Les démocrates ont perdu les élections de 2016 grâce à des circonstances particulières (collusion avec la Russie, intervention de James Comey quelques jours avant le scrutin…). Ils ont gagné le vote populaire mais perdu celui des grads électeurs.
Ils ont gagné les élections de 2020.
Ils ont tout fait pour perdre celles de 2024 en maintenant un candidat qui clairement n’aurait pas dû se représenter (comme il s’y était engagé) et faisant émerger une candidate au dernier qui, si elle n’a pas démérité, n’a pu l’emporter face à son opposant.
Perdre à nouveau n’est donc pas une option pour les démocrates en 2028. D’autant qu’après moins d’un an de présidence Trump, les dégats sur la société américaine sont considérables. Et il faut espérer que les conditions de vote n’auront pas changé au point qu’elles ruineraient les chances du parti de l’âne.
Cette nécessaire victoire a conduit trois auteurs – Simon Bazelon, Lauren Harper Pope, Liam Kerr – à publier un livre blanc intitulé Deciding to Win, Toward a Common Sense Renewal of the Democratic Party qui présente les conditions d’une prochaine victoire.
Le rapport Deciding to Win, signé par Simon Bazelon et publié par le think tank Welcome, répond sans détour : en revenant au bon sens, à l’économie, et aux électeurs réels plutôt qu’aux bulles progressistes. Il semblerait que le bon sens doit être la chose la mieux partagée puisque Donald Trump y avait fait appel dès son discours d’investiture.
Un constat implacable : la gauche a perdu le fil du pays
Selon les auteurs, le Parti démocrate s’est déplacé vers la gauche depuis la réélection d’Obama en 2012, tant sur le fond que dans ses priorités.
– Plus progressiste sur tous les sujets — immigration, énergie, identité, climat — le parti a aussi modifié sa rhétorique.
– En 2025, 54 % des Américains jugent le Parti démocrate “trop libéral”, contre 49 % considérant le Parti républicain “trop conservateur”.
– Le socle électoral traditionnel — ouvriers, classes moyennes, minorités populaires — s’est effrité au profit d’un électorat plus diplômé, urbain et aisé.
Les conséquences sont mesurables : dans les comtés ouvriers ou ruraux, la part du vote démocrate s’est parfois divisée par deux depuis 2012. Dans le sud du Texas, des comtés à 90 % hispaniques ont basculé vers Donald Trump, un scénario impensable il y a dix ans.
On pourrait ajouter que ce socle s’est déplacé vers le parti républicain alors que celui-ci ne défend en aucune manière ses intérêts. La politique de Donald Trump le montre tous les jours.
Le rapport consacre plusieurs sections à ce qu’il appelle “les forces centrifuges au sein du Parti démocrate”.
Il décrit un écosystème politique dominé par :
– Des donateurs fortunés plus à gauche que la moyenne des électeurs ;
– Des militants et équipes de campagne très diplômés, jeunes, blancs, laïcs et urbains ;
– Des think tanks et ONG progressistes souvent déconnectés des réalités des classes populaires qu’ils prétendent représenter.
Résultat : une hiérarchie des priorités inversée. Les démocrates parlent climat, avortement, démocratie, équité raciale ; les électeurs, eux, veulent entendre parler d’inflation, de salaires, de sécurité et de coût de la vie.
A l’opposé d’une idée répandue dans la gauche américaine — celle que la radicalisation idéologique permettrait de faire voter les abstentionnistes —, Deciding to Win démontre l’inverse.
Les auteurs s’appuient sur une analyse de plus de 500 000 réponses d’électeurs :
– Les électeurs occasionnels (drop-off voters) sont plus modérés que les votants réguliers.
– Les candidats progressistes sous-performent systématiquement face aux attentes électorales, tandis que les modérés les dépassent.
– Les politiques populaires sont populaires à la fois chez les indécis et les abstentionnistes : il n’existe donc pas de “base cachée” de gauche prête à se lever.
Autrement dit, les démocrates ne perdront pas faute d’énergie, mais faute d’écoute.
Le rapport établit un inventaire empirique des positions les plus et les moins populaires.
Parmi les propositions gagnantes :
– Négociation des prix des médicaments ;
– Hausse du salaire minimum à 15 dollars ;
– Défense de la Sécurité sociale (au sens américain, c’est-à-dire surtout les retraites) et de Medicare ;
– Taxation accrue des très hauts revenus ;
– Protection du droit à l’avortement.
À l’inverse, les propositions coûteuses ou perçues comme élitistes — effacement des dettes étudiantes, subventions aux véhicules électriques, « Medicare for All » — recueillent peu d’adhésion.
Même constat sur les thèmes non économiques : l’immigration, la sécurité publique et l’énergie sont des points de faiblesse majeurs pour les démocrates, qui y apparaissent déconnectés ou dogmatiques.
Les auteurs ne prônent ni un recentrage mou, ni un virage conservateur. Leur modèle combine le pragmatisme économique d’Obama 2012, le message social de Bernie Sanders avant 2020 et la clarté locale de candidats modérés comme Ruben Gallego (Arizona) ou Marie Gluesenkamp Pérez (Washington).
“Ce n’est pas un appel au renoncement idéologique, écrivent-ils, mais à la discipline stratégique. On ne sauvera pas la démocratie sans la majorité.” En résumé, le parti doit parler comme la classe moyenne vit : emplois, prix, salaires, santé, sécurité — et reléguer au second plan les querelles culturelles.
Pour Simon Bazelon et ses coauteurs, la défaite de 2024 doit servir d’électrochoc. L’obsession morale de “sauver la démocratie” ne suffit plus : “on ne gouverne pas quand on perd”.
La conclusion sonne comme un avertissement : “Tant que le Parti démocrate parlera le langage des campus et des consultants, il ne parlera pas celui de l’Amérique réelle.”
Deciding to Win n’est pas un pamphlet contre la gauche, mais une tentative de réconciliation entre le progressisme moral et le réalisme électoral. Une feuille de route pour redevenir majoritaire dans un pays où, rappelle le rapport, 71 % des électeurs se disent modérés ou conservateurs. Un appel à “décider de gagner” — parce qu’à force d’avoir raison sans convaincre, le Parti démocrate risque de perdre bien plus qu’une élection.
Les cinq recommandations du rapport :
– Recentrer l’agenda sur l’économie et le coût de la vie.
– Privilégier les politiques majoritaires, non celles qui plaisent aux élites militantes.
– Corriger la perception d’un parti déconnecté des priorités populaires (sécurité, santé, immigration).
– Modérer les positions impopulaires, sans céder sur les valeurs démocratiques fondamentales.
– Adopter une critique crédible du pouvoir de l’argent, sans tomber dans l’anticapitalisme symbolique.