Clap de fin. Après la visite de Steve Witkoff et Jared Kushner à Moscou, Donald Trump explique qu’ils ont eu une excellente rencontre avec Vladimir Poutine, alors même que ce dernier a balayé d’un revers de main les dernières propositions américaines. La guerre n’est plus l’affaire des Américains. Trump avait affirmé qu’il réglerait ce conflit en 24 heures : il a échoué. Place désormais au business avec les Russes : co-investissements avec des entreprises américaines en Russie, Trump Tower à Moscou, Trump Golf à Saint-Pétersbourg, achats de terres rares… Tout est possible.
Les Européens doivent maintenant compter sur leurs propres moyens pour soutenir l’Ukraine. Sont-ils prêts ?
Retour sur les derniers jours
À Genève, Marco Rubio se voit contraint de « dérussifier » le « plan de paix » en 28 points pour le rendre acceptable aux Ukrainiens, tandis que les Européens tentent d’apporter un soutien devenu vital à leur voisin continental. Grand absent de ces discussions : la Russie. Mais pourquoi serait-elle présente, puisque ses positions sont défendues par son meilleur avocat : les États-Unis ?
De nombreux commentateurs, experts autoproclamés ou non, ont expliqué le week-end du 22-23 novembre qu’il était facile de critiquer ce plan en 28 points, qu’il avait le mérite d’exister, qu’il constituait un point de départ pouvant être amendé (heureusement), et qu’il fallait « penser à la paix ». Bref : critiquer ce plan serait le fait de va-t’en-guerre, et il serait grand temps d’adopter une approche « réaliste » pour mettre fin à cette guerre atroce.
D’autres ont souligné la perversité des États-Unis, qui auraient profité des révélations de corruption dans l’entourage de Volodymyr Zelensky — en ont-ils été les auteurs ? — pour le pousser à accepter un accord largement défavorable à l’Ukraine. Ce point, qui nourrit aisément le discours complotiste, est troublant. Dans ses interventions sur LCI, Thierry Breton s’est contenté d’établir un lien entre les deux événements. C’est déjà beaucoup. Beaucoup trop.
Oui, toutes les guerres sont atroces. Mais est-ce une raison suffisante pour accepter un document aussi déséquilibré en faveur de la Russie ?
Les spécialistes de la région (Anne Applebaum, Timothy Snyder) ou des relations internationales (Richard Haass, ancien président du Council on Foreign Relations) ne laissent aucune ambiguïté. Ce « plan de paix » de Donald Trump n’est ni un plan de paix, ni de Donald Trump. Beaucoup — y compris parmi les élus républicains — pensent que ce document a été rédigé en russe, par des Russes, avant d’être transmis aux autorités américaines. Dans son analyse détaillée Russian Unreality and American Weakness, Timothy Snyder relève certaines formulations qui semblent être des traductions littérales du russe.
Richard Haass est catégorique : “My analysis remains as it was. The plan is pro-Russian, one-sided in the extreme. It rewards, rather than penalizes, Russia for this aggressive war of choice. And then it demands that Ukraine place its safety not in its own hands but in the hands of Russia and the United States. The plan never should have been put forward; it should never be implemented.”
Impossible d’être plus clair.
Des « négociations » se sont donc engagées entre Américains et Ukrainiens, avec un pistolet sur la tempe de Volodymyr Zelensky. Donald Trump, fidèle à son habitude de dire tout et son contraire en 24 heures, avait posé un ultimatum, puis l’a retiré. En répétant ses obsessions : que la guerre n’aurait jamais commencé s’il avait été président en 2022 (ce qui aurait dû être le cas, puisqu’on lui aurait volé l’élection), que les Ukrainiens ne seraient pas assez reconnaissants de l’aide américaine, etc.
Au début des discussions, les Ukrainiens devaient accepter le plan avant Thanksgiving, c’est-à-dire le 27 novembre. Trump doit jouer au golf ce week-end.
À Genève, où ont lieu les pourparlers, Marco Rubio s’est mis à parler trumpien : “I think we made a tremendous amount of progress…” Tremendous… pourquoi pas wonderful, ou the best progress in the history of the United States ?
Pour Anne Applebaum, c’est un plan trouble qui garantit une future guerre. L’autrice d’Autocracy Inc. critique vivement ce plan de « paix » proposé par les États-Unis et la Russie, qu’elle qualifie de plan mal nommé, affaiblissant l’Ukraine, divisant l’Amérique et l’Europe, et préparant une guerre plus vaste.
Le plan, concocté par Steve Witkoff (promoteur immobilier sans expertise régionale) et Kirill Dmitriev (chef du fonds souverain russe), a stupéfié les dirigeants européens — qui supportent désormais la majorité de l’effort militaire — et les Ukrainiens, pressés d’accepter sous peine de perdre tout soutien américain. Cet ultimatum arrogant, selon Applebaum, nuira durablement à la réputation des États-Unis en tant qu’allié fiable.
En résumé : concessions massives à la Russie, affaiblissement structurel de l’Ukraine.
- Reconnaissance de territoires : souveraineté russe sur la Crimée, Donetsk, Louhansk ; maintien des gains territoriaux à Zaporijjia et Kherson ; aucune responsabilité pour les crimes de guerre.
- Restrictions imposées à l’Ukraine :
- Interdiction constitutionnelle d’adhérer à l’OTAN.
- Réduction de l’armée de 900 000 à 600 000 hommes.
- Interdiction d’accueillir des troupes étrangères.
- Nouvelles élections dans les 100 jours.
- Garanties de sécurité floues, non contraignantes.
- Grands avantages pour la Russie : levée des sanctions, retour au G8, réintégration dans l’économie mondiale.
Anne Applebaum s’interroge : pourquoi la Maison-Blanche pousse-t-elle un plan russe ouvrant la voie à un autre conflit ?
Le document prévoit que les États-Unis géreraient les 100 milliards d’actifs russes gelés — investis en Ukraine avec 50 % des bénéfices pour Washington — au détriment de l’Europe, qui détient la majorité de ces fonds.
Il inclut également un accord de coopération économique à long terme entre Washington et Moscou dans des domaines comme l’énergie et les infrastructures, profitant à des investisseurs russes et américains non identifiés (dont ceux souhaitant rouvrir Nord Stream 2). On reconnaît ici l’ADN transactionnel et prédateur de l’administration Trump.
L’autrice conclut que ce plan, s’il était accepté, accomplirait le rêve stratégique du Kremlin : diviser l’Europe et l’Amérique, affaiblir l’OTAN, rappeler les heures sombres des accords conclus au-dessus des têtes des petites nations — pacte Molotov-Ribbentrop, Yalta.
Pendant ce temps, le secrétaire d’État américain tente de « faire avaler la pilule » aux Ukrainiens en ajoutant des excipients pour masquer la toxicité du principe actif. Lors de sa première conférence de presse, il annonçait des avancées « majeures »… “Today was the most productive day we have had…” Sans rire.
Les discussions s’appuient sur un document évolutif de 26 à 28 points, censé poser les bases d’un futur accord bilatéral. “This is a living, breathing document…” Mais peut-on réellement fonder des négociations équilibrées sur un texte aussi déséquilibré ?
Marco Rubio reconnaît que l’Ukraine doit se sentir “safe and never going to be invaded again”, mais refuse de détailler les sujets sensibles — notamment les concessions territoriales. Moscou devra être partie prenante à la fin : “Obviously the Russians get a vote here.”
Washington espère toujours un accord « dès que possible », idéalement cette semaine, même si Thanksgiving est passé sans résultat.
Bloomberg révèle une discussion secrète entre Yuri Ushakov et Steve Witkoff :
Chronologie :
– 14 octobre : Witkoff explique à Ushakov comment Poutine doit parler à Trump pour le convaincre.
– 16 octobre : Poutine appelle Trump pour bloquer la vente de missiles Tomahawk à l’Ukraine.
– 17 octobre : Trump rencontre Zelensky… et ne donne pas son feu vert.
Loin de promouvoir la paix, Witkoff prolonge le conflit en encourageant Moscou à croire qu’elle peut gagner. Le plan qu’il défend préparerait la prochaine invasion.
Les cinq heures de discussions à Moscou entre Rubio, Witkoff, Kushner et Poutine se sont terminées sans aucun compromis. Poutine, sûr de ses gains militaires, estime que le temps joue pour lui. Un conseiller explique que les succès récents — notamment la capture de Pokrovsk — renforcent la position russe.
La délégation américaine a présenté quatre documents, mais les points essentiels restent bloqués :
– où geler le conflit ;
– quelles garanties de sécurité offrir à Kiev ;
– quelles concessions territoriales seraient exigées ;
Dans la nouvelle National Security Strategy, la Maison-Blanche présente Donald Trump comme le Président de la paix, citant des succès diplomatiques à travers le monde — parfois dans des pays dont il n’avait sans doute jamais entendu parler.
Comme il n’arrive pas à mettre fin à la guerre entre la Russie et l’Ukraine, il va donc passer à autre chose.