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Supercherie et danger de RFK Jr.

C’est une initiative rarissime dans la vie politique américaine : six anciens Surgeons General[i] — que l’on présente souvent comme les « médecins de la Nation » — unissant leurs voix pour alerter le pays dans un récent éditorial (Six surgeons general: It’s our duty to warn the nation about RFK Jr.). Leur cible ? Robert F. Kennedy Jr., aujourd’hui secrétaire à la Santé et aux Services sociaux, accusé de mettre en danger la santé publique par son mépris pour la science et son indulgence envers les théories complotistes sur les vaccins.

Ces six personnalités, issues de gouvernements républicains comme démocrates, rappellent avoir prêté serment deux fois : en tant que médecins, pour soigner, et en tant que serviteurs de l’État, pour protéger. Leur tribune sonne comme un cri d’alarme et un acte civique. Ils dénoncent une dérive idéologique qui mine la confiance dans les institutions, provoque des démissions en chaîne, et renverse des décennies de progrès en matière de vaccination. Sous l’ère Kennedy Jr., les experts sont évincés, les comités scientifiques remplacés par des amateurs acquis à des thèses infondées, et les messages de santé publique brouillés par le bruit du soupçon.

Le résultat est tragiquement concret : flambée de rougeole, décès évitables, peur et désinformation. Mais au-delà du cas Kennedy Jr, c’est une question de courage qui se pose : celui de parler quand le silence devient complice. Ces six anciens responsables n’ont plus rien à gagner. Ils ont simplement refusé de voir la vérité s’effacer sous le poids de la démagogie.

Leur prise de position rappelle que la loyauté ne va pas à un homme, mais à une mission : celle de servir le bien commun, la raison et les faits. Et c’est précisément ce type de fidélité morale qui manque cruellement à d’autres sphères du pouvoir américain.

On aimerait voir une telle hauteur de vue ailleurs — chez les généraux, par exemple, qui ont servi sous Donald Trump : H.R. McMaster, John Kelly, James Mattis, Mark Milley). Tous ont connu de l’intérieur la tension entre loyauté institutionnelle et dérive personnelle. Tous ont, à des degrés divers, tenté de contenir l’imprévisibilité d’un président qui voyait dans la discipline militaire un outil politique plutôt qu’un garde-fou stratégique. Séparément, ils avaient pointé les faiblesses et la toxicité du premier mandat Trump.

James Mattis, le “moine-soldat” des Marines, démissionna avec dignité en 2018. Sa lettre, sobre et glaciale, rappelait à Trump que “les alliances doivent être respectées” et que “le pouvoir de l’exemple” vaut plus que “la force brute”. Mais il fallut attendre deux ans — et l’image des militaires escortant Trump à l’église Saint John après la dispersion violente d’un cortège pacifique — pour qu’il s’exprime ouvertement.

John Kelly, premier chef de cabinet, tenta d’instaurer l’ordre dans un chaos politique qu’il jugeait “moralement corrompu”. Il a fini par dénoncer publiquement “l’absence d’honneur” et le “mépris de la Constitution” du président sortant. H.R. McMaster, intellectuel militaire, fut remercié pour avoir défendu la raison d’État contre la pulsion. Et Mark Milley, qui avait juré de ne jamais trahir la neutralité des forces armées, dut s’excuser publiquement d’avoir paru cautionner la mise en scène d’un pouvoir en uniforme. Il s’est exprimé avec retenue mais fermeté sur les “faiblesses institutionnelles” et la “tentation autoritaire” de Trump, sans tomber dans la polémique partisane.

Mais pourquoi n’ont-ils pas pris la parole ensemble pour dénoncer les dérives actuelles – mise en place d’un régime autoritaire, utilisation de la Justice à des fins de vengeance, utilisation de l’armée pour des œuvres de police… – avec la même force que ces six médecins ? Peu ont osé affronter publiquement le danger d’un pouvoir livré à la colère, à la vengeance, à l’ignorance du droit international. James Mattis s’y est risqué brièvement ; les autres ont préféré le silence, le devoir de réserve transformé en refuge moral.

L’exemple de ces Surgeons General prouve pourtant qu’on peut défendre l’État sans trahir sa parole d’officier. Ce n’est pas une question de politique partisane, mais de probité civique. Dans une démocratie en crise de confiance, le courage de dire non vaut plus que mille serments d’allégeance.

De même, dans le domaine écologique, on aimerait entendre d’anciens responsables de la transition environnementale dénoncer les compromissions du moment : les renoncements aux politiques climatiques, la capture des agences environnementales par les lobbies pétroliers, ou la normalisation du mensonge climatique sous couvert de pragmatisme. Car la destruction des écosystèmes repose, elle aussi, sur une forme de déni institutionnalisé — celui qui préfère la carrière à la vérité, le calcul politique à la survie collective. D’autres responsables d’institutions pourraient être bien inspirés de suivre une démarche similaire : les présidents d’universités, les responsables de cabinet d’avocats, le monde de la culture…

Le texte signé par six anciens ministres de la Santé n’est pas seulement une mise en garde contre les errements d’un homme. C’est un rappel de ce que devrait être le service public : un engagement envers la vérité, même lorsqu’elle dérange. Leur geste redonne à la fonction de responsabilité son sens originel : dire le réel, protéger la vie, et refuser que l’État soit l’otage de la démagogie.


[i] Jerome Adams, Richard Carmona, Joycelyn Elders, Vivek Murthy, Antonia Novello and David Satcher

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