“La Géorgie annonça en 1828 que toutes les terres cherokees englobées dans ses frontières seraient rattachées aux cinq comtés existants, ouvertes à la colonisation et soumises à sa juridiction. La découverte de gisements d’or en Géorgie avait précipité cette décision (Voix indiennes, voix américaines – Les deux visions de la conquête du nouveau monde – Nelcya Delanoë, Joëlle Roskowski – Albin Michel 2003).
Quelques années plus tard, la Cour Suprême, dans deux arrêts successifs, fit preuve de créativité juridique pour spoilier les Indiens Cherokees [Cherokee Nation v. Georgia (1831) et Worcester v. Georgia (1832)].
L’arrêt Cherokee Nation v. Georgia (1831) affirma la négation procédurale de la souveraineté. La nation Cherokee saisit directement la Cour suprême afin d’obtenir une injonction contre l’État de Géorgie, qui avait étendu ses lois sur le territoire cherokee, annulé leurs institutions politiques et préparé la confiscation de leurs terres, en violation manifeste des traités conclus avec les États-Unis.
La question centrale était de savoir si la nation Cherokee pouvait être considérée comme un « État étranger » au sens de l’article III de la Constitution, ce qui lui aurait permis d’ester en justice devant la Cour suprême.
La Cour, sous la plume du juge en chef John Marshall, reconnaît que les Cherokees constituent bien une nation politique organisée, disposent d’un droit incontestable sur leurs terres tant qu’elles n’ont pas été cédées volontairement et ont été traités comme des États par les États-Unis à travers de nombreux traités.
On pourrait donc penser que la décision prise par la Cour leur soit favorable. Mais – car il y a toujours un mais – elle conclut qu’ils ne sont pas un “État étranger”, les qualifiant de « nations domestiques dépendantes », placées dans une relation de tutelle vis-à-vis des États-Unis. En conséquence, la Cour se déclare incompétente pour juger l’affaire et rejette la demande d’injonction.
Cette décision est juridiquement décisive car si elle reconnaît substantiellement les droits des Cherokees, elle les prive de tout recours effectif, en refusant d’entrer dans le fond du litige. Leur spoliation ne résulte pas donc d’un déni frontal de leurs droits, mais d’un verrou procédural soigneusement construit. Comme ça les juges peuvent se donner bonne conscience.
Mais l’affaire n’en reste pas là avec l’arrêt Worcester v. Georgia (1832) publié l’année suivante. Elle concerne l’arrestation de Samuel Worcester, missionnaire blanc résidant en territoire cherokee sans autorisation de la Géorgie. La question posée est celle de la validité des lois géorgiennes s’appliquant au territoire cherokee.
La Cour suprême affirme cette fois sans ambiguïté que la nation Cherokee est une communauté politique distincte avec un territoire exclusif sur lequel les États fédérés n’ont aucune compétence pour y faire appliquer leurs lois. Les traités conclus avec les Cherokees sont la loi suprême du pays et donc les lois de la Géorgie sont donc inconstitutionnelles.
Mais le président Andrew Jackson – l’un des présidents préférés de Donald Trump – refuse de faire exécuter la décision. La Cour suprême n’ayant aucun moyen coercitif propre, l’arrêt reste lettre morte. La politique de déportation (Indian Removal) se poursuit, aboutissant à la “Piste des Larmes”.
L’expropriation des Cherokees n’est pas un simple abus de force : elle repose sur un artifice juridique sophistiquée. D’abord avec l’invention du statut hybride de « nation domestique dépendante ». Ce concept, forgé dans Cherokee Nation v. Georgia, permet de nier la pleine souveraineté internationale des nations indiennes tout en reconnaissant formellement leur existence politique. Les Cherokees ont des droits… mais pas voies de recours.
Dans un deuxième temps, le conflit est placé sur le terrain politique la Cour affirmant que contraindre un État fédéré (la Géorgie) relèverait d’un acte politique, non judiciaire. C’est un renoncement volontaire du pouvoir judiciaire, qui laisse le champ libre à l’exécutif et aux États. Toute ressemblance
Bien que les traités soient constitutionnellement la « loi suprême », le gouvernement fédéral tolère leur violation par un État. Il refuse d’intervenir militairement pour les faire respecter et invoque ensuite l’impossibilité pratique de maintenir les Cherokees sur leurs terres.
Présentée comme une mesure volontaire, la loi de 1830 sur le déplacement des Indiens devient en pratique un instrument de coercition légale, puisque toute alternative (rester sur place) est rendue juridiquement et matériellement impossible.
Entre 1831 et 1839, environ 16 000 Cherokee sont forcés de quitter leurs terres pour être déportés vers l’actuel Oklahoma. Près de 4 000 meurent durant cette marche forcée.


Cet épisode est resté dans l’histoire sous le nom de “Trail of Tears” (Piste des Larmes), symbole majeur de la violence coloniale américaine.
Cherokee Nation v. Georgia | 30 U.S. 1 (1831)
Justia Law › cases › federal
The bill filed on behalf of the Cherokees seeks to restrain a State from forcible exercise of legislative power over a neighbouring people asserting their …
Worcester v. Georgia | 31 U.S. 515 (1832)
Justia Law › cases › federal
The acts of the Legislature of Georgia interfere forcibly with the relations established between the United States and the Cherokee Nation, the regulation of …