Ce voyage est l’occasion offerte par Donald Trump à MBS pour réhabiliter sa réputation après que des agents saoudiens ont assassiné en 2018 le chroniqueur du Washington Post Jamal Khashoggi et découpé son corps en morceaux à la scie à os — un meurtre que les services de renseignement américains indiquent qu’il a été approuvé par MBS. Dire que MBS n’est pas un hôte très respectable n’est pas exagéré. Si l’on souhaite s’en convaincre, il n’y a qu’à lire (ou relire, ce que je viens de faire), le passage du livre L’heure des prédateurs de Giuliano Da Emploi sur MBS.
« Au total, la fête du Ritz-Carlton (organisée par MBS) a permis à l’Etat saoudien de récupérer plus de cent milliards pour financer les projets pharaoniques du jeune prince. Surtout l’opération a coupé les têtes qui menaçaient la domination de MBS (…)[i] ».
Malgré cela, Donald Trump n’a pas hésité à dérouler le tapis rouge pour son « ami » saoudien. Lors de la comparution conjointe d’hier dans le Bureau ovale — chargée de flatteries entre Trump et MBS — Trump a éludé la question d’un journaliste sur MBS et le meurtre.
“A lot of people didn’t like that gentleman that you’re talking about, whether you like him or didn’t like him, things happen,” a-t-il répondu à propos d’une question sur le triste sort de Jamal Khashoggi.
Things happen? On n’avait pas compris que cela veut dire « être découpé en morceaux » littéralement. Que ne ferait-on pas pour une promesse d’investissement de 1000 milliards de dollars devant les caméras, même si cela n’est pas tenu. Peu importe.
Lorsque la même journaliste a ensuite interrogé MBS sur la découverte des services de renseignement américains, Donald Trump est rapidement intervenu. “He knew nothing about it. You don’t have to embarrass our guest by asking something like that.” Tout cela, sous le sourire bonhomme de MBS.
Mais le pire est à venir. L’aspect troublant de l’interaction de Donald Trump avec la journaliste de ABC News est la menace qu’il a ensuite proférée contre la chaîne,
Il a qualifié ABC de « crappy company » et a déclaré que la licence de diffusion du réseau « devrait être retirée » — ajoutant que le régulateur, Brendan Carr, dont la Federal Communications Commission accorde des licences aux stations locales, « devrait envisager cela ».
Cette menace pourrait-elle pousser ABC à demander aux journalistes de modérer leurs questions ?
Tout ceci doit-il nous surprendre ? On se souvient lors de cette fameuse conférence à Helsinki en 2018, où Donald Trump donnait raison à Vladimir Poutine contre ses propres agences de renseignement.
[i] La suite n’est pas beaucoup plus rassurante : « L’apogée du pouvoir ne coïncide pas tant avec l’action qu’avec l’action irréfléchie, la seule à même de produire l’effet de sidération sur lequel se fonde le pouvoir du prince. La dernière chose à laquelle s’attendait le Premier ministre libanais Saad Hariri, lorsqu’il a atterri à Riyad à l’automne 2017, était d’être emprisonné et contraint de démissionner de ses fonctions. La dernière chose à laquelle s’attendait le chroniqueur du Washington Post Jamal Khashoggi, lorsqu’il est entré dans le consulat saoudien à Istanbul pour y renouveler son passeport, était d’être découpé en morceaux, littéralement, avec une scie, dans la cave de ce même consulat. La dernière chose à laquelle s’attendait le patron d’Amazon, Jeff Bezos, lorsqu’il a reçu un sms amical du prince héritier saoudien, était de se retrouver piégé par un logiciel espion israélien qui lui arracherait les détails les plus embarrassants de sa vie privée pour qu’ils soient ensuite rendus publics ».