peut-être pas mutuellement exclusives.
[i] [i] The Tariff Saga Is About One Thing
Jamelle Bouie – New York Times – 9 avril 2025
[ii] Trump Is Stupid, Erratic and Weak
6 avril
L’homme qui entraîna les Etats-Unis à leur perte
Il a été maintes fois souligné que Trump 2.0 ne saurait être comparé à Trump 1.0. En fait, il peut l’être, il est pire, on le comprend de mieux en mieux chaque jour. Lorsqu’il a descendu l’escalier de la Trump Tower pour annoncer sa candidature à l’élection présidentielle de 2016, Donald Trump s’est présenté comme un “disrupteur” brisant tous les codes et normes établis. Cependant, cette propension à l’extravagance l’a conduit à des exagérations et outrances croissantes, facilitées par la constitution, au fil de ses quatre années de jachère à Mar-a-Lago, d’une équipe dédiée à la “MAGAitude”. Il agit un peu comme un héroïnomane ayant besoin de doses toujours plus fortes pour impressionner sa « base » et la maintenir captive dans une sorte de stupeur béate.
Les conséquences pour les États-Unis seront à la hauteur des promesses, assure le docteur Trump. Sur le plan politique, Donald Trump s’emploie depuis son entrée à la Maison-Blanche à invectiver le monde entier, y compris ses alliés historiques, tout en cajolant les nations autoritaires. Sur le plan économique, il vient de prescrire une potion qui, contrairement au “Snake Oil” généralement inoffensif, va considérablement freiner les échanges internationaux. Sur le fil de son réseau social, il déclare : “THE OPERATION IS OVER! THE PATIENT LIVED, AND IS HEALING. THE PROGNOSIS IS THAT THE PATIENT WILL BE FAR STRONGER, BIGGER, BETTER, AND MORE RESILIENT THAN EVER BEFORE. MAKE AMERICA GREAT AGAIN!!!”
Nous voilà rassurés : le patient a survécu à l’opération. Peut-on imaginer un médecin sérieux tenir de tels propos à l’entourage du malade ? Quant au pronostic d’un patient plus fort après l’opération, il faut y croire. Le docteur Trump évoque plutôt le docteur Knock, qui, fort de sa formation acquise à la lecture des notices de boîte de médicaments, entend imposer son traitement de choc dans sa ville de Saint-Maurice et mettre au lit tous les malades du canton.
« L’intérêt du malade n’est-il pas subordonné à l’intérêt du médecin », lui demande le docteur Parpalaid ?
« Vous me donnez un canton peuplé de quelques milliers d’individus neutres, indéterminés. Mon rôle, c’est de les déterminer, de les amener à l’existence médicale. Je les mets au lit, et je regarde ce qui va pouvoir en sortir : un tuberculeux, un névropathe, un artérioscléreux, ce qu’on voudra… »
Lors de son discours d’investiture, Donald Trump avait déclaré : “The Golden Age of America begins right now”. L’Amérique ne risque-t-elle pas de périr parce qu’il a tout transformé en or ?
MARS
29 mars
En marche vers le passé
Lors de son premier mandat, Donald Trump s’est identifié à Andrew Jackson. Le 7e président des États-Unis renforça le pouvoir présidentiel, mit en place le spoils system et intensifia les actions contre les Indiens, les forçant à aller toujours plus à l’Ouest. Il partage avec l’hôte actuel de la Maison-Blanche d’avoir survécu miraculeusement à une tentative d’assassinat.
À l’occasion de son second mandat, Donald Trump semble avoir enrichi sa culture historique en faisant assez largement référence à William McKinley, notamment en raison de son obstination à défendre les droits de douane. Celui qui fut élu en 1896 avait réussi à faire passer la loi portant son nom (McKinley Tariff Act) qui a augmenté les droits de douane moyens de 38 à 50 %. McKinley fut lui, assassiné lors de sa visite à l’Exposition panaméricaine de Buffalo en 1901. La mise en place des tariffs pourrait à terme permettre, dans l’esprit du président, de supprimer l’impôt sur le revenu créé avec le 16e amendement pendant le premier mandat de Woodrow Wilson. L’IRS laisserait la place à l’ERS (External Revenue Service).
Que resterait-il d’autre à faire pour “Make America Great Again?” Supprimer le National Institute of Health dont l’appellation officielle remonte à 1930 par le Congrès. Supprimer la NASA créée par Dwight Eisenhower lorsqu’il a signé le National Aeronautics and Space Act. Supprimer l’EPA créé par Richard Nixon. Supprimer l’USAID créée par John Kennedy. Supprimer le ministère de l’éducation créé par Jimmy Carter. Tout cela est bien avancé.
Supprimer le Social Security Act signé par Franklin D. Roosevelt. Supprimer Medicare et Medicaid signé par Lyndon Johnson. Supprimer l’Affordable Care Act signé par Barack Obama. Et pourquoi pas effacer les 13e, 14e et 15e amendements signés par Abraham Lincoln visant à l’abolition de l’esclavage et l’avancement des droits civiques et revenir sur le Civil Rights Act de 1964 signé par Lyndon Johnson. C’est donc toute l’histoire des États-Unis qui est sur la sellette.
Ce n’est donc pas retour vers le futur, mais plutôt Back to the Vanished.
23 mars
Bulletin de santé
Née le 4 juillet 1776 et investie en république le 30 avril 1789 sur le balcon du Federal Hall à New York, la démocratie américaine traverse aujourd’hui une phase critique de son existence. Après avoir surmonté de nombreux défis au fil de son histoire, son état s’est considérablement détérioré depuis le 20 janvier 2025.
Fondée sur les idéaux de liberté et d’égalité, elle a résisté à de nombreuses épreuves :
– En 1861, la guerre civile a failli la faire vaciller, opposant les États esclavagistes du Sud aux États du Nord. Pourtant, elle a tenu bon.
– Après la Première Guerre mondiale, elle a dû affronter la résurgence du Ku Klux Klan, la montée des populismes et des discours démagogiques faisant écho aux régimes totalitaires européens.
– À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, elle a traversé la paranoïa de la Peur rouge, où la crainte du communisme s’est insinuée jusque dans les plus hautes sphères de l’État.
À l’aube du XXIᵉ siècle, de nouveaux symptômes inquiétants sont apparus :
– Une attaque sur son sol a conduit à une riposte fondée sur un mensonge d’État, précipitant une région entière du monde dans le chaos.
– Une crise financière, suivie d’une pandémie mondiale, a nourri une défiance profonde envers les institutions, accentuant le rejet des élites, de la vérité, de la science et des faits.
Aujourd’hui, la démocratie américaine est fragilisée par une polarisation extrême qui menace son équilibre institutionnel. L’Exécutif gouverne seul, reléguant le Législatif à un rôle marginal et réduisant les élus au rang de simples figurants. Les tensions croissantes entre l’Exécutif et le Judiciaire font craindre pour l’indépendance de ce dernier, tandis que certaines mesures récentes sont perçues comme une atteinte à la liberté d’expression, pilier fondamental de tout régime démocratique.
Les spécialistes s’accordent à dire que la situation est critique. Des réformes urgentes sont nécessaires pour renforcer les institutions, restaurer la confiance du public et encourager un dialogue constructif entre les différentes factions politiques. Sans une intervention de fond, le pronostic reste incertain.
16 mars
Partie de catch ou négociations diplomatiques ?

Quelle mansuétude, quelle grandeur d’âme ! Donald Trump demande à son ami Vladimir Poutine d’épargner les soldats ukrainiens qui sont en grande difficulté, mais sont tout sauf encerclés puisqu’ils sont adossés à leur propre frontière. Cette avancée rapide des troupes russes dans la région de Koursk n’est pas étrangère à la décision de Donald Trump de couper les renseignements militaires aux Ukrainiens. Dit d’une autre manière, il demande la vie sauve à des soldats qu’il a livrés aux Russes. Vladimir Poutine est prêt à accepter, mais il demande la capitulation des soldats ukrainiens, rien que ça. C’est donc un marché de dupes. La motivation et la temporalité des deux chefs d’État ne sont pas les mêmes. Vladimir Poutine doit laver l’affront de cette incursion sur son territoire et il a tout le temps pour lui. Donald Trump n’a qu’un objectif, celui de se présenter comme un faiseur de pays avec en arrière-fond l’idée de se voir décerner le prix Nobel de la paix – il n’a que faire des Ukrainiens et de leur chef – et il est pressé. Le premier est au Kremlin jusqu’en 2036, le second dans le Bureau ovale jusqu’en 2028 et peut-être en sursis en 2026. Le candidat Trump avait promis de régler cette question en 24 heures, puis devant l’énormité de cet engagement, en 100 jours. Comme le souligne Charles Adams, ancien ambassadeur des États-Unis en Finlande pendant l’administration Obama, Donald Trump a besoin d’une victoire sur le front extérieur, car la situation sur le plan intérieur n’est pas brillante ou plutôt elle se dégrade rapidement et tous les clignotants sont en train de passer au rouge. Que va-t-il faire dans l’hypothèse où Vladimir Poutine lui tient tête ? Va-t-il hausser le ton ? Ou plutôt va-t-il mettre la pression sur le président ukrainien, ce qui est évidemment plus facile ? Fort avec les faibles, faible avec les forts, la formule bien connue s’applique à merveille. Que Donald Trump se désintéresse de l’Europe est une chose, qu’il soit passé à l’Est en est une autre.
« Il m’a fallu du temps avant que je réalise pleinement que les États-Unis ont peu besoin de diplomatie ; le pouvoir suffit. Seuls les faibles comptent sur la diplomatie. L’Empire romain n’avait pas besoin de diplomatie. Les États-Unis non plus ».
Boutros Boutros-Ghali
Secrétaire général des Nations Unies
9 mars
A nos amis Américains !
« Et c’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien, l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui, qui a connu les guerres, l’occupation, la barbarie. Un pays qui n’oublie pas et qui sait tout ce qu’il doit aux combattants de la liberté venus d’Amérique et d’ailleurs. Et qui pourtant n’a cessé de se tenir debout face à l’Histoire et devant les hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à construire ensemble un monde meilleur ».
En 2003, dans un plaidoyer qui résonne encore aujourd’hui, Dominique de Villepin opposait la France aux États-Unis à propos de la guerre d’Irak. On pourrait le réutiliser à propos de la « paix » que Donald Trump entend imposer à l’Ukraine, paix qui n’est en fait qu’une capitalutaion en rase campagne et une reddition face à la Russie et au bénéfice de l’Amérique. Mais la voix qu’il faisait alors entendre dans l’enceinte des Nations Unies ne s’élevait pas contre un ennemi. L’Amérique de George W. Bush, malgré son erreur tragique fondée sur un mensonge coupable, restait du même côté que nous. Elle agissait au nom d’un idéal, aussi trompé fût-il. Elle n’était pas seule. Elle n’était pas contre nous.
L’Amérique de Donald Trump, elle, a choisi son camp. Un camp où les démocraties ne sont plus qu’un obstacle aux ambitions personnelles des autocrates. Un camp où Poutine, Xi Jinping, Erdogan, Duterte, Khamenei et Kim Jong Un ne sont plus des rivaux, mais des interlocuteurs privilégiés. Un camp où les alliances fondées sur des valeurs sont remplacées par des calculs d’intérêts à court terme et des rapports de force.
L’Amérique de la liberté, du ”Government of laws“, not of men, des checks and balances, est-elle encore debout ? Ou s’apprête-t-elle à fermer les yeux sur ce qu’elle fut, pour ne voir que ce qu’elle veut être ? S’est-elle laissé bercer d’illusions par des démagogues revanchards et des bonimenteurs sans scrupules ?
Les chiffres ne trompent pas[i]. 73 % des Français ne considèrent plus les États-Unis comme un allié. Deux Français sur trois saluent le courage de Volodymyr Zelensky, pendant que Trump et Poutine suscitent rejet et méfiance pour plus de 80 % d’entre eux.
L’Amérique sera peut-être plus forte. Mais elle sera plus seule.
America First? Ou America alone?
[i] Sondage Elabe Les Français et la guerre en Ukraine publié le 4 mars 2025
2 mars
Yalta II
La scène se passe au Palais de Livadia, l’ancienne résidence d’été des tsars russes, un bâtiment de style Renaissance entouré de magnifiques jardins à la française. Le lieu est parfaitement adapté pour cette réunion entre Donald Trump, Vladimir Poutine et Xi Jinping car il avait hébergé la célèbre conférence de Yalta en 1945 où les trois vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale s’étaient partagé le monde.
– Trump : Messieurs, nous sommes les trois plus grandes puissances du monde (il sait qu’il flatte Poutine mais il le fait consciemment). Pourquoi continuer à nous disputer alors que nous pourrions nous entendre et organiser le monde différemment ?
– Poutine : Un partage du monde ? Je tiens juste à rappeler que la Russie est le plus grand pays de la planète, qu’il possède le plus de têtes nucléaires et qu’il a donc vocation à en être un leader incontesté.
– Xi JinPing : Je tiens à rappeler de mon côté que la Chine a été la plus grande puissance économique du monde jusqu’au 18e siècle et que nous sommes le pays le plus peuplé de la Terre.
– Trump : Messieurs, arrêtons de jouer à celui qui a la plus grosse, d’autant plus que c’est moi. Non, ce que je vous propose est de partager le monde en trois grandes zones qu’on pourrait appeler Americania, Omniasia et Eurasia et que chacun se charge de sa propre zone sans embêter les autres. On arrête ces histoires de démocratie et d’état de droit, de multilatéralisme, de droit de l’homme, d’ONU…
– Poutine : Intéressant, la Russie prendrait naturellement le contrôle de l’Europe de l’Est et de l’Asie centrale.
– Trump : oui, tu peux prendre contrôle de l’Ukraine qui, en fait, n’est pas vraiment un pays et a toujours appartenue à la Russie. D’autant que, alors que j’ai essayé de l’aider et dépensé beaucoup d’argent, son président n’a pas été capable de me remercier et a été très irrespectueux.
– Poutine : oui, j’ai suivi la réunion. C’est vraiment un ingrat.
– Xi Jinping : La Chine étendra son influence sur l’Asie-Pacifique avec bien sûr le contrôle de la mer de Chine. Je ne mentionne pas Taiwan qui a été réintégrée depuis longtemps.
– Poutine : Que fait-on de l’Europe de l’Ouest, de l’Inde, du Moyen-Orient et de l’Afrique ?
– Xi Jinping : L’inde devra choisir son camp, le Moyen-Orient pourrait être cogéré et l’Afrique est à notre disposition.
– Trump : Je prends le contrôle de l’Europe qui, de toute façon, y est habituée depuis 1945.
Poutine sert le champagne à ses deux convives et lève son verre : Au nouvel ordre Paxmonde !
FEVRIER
23 février
De Napoléon à Louis XIV
La scène se passe dans l’un des établissements psychiatriques les plus réputés du pays.
– Monsieur le Directeur, nous venons d’accueillir un patient très particulier. D’abord, il se prend pour Napoléon, ensuite il prétend qu’il est roi sans préciser de quel royaume.
– Ah, on n’avait pas vraiment besoin de ça en ce moment. Vous allez d’abord vérifier si cette démence s’inscrit dans un délire psychiatrique sous-jacent comme la schizophrénie, un trouble bipolaire avec épisodes maniaques ou encore un trouble dissociatif.
– Nous avons déjà procédé à un premier diagnostic et il semblerait que nous n’ayons jamais rien vu de tel. Nous avons noté la fréquence et la durée des changements d’identité ainsi que les éventuels déclencheurs aggravants. Il semblerait que son entourage favorise ses dérèglements et n’ose pas le contredire, car il peut devenir menaçant.
– Nous avons là un cas particulièrement complexe. Nous allons constituer une équipe incluant des psychologues, infirmiers, travailleurs sociaux et peut-être des neurochirurgiens. Je propose une approche cognitivo-comportementale qui pourra l’aider à travailler sur la perception de la réalité. Si le patient est fonctionnel et non agressif, il faudra travailler avec lui sur ses représentations sans nécessairement invalider brutalement son délire. Globalement, nous veillerons à offrir un cadre structurant et rassurant sans confronter directement le patient à son délire, ce qui risquerait d’aggraver son opposition ou son angoisse.
– Pensez-vous que nous avons quelque chance de réussir et d’améliorer la qualité de vie de ce patient, mais surtout de son entourage ? J’ai reçu un représentant de la famille hier. Une famille très divisée sur l’approche à retenir : faire tout ce qu’il veut pour éviter les réactions trop brutales ou au contraire fixer un cadre strict et imposer des limites. Il semblerait qu’il ait pris un fort ascendant sur sa famille et causé une profonde dissension.
– Tout dépendra du diagnostic. S’il s’agit d’un trouble psychotique chronique suite auquel le délire mégalomaniaque s’inscrit dans un trouble schizophrénique ou un trouble délirant persistant, le traitement pourra réduire les symptômes, mais la guérison complète est peu probable. En cas de trouble dissociatif, cela nécessitera une prise en charge psychothérapeutique prolongée. Dans le cas d’un trouble bipolaire nourri d’épisodes maniaques avec délires, on peut espérer une rémission grâce à des traitements thymorégulateurs.
– Oui mais monsieur le Directeur, s’il s’agit de tout cela à la fois ?
– Évidemment, dans ce cas, on n’a relativement peu d’espoir. La seule issue serait un internement en quartier de haute sécurité.
Le psychologue en chef sortit du bureau du directeur, un peu abasourdi devant la tâche à accomplir.
16 février
D’un décret à l’autre
Donald Trump a invité la presse dans le Bureau ovale à l’occasion de la signature de son nouveau décret Implementing The President’s “Department of Government Efficiency” Workforce Optimization Initiative qui accordait les pleins pouvoirs à son nouveau bébé, le DOGE. Toute la presse avait été convoquée, à l’exception de l’Associated Press qui n’avait pris en compte le changement de nom du golfe du Mexique dans ses tablettes. Après une rapide présentation de son « most beautiful executive order of the history of the United States », Donald Trump répond à quelques questions.
– CNN : Monsieur le Président, vous avez signé un nombre record d’Executive Orders depuis le 20 janvier. Pourquoi ne faites-vous pas appel au Congrès pour voter des lois, ce qui donnerait un caractère plus marqué à vos décisions ?
– Donald Trump : En trois semaines, j’ai fait plus que n’importe quel président de l’histoire des États-Unis. J’ai la majorité au Sénat et à la Chambre. Je sais que le congrès voterait les textes que je lui soumettrais. C’est du temps de gagné, car, vous le savez, le Congrès fonctionne lentement. Temps que je libère et que les élus peuvent mettre à profit pour d’autres missions. Je suis sûr que les Américains en seront reconnaissants à leur président préféré, moi.
– Fox News : Les démocrates considèrent que vous outrepassez vos droits en prenant ces décisions de manière unilatérale.
– Donald Trump : Ils sont tout simplement stupides et ignorants. Les meilleurs juristes des États-Unis comme Antonin Scalia ou Steven Calabresi ont démontré que, selon « la théorie de l’exécutif unitaire » (Unitary Executive Theory), le président possède une autorité exclusive et absolue sur l’Exécutif, sans que le Congrès ou les tribunaux ne puissent limiter son pouvoir, sur les agences fédérales, les fonctionnaires du gouvernement ou tout autre sujet.
– New York Times : Mais ne craignez-vous pas de prendre des décisions qui pourraient vous être préjudiciables à l’avenir ?
– Donald Trump : Impossible, dans l’arrêt Trump v. United States, la Cour Suprême a reconnu une “présomption d’immunité” pour les actes officiels d’un président. Donc, il n’y a aucun risque.
9 février
L’orbanisation des Etats-Unis en marche
Moins d’un mois après son investiture, Donald Trump pourrait légitimement se prévaloir d’avoir accompli plus dans son entreprise de démolition du gouvernement fédéral que n’importe lequel de ses prédécesseurs durant tout leur mandat. D’ailleurs, il devrait rebaptiser le DOGE (Department of Government Efficiency) avec une appellation plus conforme à la réalité : Demolition Operation Governement Expeditedly. De promoteur immobilier, la Trump Organization s’est transformée en une entreprise de démantèlement et de déblaiement (D’où l’idée lumineuse de Gaza !).
Dans son discours d’investiture[i] en 1981, Ronald Reagan avait énoncé le problème « en ces temps de crise » : le gouvernement. Mais il n’avait pas vraiment trouvé le remède. Quarante ans après, Donald Trump, qui ne l’a pas qualifié de problème, mais d’ennemi (DeepState), a finalement trouvé la solution : la sulfateuse. Comme avait déclaré Michel Audiard, « les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ». Et l’Etat de droit et la Constitution des États-Unis ne semblent plus d’aucune protection et le système de Checks and Balances aucun garde-fou. Les premières étapes de The Authoritarian Regime Survival Guide[ii]qui détaille la mise en place d’un régime autoritaire ont donc été franchies en seulement trois semaines :
Win elections on fear & populist promises
Reclaim power for the People from the “elites”
Purge highest positions in key government institutions
Place cronies in positions of highest power regardless of their competence
Brush off any critical press as “fake”, “corrupt”, “acting against the People”
Bluntly lie to the People
Ban press from parliament/congress/White House or selectively limit their access
Limit press freedom & quietly take control of mainstream media
Label opposition & protesters as “traitors”, “elites trying to reclaim power”
Limit freedom of assembly
Fix highest court to be able to bypass Constitution “for the good of the people”
Limit minority & women’s rights
Ruin the economy to fulfill your populist promises in the short term
Alienate international partners and allies, “making your country great again”
Quietly fix electoral law under the disguise of making it better
Faut-il être surpris ? Non, il n’y a pas tromperie sur la marchandise, car il avait bien annoncé qu’il le ferait. Et les électeurs ont même donné leur consentement.
[i] “In this present crisis, government is not the solution to our problem; government is the problem. From time to time we’ve been tempted to believe that society has become too complex to be managed by self-rule, that government by an elite group is superior to government for, by, and of the people. Well, if no one among us is capable of governing himself, then who among us has the capacity to govern someone else? All of us together, in and out of government, must bear the burden. The solutions we seek must be equitable, with no one group singled out to pay a higher price”.
Inaugural Address 1981
[ii] The Authoritarian Regime Survival Guide
The “Authoritarian Regime Survival Guide”, was published in social media in January 2017 in a series of improvised, spontaneous tweets, which reached 3 million views within one month. Their common element was their trademark signature, “- With love, your Eastern European friends”, and the accompanying hashtag #LearnFromEurope.
2 février
Le sultan et le remplaçant
L’avion est le moyen de transport le plus sûr
Mais il trébuche parfois, occasionnant des blessures.
Un aéronef provenant de Wichita
Allait se poser sur le tarmac
Se situant tout à côté du Potomac
Quand tout à coup surgit un autre aérostat.
La collision fut effroyable
Entraînant un bilan implacable.
Aucune âme ne survécut
Et tous payèrent un lourd tribut.
C’est la faute d’inaptes et d’incompétents
Pesta le nouveau sultan.
Voilà huit ans que je ne suis plus aux commandes
Rétorqua avec force face à cette propagande
Celui qui était en charge
De l’administration des voyages.
Je ne peux donc être responsable de ce malheur.
Tu te trompes et es la cause de cette douleur.
Si ce n’est toi, c’est donc ton remplaçant
Qui fut bien impotent.
Ce n’est pas de mon fait
Répondit l’intérimaire stupéfait.
Aussi tragique que cela puisse paraître
Il y a parfois des impondérables.
Toi et les tiens, êtes tous des incapables
Que je vais m’empresser de faire comparaître.
Et comme Dieu m’a choisi pour sauver le monde
Avec ou sans son assentiment
Je vais m’en occuper rapidement.
Pierre du Puits
JANVIER
26 janvier
A Davos, Donald Trump prend de la hauteur
Menaces, discours performatif, mensonges, hyperbolisme caractérisent l’expression de Donald Trump. Son discours à Davos n’a pas fait exception :
Menaces
– But if you don’t make your product in America, which is your prerogative, then, very simply, you will have to pay a tariff – differing amounts, but a tariff
– I’m also going to ask all NATO nations to increase defense spending to 5 percent of GDP, which is what it should have been years ago (…) But many, many things have been unfair for many years to the United States
Performatif
– I signed an executive order directing every member of my Cabinet to marshal all powers at their disposal to defeat inflation and reduce the cost of daily life
– With oil prices going down, I’ll demand that interest rates drop immediately
Mensonges
– It was the highest inflation probably in the history of our country (à classer aussi dans la catégorie suivante)
– This begins with confronting the economic chaos caused by the failed policies of the last administration
– Millions of soldiers are being killed
– And we’ve accomplished more in less than four days – we have really been working – four days – Than other administrations have accomplished in four years à classer aussi dans la catégorie suivante)
– If I were president, it would never have started. This is a war that should have never, ever been started. And – and it wasn’t started during my – there was never even talk about it
Hyperbolisme
– It was a massive mandate from the American people like hasn’t been seen in many years
– What the world has witnessed in the past 72 hours is nothing less than a revolution of common sense
– My administration has also begun the largest deregulation campaign in history are going to pass the largest tax cut in American history
– Under the Trump administration, there will be no better place on Earth to create jobs, build factories, or grow a company than right here in the good old USA
– The recent presidential election was won by millions of votes
– They say that there’s light shining all over the world since the election
– After four long years, the United States is strong and sovereign and a beautiful nation once again
– During my four years, we had the cleanest air, we had the cleanest water, and yet we had the most productive economy in the history of our country.
Améliorer l’état du monde, tel était l’objectif du Forum de Davos.
Europe réveille-toi avant qu’il ne soit trop tard, stop being bullied !
19 janvier
Lettre du 46e au 47e président
Il est d’usage qu’un président quittant la Maison-Blanche laisse une lettre à son successeur. Nous avons pu obtenir une copie de la missive que Joe Biden a laissé à Donald Trump.
Monsieur le président, cher Donald,
Après avoir hérité d’une société en décomposition et d’une économie en lambeaux, je me suis attaché pendant ces quatre dernières années à redonner à l’Amérique sa grandeur. La politique que j’ai menée a permis de soutenir la croissance et de remettre beaucoup d’Américains au travail. Le résultat : l’Amérique, l’envie du monde comme l’a titré magnifiquement The Economist sur la couverture de son magazine.
Sur le plan social, ma tentative de réconcilier les Américains est plus mitigée. Il est vrai que mes opposants ont tout fait pour antagoniser la société et pour qualifier d’ennemis tous ceux qui ne pensent pas comme eux.
Je vous laisse donc une maison en plutôt bon ordre en espérant que vous saurez en prendre soin, car les dangers qui menacent sont nombreux, tant à l’intérieur qu’au dehors. Et surtout, j’espère que vous aurez à cœur de faire en sorte que ceux qui l’habitent soient heureux et que, conformément à notre déclaration d’indépendance que vous connaissez si bien, ils puissent exercer leurs droits inaliénables que sont « la vie, la liberté et la recherche du bonheur ».
Je vous souhaite bon vent et le plein succès dans vos projets : déporter un maximum de migrants illégaux qui « infectent le sang de notre pays », 16 millions comme vous l’avez dit à plusieurs reprises, baisser les impôts que payent les riches pour qu’ils deviennent encore plus riches, anéantir vos opposants, si nombreux, et donner aux géants de la tech tous les pouvoirs dont ils ont besoin pour accomplir leur mission sur le plan international, en appliquant une politique de zero trust, qui ne vise qu’à optimiser les intérêts des États-Unis, fût-ce au détriment de nos alliés et même de la planète.
Votre dévoué,
Joe Biden, qui a gagné les élections de 2020 avec 7 millions de voix d’avance
12 janvier
Madman theory
Donald Trump parle de transformer le Canada en 51e État des États-Unis, d’annexer le Groenland et de prendre possession du canal de Panama. Répondant à une question d’un journaliste, il n’exclut pas d’utiliser la force militaire ou la coercition économique. De son côté, Elon Musk, dont la tâche est de rendre plus efficace l’administration avec le fameux département DOGE, semble plus s’intéresser à perturber et attaquer les démocraties européennes. D’abord en insultant le chancelier allemand, puis en accusant le Premier ministre britannique de complicité dans une affaire de trafic d’enfants. La France ne devrait pas tarder à être la cible de ses opérations de déstabilisation. Tout ceci en quelques jours alors même Donald Trump et son Raspoutine ne sont pas encore en fonction. La stratégie du futur maître de la Maison-Blanche est connue : mentir, critiquer, intimider, terroriser.
Cela fait penser à la théorie du fou qu’avait mis en œuvre Richard Nixon pour déployer sa politique étrangère, mais de manière démultipliée. Nicolas Machiavel l’avait bien expliqué en écrivant « combien il y a de sagesse à feindre pour un temps la folie ». Observations que le géostratège Herman Kahn avait complétées en affirmant “look a little crazy might be an effective way to induce an adversary to stand down”. Donald Trump y a ajouté une composante importante, l’omniprésence médiatique. Une attitude paradoxale puisqu’il considère les médias comme ses ennemis. De telle sorte que les médias et les commentateurs sont en permanence en réaction. À peine faite l’analyse ou la fact checking d’une déclaration aussi folle que délirante, il faut déjà passer à la suivante. Tout cela pourrait être anecdotique, mais le diagnostic de trouble de la personnalité narcissique, antisociale et histrionique du futur président posé par de nombreux psychiatres n’est pas des plus rassurant.
« Tout pouvoir sans contrôle rend fou » Alain
5 janvier
Nous avons réussi à obtenir en avant-première les grands axes du discours d’investiture du second mandat de Donald Trump qui sera prononcé le 20 janvier prochain.
Tout ce qui a été fait jusqu’ici a conduit à l’échec : des décennies de politiques inefficaces ont affaibli la nation et ignoré les besoins des Américains. Ce discours marque un tournant historique : le pouvoir est enfin rendu au peuple. Pendant trop longtemps, une aristocratie a prospéré à Washington aux dépens de la population. Désormais, cette injustice prend fin. La priorité sera donnée aux Américains, avec une politique axée sur « America First ». Une nouvelle élite, qui a fait la preuve de sa réussite, guidera le pays.
Le président déclare la fin immédiate des décennies d’érosion de la puissance américaine. Les industries nationales ont été sacrifiées au profit de celles d’autres nations, les armées étrangères subventionnées pendant que l’armée américaine s’affaiblissait, et des frontières étrangères défendues alors que les nôtres étaient négligées. Des milliards ont été dépensés à l’étranger, laissant les infrastructures américaines à l’abandon. Cette situation prend fin maintenant : la richesse, la force et la confiance des États-Unis doivent être restaurées.
Les États-Unis chercheront à tout prix à préserver leurs intérêts. Les alliés devront prouver leur loyauté, tandis que les ennemis sont avertis : ils n’auront plus l’avantage. Toute situation établie sera réévaluée, car le président refuse que d’autres nations continuent à exploiter les déséquilibres du passé.
Les défis sont nombreux : pauvreté, fermetures d’usines, infrastructures en déclin, et une société divisée. Cependant, votre président favori, moi, promet de restaurer l’unité nationale, de protéger les frontières et de revitaliser l’économie en créant des emplois, reconstruisant les infrastructures et promouvant des valeurs patriotiques. L’objectif est de mettre fin aux discours vides pour passer à l’action.
Dieu, qui veille sur l’Amérique, est infiniment clément envers ceux qui suivent ses préceptes, mais peut se montrer implacable envers ceux qui s’en détournent.
Ensemble, les Américains feront renaître la grandeur de leur nation, avec la promesse d’un pays fort, sûr, prospère et uni, prêt à relever tous les défis de cette nouvelle période historique du Trumpénaire.
(Ce texte a été rédigé avec l’aide de ChatGPT sur la base de l’Inaugural Address prononcé le 20 janvier 2017.